Poutine
Pour prendre le contrôle de l’Ukraine, Poutine pourrait cette fois tenter la voie politique. Avec le soutien inconscient ou non de Donald Trump…

«Poutine va tout faire pour prendre le contrôle de l’Ukraine… mais plus par la voie militaire»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Pour la politologue Vera Grantseva (Sciences Po Paris), spécialiste de la Russie, Poutine va désormais tenter de prendre la main sur l’Ukraine par la voie politique. Il pourrait poser ses premières conditions dans cette optique à travers les négociations entre Russes et Américains… et jouer la montre.

Remplacer Zelensky, lever les sanctions contre la Russie, et démilitariser l’Ukraine: voici les trois conditions posées publiquement par les Russes pour valider la proposition de cessez-le-feu de 30 jours. Selon toute vraisemblance, donc, la diplomatie russe n’acceptera pas de but en blanc les plans américano-ukrainiens… ou restera floue quant à ses intentions. Car les calculs de Poutine sont plus profonds, et désormais surtout politiques.

Ces craintes se confirment dans les premières réactions russes à la proposition américaine, jugée «trop hâtive».«Nous sommes pour, mais il y a des nuances», a déclaré Poutine. Un règlement du conflit en Ukraine «doit tenir compte de ses causes profondes», insiste-t-il.

La politologue Vera Grantseva, enseignante à Sciences Po Paris et ancienne responsable des relations internationales à la mairie de Saint-Pétersbourg, décrypte les enjeux autour de la reprise de contacts entre Russie et Etats-Unis.

Pensez-vous que la Russie acceptera le plan de cessez-le-feu sans tenter d’imposer d’autres conditions?

Il est peu probable que Poutine accepte le deal tel que présenté par les Etats-Unis. Il tentera de poser ses conditions et en profitera pour tirer le maximum de ce qu’il peut obtenir par la suite avec Trump. Aux yeux de Poutine, le républicain est une opportunité d’atteindre ses objectifs sans passer par la voie militaire. Le chef du Kremlin est incapable de prendre toute l’Ukraine militairement. En revanche, il tentera, par tous les moyens, de prendre le contrôle du pays par la voie politique, grâce à l’aide consciente ou inconsciente de Trump. Poutine va commencer à jouer un jeu avec Trump.

Poutine va jouer un jeu avec Trump (…) Son but, plus que les négociations en tant que telles, est d’obtenir un face-à-face rapidement.

Vera Grantseva

Il est donc certain qu’il n’acceptera que peu des conditions proposées aujourd’hui par les Etats-Unis. Telles que, par exemple, les garanties de sécurité avec la présence de troupes européennes sur le territoire ukrainien. N’oublions pas que l’objectif initial de Poutine était aussi d’éloigner l’Otan de l’Ukraine. En acceptant des troupes européennes sur son sol, il signerait pour le contraire.

Les conditions avancées par la Russie sont-elles réalistes, au vu de la pression occidentale pour un cessez-le-feu rapide et durable?

Il est logique, pour Poutine, de commencer les négociations avec des conditions élevées, et de présenter d’abord les plus symboliques sur la table. Par rapport aux négociations de mars 2022, on voit d’ailleurs apparaître de nouvelles exigences, comme le départ de Zelensky du pouvoir. Cela peut être une voie sur laquelle Poutine va jouer pour prendre le contrôle de l’Ukraine. De la sorte, il souhaite saisir l’opportunité de nouvelles élections en Ukraine pour déstabiliser le pays et y mettre à sa tête un dirigeant favorable au Kremlin, comme, par exemple, l’oligarque ukrainien opposant à Zelensky, Viktor Medvedtchouk.

Un cessez-le-feu ne serait donc qu’une paix de surface?

Poutine, on peut le dire, est un spécialiste des ingérences: il l’a déjà prouvé dans plusieurs pays européens, et même aux Etats-Unis.

Comme Poutine n’a pas pu prendre le contrôle de l’Ukraine par la voie militaire, il cherchera à coup sûr à déstabiliser le pays de l’intérieur, par la voie politique.

Vera Grantseva

En Ukraine, il a déjà tenté le coup, notamment en 2004 avec le gouvernement de Viktor Ianoukovytch. Donc, le risque d’assister à un changement forcé de régime ukrainien, qui devienne pro-russe, est bien réel. Comme Poutine n’a pas pu prendre le contrôle de l’Ukraine par la voie militaire, il cherchera à coup sûr à déstabiliser le pays de l’intérieur. C’est pour cela qu’il insiste tant sur la nécessité de refaire des élections.

On semble assister à un début de processus de paix. Mais en réalité, n’assistons-nous pas à un début de blocage?

Avec Poutine à la tête du Kremlin, il existe toujours le risque d’assister à de nouvelles guerres d’agression, sous différentes formes. Les garanties de sécurité européennes sont le seul moyen de contenir Poutine. Avec une Ukraine forte, armée, pour lui permettre de résister.

Poutine souhaite-t-il aussi d’abord reprendre la région de Koursk, afin d’être en meilleure posture lors des négociations?

Tout à fait. Le président russe joue toujours avec le temps. Il suffit de voir de quelle manière il a fait traîner toute possibilité de discussions avant le retour de Trump à la Maison-Blanche. Dans la région de Koursk, l’armée russe a été renforcée pour regagner le territoire, car c’est clairement son point faible en vue des discussions. Ensuite, les forces russes se concentreront sur les territoires annexés mais encore que partiellement conquis.

Trump veut un «trophée», une «paix» rapide. Risque-t-il de hausser le ton en cas de blocage russe?

Oui, en cas de patinage, Trump pourrait s’énerver. L’Ukraine a tout fait pour montrer aux Américains sa volonté sincère d’obtenir un cessez-le-feu. Quelque part, l’Ukraine a joué sa partition, et on attend que Poutine joue la sienne. Il sait cependant que la réponse russe est sur la corde raide, et va donc tout faire pour ne pas froisser Trump, en trouvant des différentes tournures, jouant la montre, et en restant flou. N’oublions pas que Poutine est fort dans la manipulation et dans la formulation de réponses floues, ni négatives, ni affirmatives.

Pourrait-il jouer la montre plus longtemps qu’on ne l’imagine?

La délégation américaine a imposé 30 jours. Il est possible que ce délai soit prolongé. Dans sa campagne, Trump assurait que la guerre serait réglée en 24 heures. Ce n’est plus le cas, donc il est possible que Poutine s’engouffre dans la brèche et prolonge l’entre-deux actuel le plus longtemps possible.

Pour Poutine, l’Ukraine est un outil pour prolonger son régime.

Vera Grantseva

L’objectif de Poutine, ce n’est pas tant l’Ukraine en soi. L’Ukraine est un outil pour prolonger son régime. Le vrai objectif de Poutine, sur le court terme, est la rencontre avec Trump. Il veut replacer la Russie à un niveau de grande puissance, à la hauteur des Etats-Unis. Seule une rencontre en tête-à-tête avec Trump lui permettrait d’y parvenir, du moins symboliquement. Il va tout faire pour l’organiser rapidement. Le vrai but de Poutine, sur le court terme, ce n’est donc pas l’avancée des négociations, c’est la poignée de main avec Trump. Seulement après, il verra s’il est capable de manipuler le président américain de façon à ce qu’il cède à ses exigences.

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