Sur la ligne de front à Avdiivka, les combats entre Ukrainiens et Russes sont féroces.

Pourquoi l’Ukraine a-t-elle raté sa contre-offensive? « On a été trop naïfs » (infographie)

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La contre-offensive de l’Ukraine peut-elle être taxée d’échec? Oui, répond le lieutenant-colonel Tom Simoens (ERM), qui pointe diverses causes.

Tom Simoens, la contre-offensive de l’Ukraine est-elle un échec ?

La crainte que contre-offensive de l’Ukraine se solde en échec était palpable depuis un moment. Aux regards de l’objectif initial, c’ en est clairement un, surtout au niveau de l’offensive terrestre. Le résultat est maigre : on parle tout au plus de 350 km2 récupérés. Cela ne représente presque rien vu la grandeur du territoire ukrainien. La ligne de front n’a pratiquement pas bougé depuis six mois. On note seulement une légère percée, direction Tokmak. Mais le but était d’obtenir des résultats significatifs dans le sud, de s’emparer des endroits comme Tokmak, Melitopol, ou couper le corridor entre la Crimée et le Donbass. Rien de tout ça n’a été atteint.  

Quelles sont les raisons de cet échec ?

Les capacités offensives ukrainiennes ont été surestimées. Les troupes ont du mal à appliquer la guerre combinée, c’est-à-dire la bonne combinaison des différents systèmes d’armes sur le champ de bataille. Ils ont également beaucoup de difficultés à gérer les opérations d’une certaine dimension. On peut aussi remarquer un manque de connaissances et de planifications au niveau de l’Etat-major. Par ailleurs, les Ukrainiens n’ont toujours pas la suprématie aérienne. On a été trop naïfs en pensant qu’il suffisait de donner du matériel moderne aux Ukrainiens pour qu’ils réusissent leur contre-offensive. Mais encore faut-il qu’ils sachent l’utiliser correctement.

On a été trop naïfs en pensant qu’il suffisait de donner du matériel moderne aux Ukrainiens pour qu’ils réusissent leur contre-offensive.

Tom Simoens

Au final, force est de constater que leur contre-offensive a vite dégénéré en une série de petites attaques locales. Car ils manquaient cruellement de véhicules de déminage pour envisager des opération de plus grande portée. En réalité, l’Ukraine n’aurait pas dû lancer sa contre-offensive sans moyens adéquats pour déminer.

Lisez la suite de l’interview sous l’infographie

A-t-on sous-estimé la Russie ?

Oui, il faut reconnaître qu’on a sous-estimé les capacités défensives russes. Beaucoup d’analystes ont toujours été très négatifs vis-à-vis de leur moral et de leurs compétences. Mais, à part quelques désertions, on n’a pas encore vu une brigade entière de soldats russes quitter le champ de bataille. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont tous super motivés. Mais lorsqu’on voit des vidéos de nettoyage de tranchées, les soldats russes se battent jusqu’au dernier homme. Même dans une situation désespérée, ils continuent à tirer au lieu de se rendre.

La perte d’intensité sur les trois grands axes Bakhmout - Velyka Novossilka - Tokmak signifie que l’offensive ukrainienne est morte et n’a pas atteint ses objectifs.

Tom Simoens

Les moyens défensifs sont pour l’instant plus puissants que les moyens offensifs. Et actuellement, ce sont principalement les Russes qui ont repris l’initiative sur le terrain.

Preuve en est : on ne voit plus les activités sur les trois axes du début de l’offensive : à Bakhmout, à Velyka Novossilka et à Tokmak (voir infographie ci-dessus). La perte d’intensité sur ces trois grands axes signifie que l’offensive ukrainienne est morte et n’a pas atteint ses objectifs.

Le front peut-il rester figé longtemps ?

Il est difficile d’imaginer comment une des deux parties pourrait créer une rupture. Les Russes ont la quantité et sont prêts à sacrifier des hommes pour un gain territorial, ce que les Ukrainiens font peu. D’un autre côté, même si les Russes attaquent au nord et au sud, les Ukrainiens pourront toujours activer leurs réserves.

La différence entre les armes promises par l’Occident et les armes réellement livrées est-elle aussi une des explications de l’échec ukrainien ?

Il y a en effet beaucoup de retard dans les livraisons. On promet X chars, mais soit il y en a moins que prévu, soit ils arrivent au compte-gouttes avec un énorme retard. Entre la promesse occidentale et la réalisation, il peut se passer entre 3 et 9 mois. Le fait est qu’on sous-estime le temps nécessaire à la préparation des véhicules par le pays donateur. Certains ne sont pas en état et nécessite un entretien réalisé par le personnel militaire. Il est facile pour les politiques de faire des grandes promesses, mais un véhicule militaire n’est pas aussi simple d’utilisation qu’une voiture privée que l’on vient récupérer au garage. Ces véhicules sont complexes d’utilisation. Certains arrivent sans manuel. Cela peut paraître surréaliste, mais la documentation technique n’est pas toujours disponible.

On sous-estime le temps nécessaire à la préparation des véhicules par le pays donateur.

Tom Simoens

Ce que les Ukrainiens réalisent en Crimée et mer Noire est-il une piste pour déstabiliser autrement la Russie ?

C’est une réussite. Pour certains, c’est même une raison valable pour dire que l’offensive n’est pas un échec. J’estime que c’est un élément encourageant, mais qui n’est pas suffisant pour dire que la contre-offensive n’est pas un raté. On a vu que les attaques de missiles longue portée en Crimée et de drones maritimes en mer Noire déstabilisent la Russie. C’est une campagne qui va servir d’exemple d’innovation militaire et qui pourrait déboucher sur une approche plus cohérente de l’Ukraine.

Ukraine
Le lieutenant-colonel Tom Simoens est professeur d'histoire militaire à l'Ecole Royale Militaire (ERM).

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