Ukraine

« Quand les Ukrainiens lâcheront les chevaux… » : pourquoi on n’a vu qu’un avant-goût du potentiel militaire de l’Ukraine

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Pour le consultant aéronautique et défense Xavier Tytelman, la réelle contre-offensive de l’Ukraine pourrait avoir lieu en septembre, ou octobre. « La perspective de montée en puissance ukrainienne est évidente. On a vu qu’un avant-goût de leur potentiel », dit-il. Entretien.

Xavier Tytelman, la contre-offensive de l’Ukraine semble toujours dans une phase d’observation. Que vous disent les militaires que vous côtoyez sur le front ?

L’Ukraine est dans une phase d’attrition. En réalité, pas grand-monde n’est encore engagé dans cette contre-offensive. Tous mes copains sur place sont en attente. Ceux qui sont sur le front avancent légèrement. Mais pour eux, ça ne ressemble en rien à une contre-offensive. Ce sont des combats classiques. Sur 15 brigades de réserve, seules 3 sont partiellement engagées pour le moment.

Ce qu’on observe, ce sont des actions offensives préparatoires, de l’identification de cibles. Cela permet de localiser et quantifier l’artillerie ennemie. Ou d’approcher les drones de la ligne de front. Les mines poseront problème, mais quand les Ukrainiens lâcheront les chevaux, on le saura. On n’a pas encore vu des actions que nous font penser à une réelle contre-offensive.

Vos contacts sur place vous confient d’autres observations ?

Les Russes auraient de moins en moins de réserves, aussi bien humaines que matérielles. Quand ils perdent un char T-90, ils le remplacent par un T-54, modèle soviétique vieux de 60 ans… Donc, la masse de matériel russe reste peut-être similaire, mais elle baisse en qualité.

Les Ukrainiens ont donc une capacité de montée en puissance, que les Russes n’ont plus?

Les Ukrainiens ont des avantages considérables, avec des missiles de croisière Storm Shadow, des bombes GLSDB (Ground Launched Small Diameter Bomb), des ATACMS (Army Tactical Missile System). A l’automne, les avions de chasse arriveront. La perspective de montée en puissance ukrainienne est évidente. On a vu qu’un avant-goût de la puissance opérationnelle ukrainienne qu’on aura dans trois mois. Ils n’ont pas encore décidé de se lâcher parce qu’ils ne veulent pas brûler des vies tant que tout n’est pas prêt. Je n’exclus d’ailleurs pas que la réelle contre-offensive ait lieu en septembre ou octobre.

La perspective de montée en puissance ukrainienne est évidente. On a vu qu’un avant-goût. Je n’exclus d’ailleurs pas que la réelle contre-offensive ait lieu en septembre ou octobre.

Xavier Tytelman

Votre spécialité, c’est avant tout l’aérien. Qu’observez-vous dans la bataille du ciel ?

Les Ukrainiens ont peu d’avions à la base. Le grand étonnement, c’est qu’on s’attendait à une grosse capacité SEAD (Suppression of Enemy Air Defenses) des Russes. On pensait qu’ils étaient en mesure de détruire tout le potentiel aérien ukrainien dans les 72 heures après le début de l’invasion. Mais on s’est vite rendu compte que les missiles russes n’avaient pas une précision suffisante.

C’était prévisible ?

Les Russes ont abandonné l’idée de passer la ligne de front dans les airs au mois d’avril, soit avant les premières promesses occidentales pour les livraisons d’armes lourdes. Ils n’ont pas réussi à détruire les missiles de défense anti-aérienne, alors que l’Ukraine était bien moins bien équipée qu’aujourd’hui. Ça, c’est une vraie surprise.

En quoi cela a changé la face du conflit dans les airs ?

L’Ukraine a pu continuer à profiter d’une flotte d’avions de chasse opérationnelle, qui compte quatre types d’avions différents (Soukhoï 24, 25, 27, ainsi que le MiG-29). La belle surprise, c’est que les Ukrainiens arrivent désormais à intégrer des équipements improbables sur ces avions soviétiques, comme des missiles AGM-88 HARM.

La belle surprise, c’est que les Ukrainiens arrivent désormais à intégrer des équipements improbables sur les avions soviétiques. C’est une petite révolution.

