Poutine, forcément derrière la mort de Prigojine? « Ce n’est pas si simple, on fait face à des pays d’intrigue »
Le crash d’avion qui a mené à la mort du chef de Wagner, Evguéni Prigojine, provoque turbulences et trajectoires tordues. Le rôle supposé évident de Vladimir Poutine n’en demeure pas moins opaque. Décryptage.
Il n’y pas beaucoup de choses qui se passent en Russie sans que Poutine ne soit derrière. Mais je n’en sais pas assez pour connaître la réponse ». Cette phrase de Joe Biden, invité à commenter le crash de l’avion où se trouvait Evguéni Prigojine, résume les turbulences actuelles autour des causes de l’accident qui a provoqué la mort de chef de Wagner.
« On fait pratiquement face à du roman d’espionnage, avec des développements extravagants, alors qu’on dispose encore de peu d’informations. Il y a une capacité à amplifier les événements dont on ne connaît pas les bases », tempère Nina Bachkatov, docteure en Science Politique, spécialiste de la Russie et autrice de « Poutine : L’homme que l’Occident aime haïr ».
Crash de l’avion de Prigojine: quelle cause?
Les faits, justement, quels sont-ils ? Il ne faudra certainement pas compter sur le bureau d’enquête russe pour apporter de la transparence à cette énigme. Alors, on s’en remet aux quelques images (et au son) disponibles. Sur les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, on peut observer la chute en spirale de l’Embraer Legacy 600, où se trouvait donc Prigojine. Sur une autre vidéo, on observe les restes de l’avion enflammés dans un champ.
Selon toute vraisemblance, les hypothèses d’une explosion interne ou celle du simple incident technique sont à exclure. La probabilité qu’un missile sol-air soit à la source du crash est, elle, très grande. « Le son typique de ce missile, -une double explosion- a été entendu », confirme Alain De Neve, analyste au sein de l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD). « A priori, l’intercepteur serait un petit missile de type Toungouska ou Pantsir », précise-t-il.
Le son typique du missile sol-air, -une double explosion- a été entendu. A priori, l’intercepteur serait un petit missile de type Toungouska ou Pantsir.
Alain De Neve
Il a également été demandé à l’avion de dévier de sa trajectoire habituelle, entre Saint-Pétersbourg et Moscou. Une information qui tend à renforcer la thèse du tir programmé « C’est une technique idéale pour éviter que le missile envoyé ne frappe un autre avion », commente Alain De Neve. Quelques minutes à peine après le crash, les agences russes ont confirmé la mort de Prigojine avec une rapidité déconcertante, presque inhabituelle dans leur chef. Ce qui tend, là aussi, à penser que l’opération était programmée.
Poutine, Wagner, les services secrets ou… Loukachenko ?
Si la cause du crash laisse peu de place au doute, l’identité du ou des auteurs derrière cet acte fait fructifier les spéculations. Un nom, forcément, revient sur toutes les lèvres : celui de Vladimir Poutine, qui aurait ainsi commandité cet assassinat politique en réponse à la rébellion avortée du groupe Wagner contre l’Etat russe, fin juin. « Pour le Kremlin, peu importe la manière, c’est le résultat qui compte. Lorsqu’on voit la liste de tous les VIP qui sont morts dans des crash d’avions et d’hélicoptères sous la présidence de Poutine, il y a très peu de doutes quant à l’origine et les motivations de cette opération », estime Alain De Neve.
« Je ne suis pas certaine que l’histoire soit aussi simple que de dire ‘ça ne peut venir que du Kremlin car Poutine décide de tout’ », s’interroge pour sa part Nina Bachkatov. Selon la spécialiste de la Russie, on ne peut pas totalement exclure que cet accident ait été provoqué par… Wagner. « Il peut y avoir de la concurrence interne ou un ressentiment envers ceux qui ont lancé la rébellion à Rostov, qui a discrédité Wagner aux yeux de beaucoup de personnes en Russie. On ne voit que les ‘excités du bocal’, mais Wagner est un empire financier », argumente-t-elle
Je ne suis pas certaine que l’histoire soit aussi simple que de dire ‘ça ne peut venir que du Kremlin car Poutine décide de tout’.
Nina Bachkatov
L’autre option, toujours selon Nina Bachkatov, est que cet accident ne vienne pas directement de Poutine, mais plutôt « du sein-même de l’armée ou des services secrets russes, où Prigojine s’est fait beaucoup d’ennemis. On ne peut pas non plus exclure une influence de Loukachenko. Car c’est celui qui était le plus embêté par la présence des hommes de Prigojine sur son territoire. N’oublions pas que la Russie et la Biélorussie sont et resteront des pays d’intrigue. »
Le temps est l’allié de Poutine
Pour Alain De Neve, plus que de spéculer sur qui a donné l’ordre d’abattre l’avion, la grande interrogation est surtout de savoir comment quelqu’un comme Prigojine, avec son passif, ait pu s’estimer à ce point confiant pour emprunter ce moyen de transport en Russie, avec, qui plus est, son bras droit à bord. « En principe, dans l’armée, un Général ne doit même pas prendre l’ascenseur avec son Colonel. Une telle erreur est donc assez incompréhensible », souligne-t-il.
En principe, dans l’armée, un Général ne doit même pas prendre l’ascenseur avec son Colonel. Voir tous les leaders de Wagner prendre le même avion est une erreur assez incompréhensible.
Alain De Neve
Selon l’expert en défense, l’explication pourrait résider dans le fait que Prigojine se soit senti en excès de confiance quant à la présence indispensable pour la Russie de Wagner en Afrique, et ce malgré la tentative de rébellion avortée, dont le « traitre » Prigojine -sans le nommer- avait été ciblé par Poutine. « Penser que l’assassinat n’aurait pas lieu avec un certain délai, c’est mal connaître Poutine. Car il joue et s’amuse avec le temps, qui est son meilleur allié. Il est insensible à ce qui pourrait être dit de sa personne suite à ce crash », conclut Alain De Neve.
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