Que cache le discours de Poutine? « Il est dangereux car il est convaincu de tout ce qu’il dit »
Dans son discours à la nation, Vladimir Poutine fait de l’Occident sa principale cible. Il y affirme qu’une « guerre a été lancée contre la patrie », que le monde est « à un tournant » et insiste sur le rôle de ses soldats pour le futur de la Russie. « Malheureusement, Poutine est absolument convaincu de tout ce qu’il dit. Il est confiant et offensif », analyse Nina Bachkatov (ULiège), spécialiste de la Russie. En toile de fond, Wagner joue les trouble-fêtes en accusant la hiérarchie militaire de chercher à « tromper » le président russe. Ambiance.
La civilisation est de nouveau à un tournant. Une guerre a été lancée contre notre patrie ». C’est avec ces mots que Vladimir Poutine a entamé son discours devant des milliers de soldats et l’élite politique, réunis pour commémorer la défaite nazie en 1945. Le chef de l’Etat russe a accusé les pays occidentaux de « monter les peuples les uns contre les autres, diviser les sociétés, provoquer des conflits sanglants ».
Des déclarations dont le fond et la forme rappellent celles qui émanaient de Moscou à l’époque de la Guerre froide. « Leur but est de parvenir à l’effondrement et à la destruction de notre pays », a ajouté Poutine, qui présente donc son offensive contre l’Ukraine comme une mesure visant à défendre la Russie contre une supposée agression occidentale.
L’Occcident, adversaire numéro 1 : « Poutine doit juste entretenir le récit »
« Malheureusement, c’est ce qu’il croit. Il en est absolument convaincu », avance Nina Bachkatov (ULiège), docteure en sciences politiques et spécialiste de la Russie. « De nombreux Russes le pensent aussi, poursuit-elle. Dans les milieux universitaires, s’il y a un certain regret de la guerre, on retrouve aussi un sentiment de fatalité. »
Pour l’experte, le peuple occidental a trop tendance à croire que la Russie ne vit que de slogans, d’endoctrinement, de désinformation. « Or, il y a une réelle méfiance, présente depuis longtemps dans la population russe, qui part du postulat que les Occidentaux veulent profiter de la fin de l’Union soviétique. Poutine n’a pas besoin de les convaincre sa population à ce sujet. Il suffit qu’il entretienne le récit », souligne-t-elle.
Il y a une réelle méfiance, présente depuis longtemps dans la population russe, qui part du postulat que les Occidentaux veulent profiter de la fin de l’Union soviétique. Poutine n’a pas besoin de les convaincre sa population à ce sujet. Il suffit qu’il entretienne le récit.
Nina Bachkatov
Ce que Poutine ne se prive évidemment pas de faire. « Ce qui est frappant dans son discours, c’est que l’adversaire numéro 1 est l’Occident, davantage encore que l’Ukraine. Avant, on parlait de coopération internationale, de possibilité de lutter ensemble contre le terrorisme après le 11 septembre. Le message était ‘nous avons les mêmes ennemis’. Or, dans la dernière mouture de doctrine militaire et de politique étrangère russe, l’Occident est clairement défini comme un péril pour la Russie », rappelle Nina Bachkatov.
Un Poutine plus offensif
S’il « faut être d’une prudence de Sioux », Nina Bachkatov perçoit un Vladimir Poutine beaucoup plus offensif. « Il n’a rien dit de fondamentalement étonnant, mais il avait l’air détendu, offensif, et confiant. En sortant de la place Rouge pour aller déposer des fleurs à la flamme éternelle, il montre qu’il a une grande confiance dans la capacité de ses hommes à le protéger. D’ailleurs, les médias ukrainiens ont été surpris par ces images et ont directement évoqué l’histoire des sosies. » Selon eux, il est impossible que Poutine se promène avec si peu de protection individuelle dans ce contexte de haute tension.
Ce qui est encore plus notable, selon la spécialiste de l’ULiège, c’est un appel du pied très clair envers d’autres pays comme l’Arabie saoudite, l’Inde et la Chine. « Il a mentionné le combat dans le Pacifique, que l’on oublie parfois un peu trop facilement chez nous. Les présidents des Républiques d’Asie centrale étaient également présents, tout comme le premier ministre arménien. Avec cette image, Poutine veut montrer qu’un socle se maintient malgré la pression de l’Occident envers les pays d’Asie centrale pour les éloigner de la Russie. »
Dissensions sur la manière de mener la guerre
Derrière ces images de propagande étatique, impossible de ne pas questionner l’état des relations internes du pouvoir russe. « On agite beaucoup d’intrigues, car on a en réalité très peu d’informations. Poutine a l’air moins angoissé que par le passé », observe Nina Bachkatov. « Ce qui est certain, prolonge-t-elle, c’est qu’il y a des divergences internes quant à la nécessité de cette guerre en Ukraine, mais surtout des dissensions sur la manière de la mener. Même en cas de rébellion sous-jacente autour de Poutine, tant qu’il n’enregistre pas de pertes catastrophiques, il garde le pouvoir. »
Si Poutine est décrit comme de plus en plus isolé, « cela ne l’empêche pas d’être pleinement en possession du pouvoir et sûr de lui. Même contre tout réalisme, il ne lâchera pas. C’est pour cette raison qu’il est dangereux », alerte la spécialiste de la Russie.
Poutine veut montrer qu’un socle se maintient malgré la pression de l’Occident envers les pays d’Asie pour les éloigner de la Russie.
Nina Bachkatov
Pour arriver à ses fins, le président russe sait que l’implication et le moral de ses soldats sont primordiaux. Dans son discours, il leur fait porter la responsabilité pour « l’avenir de la Russie ». De quoi amener l’idée d’une nouvelle mobilisation ? « Si cela devait être le cas, cela ne se ferait pas par la persuasion dans un discours officiel, mais par un décret présidentiel. Ils ne sont pas encore à ce stade », juge Nina Bachkatov.
Wagner joue les trouble-fêtes
En toile de fond, le chef du groupe paramilitaire Wagner n’a pas épargné les troupes de Poutine. Il a accusé la hiérarchie militaire russe de chercher à le « tromper », une nouvelle illustration de son conflit avec l’état-major, plus singulièrement encore avec Sergueï Choïgou (ministre russe de la Défense).
« Si tout est fait pour tromper le commandant en chef (Vladimir Poutine), alors soit le commandant en chef vous déchirera le c.., soit ce sera le peuple russe qui sera furieux si la guerre est perdue », a lancé Evguéni Prigojine. Wagner sait jouer les trouble-fêtes.
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