Prigojine, la « créature » fabriquée par Poutine, qui a fini par lui échapper
Vladimir Poutine a longtemps profité des actions du groupe paramilitaire Wagner, mais la mutinerie lancée par son chef Evguéni Prigojine place le président russe face à une épreuve qui devrait laisser des traces profondes, selon des analystes.
En près d’une décennie d’existence, les opérations de Wagner en Afrique, en Syrie et dans l’est de l’Ukraine ont servi les intérêts de l’homme fort du Kremlin.
Mais avec le coup de force tenté ces dernières 24h00 contre l’état-major russe, la milice, qui était l’un des fers de lance de la guerre de Moscou en Ukraine, s’est retournée contre le dirigeant russe qui lui a longtemps laissé les coudées franches.
La rapidité et la fermeté avec lesquelles Vladimir Poutine s’est adressé à la nation pour dénoncer la « trahison » d’Evguéni Prigojine montrent à quel point il prend au sérieux la menace.
C’est « le premier défi direct et sérieux à l’autorité de Poutine », depuis son arrivée au pouvoir fin 1999, décrypte pour l’AFP James Nixey, directeur du programme Russie-Eurasie au sein du groupe de réflexion britannique Chatham House.
La crise risque d’infliger des dommages durables à l’image de Poutin
Il compare le milliardaire à « une sorte de monstre de Frankenstein » qui aurait pu avoir « une permission à un moment donnée (…) pour donner un coup de fouet à l’armée russe et la rendre plus efficace dans la conduite de la guerre », avant d’entrer en rébellion.
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Prigojine « condamné »
Les autorités russes disposent de la puissance militaire nécessaire pour réprimer cette contestation, voire pour écraser Wagner, mais la crise risque d’infliger des dommages durables à l’image de Poutine, qui s’enorgueillit d’un pouvoir incontesté, estiment plusieurs experts.
Prigojine ne dispose pas des « effectifs, des troupes ou du soutien » nécessaires pour s’emparer de Moscou, estime M. Nixey. « Moscou a toutes les chances de reprendre le contrôle », fait écho la chercheuse française Anna Colin Lebedev, tandis que Tatiana Stanovaya, directrice du cabinet d’analyse politique R. Politik juge même le patron de Wagner « condamné ».
La crise représente « la fin de Prigojine et la fin de Wagner » plutôt que la fin de Vladimir Poutine, ajoute-t-elle. « La position sans ambiguïté de Poutine est de mater la rébellion. Et durement », même si cela pourrait prendre beaucoup du temps, a-t-elle déclaré sur sa chaîne Telegram.
Mais « de nombreuses personnes au sein de l’élite blâmeront personnellement M. Poutine pour le fait que tout soit allé si loin et qu’il n’y ait pas eu de réaction appropriée de la part du président en temps voulu », observe-t-elle encore, si bien que « toute cette histoire porte également un coup » au président russe.
« Cette situation inédite confirme aux élites que le temps de la stabilité est révolu, et que l’Etat que l’on pensait surpuissant a des failles. L’assise du pouvoir est aujourd’hui une chaise un peu branlante qu’hier », abonde Mme Lebedev.
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« Utile » à Poutine
La milice Wagner a joué un rôle de premier plan dans l’invasion de l’Ukraine, assumant les tâches les plus dangereuses sur la ligne de front alors que l’armée régulière semblait faiblir.
Le conflit semblait même avoir fourni une occasion en or à l’homme d’affaires de sortir de l’ombre d’où il opérait, le conduisant à admettre pour la première fois qu’il est bien le fondateur en 2014 du groupe paramilitaire Wagner.
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Mais au fil des mois, les tensions avec l’état-major se sont accentuées: M. Prigojine l’accuse de priver Wagner de munitions et multiplie les vidéos dans lesquelles il insulte les commandants russes.
Ses sorties provocatrices ont pris des allures de vendetta personnelle contre le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, largement considéré comme l’un des rares amis personnels de Poutine au sein de l’élite.
« Pendant longtemps, Prigojine a été autorisé à attaquer l’élite en raison de son utilité au front, ainsi que de son utilité pour Poutine lui-même », estime Alexander Baunov, chercheur au Centre Carnegie Russie Eurasie. Selon M. Baunov, le tournant date du 13 juin, lorsque Vladimir Poutine a imposé aux groupes paramilitaires comme Wagner de passer sous contrôle du ministère de la Défense. Inenvisageable pour le bouillant milliardaire qui a alors décidé de « franchir la ligne ».
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