Xavier Tytelman

Non seulement, ils ont leur aviation de base renforcée par des dons de quatre pays européens, mais en plus, ils ont acquis de performances inespérées. C’est grâce à cela, par exemple, qu’ils sont parvenus à détruire le système de défense anti-aérien le plus performant des Russes, le S-400. Pouvoir ajouter ce type de missiles sur ces avions, c’est une petite révolution.

Sur terre, c’est la même dynamique ?

Les Ukrainiens sont montés en puissance non seulement en volume, mais surtout en qualité d’armement. Au début de la guerre, les Russes avaient 20% de chars soviétiques. Maintenant, ce pourcentage est monté à 60%. Ils n’ont donc aucune chance de réussir ce qu’ils n’ont pas réussi avant avec du matériel plus moderne, en plus grand nombre, face à une armée qui était plus faible.

L’autre bataille du ciel, c’est celle des drones. Lequel des deux camps en tire le plus d’avantages, selon vous ?

Le drone est le seul domaine où l’Ukraine a eu l’avantage en qualité, en quantité, et en capacité d’emploi dès le début. Cet avantage s’est réduit avec la guerre électronique menée par la Russie. Elle arrive à brouiller une partie des signaux, et certains drones ne sont plus exploitables comme par le passé. La supériorité ukrainienne dans ce domaine n’est valable que dans les zones qui sont non-brouillées.

Au début de la guerre, les Russes avaient 20% de chars soviétiques. Maintenant, ce pourcentage est monté à 60%. Ils n’ont donc aucune chance de réussir ce qu’ils n’ont pas réussi avec du matériel plus moderne, en plus grand nombre, face à une armée qui était plus faible.

Xavier Tytelman

Les Ukrainiens font aussi preuve d’une inventivité locale incroyable. Alors que la Russie s’est épuisée à acheter des systèmes surcotés. L’Ukraine peut produire des drones à 20.000 euros qui peuvent porter six bombes et taper des chars russes à 1,5 million pièce. Il y a donc une disproportion dans la capacité de production. Par ailleurs, on oublie parfois la diversité des pays qui envoient du matériel à l’Ukraine. On parle toujours des pays de l’Otan, mais on ne mentionne pas assez l’aide internationale plus large.

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Vous dites souvent regretter que la décision d’envoyer des F-16 n’ait pas été prise plus tôt. Pourquoi ?

A l’automne dernier, les Russes se sont effondrés sur plusieurs fronts. Si dès le début, on avait octroyé les chars, les missiles longue portée, les F-16… cette guerre serait peut-être déjà finie. Pour former un pilote (déjà pilote de chasse) pour un autre type d’avion, il faut compter entre trois et quatre mois. Les Etats-Unis viennent de faire le test. Dans cette formation, le panel des choses qu’ils doivent savoir faire est restreint.

Vous êtes aussi relativement critique sur la retenue américaine, notamment vis-à-vis de leurs dons de chars limités…

Les Américains ont 8.000 chars Abrams. Ils en ont 3.000 en réserve, et ils en donnent 30… Si on veut que cette guerre s’arrête, il faut arrêter de saupoudrer. Il faut pouvoir dire aux Russes : « Dans six mois, l’armée ukrainienne aura plus de chars que la Russie avant la guerre ». Là, ça donne des perspectives. Et cela forcerait les Russes d’accepter de négocier et reculer.

Si on veut que cette guerre s’arrête, il faut arrêter de saupoudrer.

Xavier Tytelman

Et l’aviation russe dans tout ça, que vaut-elle ?

Ils sont très vite arrivés au bout de leurs munitions intelligentes. Ils ont des bombes planantes avec une portée de 40km, alors que les Ukrainiens atteignent 70km. Les Russes ont une aviation médiocre. Elle se limite à des missiles de basse précision. Ils n’ont aucun équivalent au Storm Shadow, par exemple.

Et de l’autre côté, la défense anti-aérienne ukrainienne semble exceller…

Ils ont un échantillon de tout ce qui se fait de mieux dans le monde. Le problème est qu’ils n’ont pas la possibilité de couvrir la totalité de tout leur territoire, notamment pour contrer les drones Shahed iraniens, qui volent à basse altitude. D’autant plus que les Russes ciblent toujours des endroits improbables. C’est sans intérêt militaire, mais ça améliore leur communication.

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