Les 3 coups de poker que pourrait tenter Poutine pour renverser la guerre
Derrière un discours accusant l’Occident à tort et à travers, Vladimir Poutine s’est montré impassible et confiant dans la réalisation de ses objectifs. Enième coup de bluff? Pour le président russe, la fin de la partie n’a pas encore sonné, mais elle dure bien plus longtemps que prévu. Avec quels jetons pourrait-il encore faire basculer la bataille en sa faveur?
Nous allons régler pas à pas, soigneusement et méthodiquement, les objectifs qui se posent devant nous », a assuré Vladimir Poutine ce 21 février lors de son discours à la nation, près d’un an après le début l’invasion en Ukraine.
Un discours rassurant envers son peuple, qui prend le soin d’omettre les innombrables difficultés rencontrées par les forces armées du Kremlin sur le champ de bataille. En tout état de cause, le conflit s’est enlisé et la Russie ne parvient plus à réaliser de nouvelles percées, malgré une mobilisation massive d’environ 300.000 hommes.
Pour Poutine, les chances de renverser le conflit totalement en sa faveur, tel qu’espéré au début de « l’opération militaire spéciale », s’amenuisent sérieusement avec le temps. Mais quelques théories subsistent.
1. Un grand coup de poker sur Kiev?
Pour le Général français Michel Yakovleff, Poutine ne jouera pas son va-tout dans le Donbass, mais bien sur Kiev. « Je pense que Poutine relancera le coup pour Kiev. C’est son seul moyen pour espérer inverser le cours de la guerre », dit-il dans cette interview. « Il est obligé de faire un coup qui change la guerre. Et je ne vois pas d’autres options que Kiev. Pas forcément dans l’optique de s’en emparer, mais pour faire le siège, bombarder la ville. A partir de là, il pourrait dire, ‘on commence à négocier’. Il se retrouverait alors en position de force ».
Ce n’est pas avec des soldats mobilisés que Poutine va parvenir à prendre Kiev en 2023 alors qu’il n’y est pas parvenu en 2022 avec ses meilleures troupes.
Nicolas Gosset
Pour Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD), l’hypothèse très forte de Yakovleff ne peut pas être écartée, mais doit être considérée avec des pincettes. « Quand on voit la débâcle invraisemblable subie par la Russie en février et mars… je reste dubitatif. Les forces aéroportées russes ont subi des pertes gigantesques, grâce à la résistance de l’armée de terre ukrainienne. »
« Ce n’est pas avec des soldats mobilisés que Poutine va parvenir à prendre Kiev en 2023 alors qu’il n’y est pas parvenu en 2022 avec ses meilleures troupes », note Nicolas Gosset. Et d’ajouter : « Je ne crois pas en l’idée que Kiev est en leurre, qui consisterait à penser que les Russes remettraient un dispositif de serrage autour de Kiev pour espérer faire tomber Zelensky. Cela me semble invraisemblable. »
Pour Christophe Wasinski, professeur en relations internationales (ULB), spécialiste des questions d’armement et de sécurité, l’idée d’un gros coup de Poutine sur Kiev est loin d’être une certitude. « La possibilité ne doit pas être balayée d’un revers de la main. Mais le jeu des prédictions est un exercice délicat. Car ce qui marque les guerres, c’est l’imprévisibilité. Cette invasion, qui dure depuis un an, est en réalité la reprise d’un conflit qui a commencé en 2014. On risque de continuer dans cette usure. C’est l’élément principal qu’on peut craindre, au-delà d’un éventuel assaut sur Kiev. Même si la Russie est moins riche, elle dispose tout de même de moyens considérables. Par ailleurs, on ne sait pas ce qu’il peut advenir d’éventuels soutiens d’autres Etats à la Russie. Comme la Chine ou l’Iran », avance-t-il.
2. La Biélorussie, la carte ultime de Poutine?
« On sait que Poutine tord le bras d’Alexandre Loukachenko, le président de la Biélorussie. Depuis des mois, il tente de lui forcer la main pour engager les forces biélorusses en Ukraine. Mais Loukachenko freine des quatre fers », contextualise Nicolas Gosset.
Pour le chercheur de l’IRSD, le président biélorusse sait qu’engager ses troupes en Ukraine, c’est la garantie de la fin de son propre pouvoir. « Le pouvoir de Loukachenko ne survirait pas à l’intervention de l’armée biélorusse en Ukraine, contre la volonté massive de la population », estime-t-il.
Loukachenko n’exclut pas catégoriquement une intervention en Ukraine, pour ne pas froisser Poutine. « Pour qu’il franchisse le pas de lui-même, il faudrait une attaque ukrainienne sur le territoire biélorusse », poursuit Nicolas Gosset.
Toutefois, un appui biélorusse serait difficilement réalisable sur le terrain. Nicolas Gosset précise : « Le scénario d’une intervention conjointe russe-biélorusse par le nord, opérationnellement et tactiquement, dans les circonstances météorologiques actuelles, ça ne me semble pas possible. Car la frontière entre la Biélorussie et l’Ukraine est principalement constituée de marais. Il n’y a que de rares saignées qui permettent de passer la frontière. Et les Ukrainiens ont significativement renforcé leur dispositif dans le nord. Ce n’est donc pas un scénario qu’on peut exclure, mais il n’est pas vraisemblable à court et moyen terme », indique-t-il.
Si la possibilité d’une invasion biélorusse reste minime, elle oblige tout de même l’Ukraine à rester sur ses gardes à la frontière nord.
Christophe Wasinski
L’aide biélorusse s’apparente donc à une option de dernier recours pour Poutine. « Si, durant le début de l’été, l’Ukraine reprend le dessus, que le Donbass russe occupé se fait grignoter… Là, on pourrait imaginer que Poutine joue son va-tout en poussant Loukachenko à agir. Ce scénario-là est beaucoup plus probable que celui d’une escalade nucléaire », tranche Nicolas Gosset.
Un avis partagé par Christophe Wasinski. « La Biélorussie dispose de moyens limités. Le pays n’a pas le désir marqué d’entrer en guerre avec l’Ukraine de façon frontale ». Il ajoute : « Quand vous menez des opérations, vous avez plutôt intérêt à ce que votre adversaire se sente menacé sur différents fronts, de manière à ce qu’il puisse plus difficilement concentrer ses troupes à un seul endroit. C’est le concept de fixation. Si la possibilité d’une invasion biélorusse reste minime, elle oblige tout de même l’Ukraine à rester sur ses gardes à la frontière nord. Cela peut être avantageux d’un point de vue stratégique pour les Russes », analyse-t-il.
3. Le nucléaire, un all-in à prendre au sérieux
Plus le temps passe, le plus le conflit s’enlise, et plus la menace du nucléaire est brandie à intervalle régulier par le « stratège » russe. Paradoxalement, les deux belligérants considèrent que le temps joue en leur faveur, selon Christophe Wasinski. « Il y aura peut-être une surprise stratégique. Mais le scénario le plus inquiétant, et celui qui semble se profiler le plus clairement, c’est celui d’une guerre d’usure. Elle a commencé comme telle et risque de continuer comme telle », prédit le spécialiste en relations internationales. Et donc, le conflit pourrait bien se finir par un épuisement des deux adversaires plutôt que par un coup retentissant. Cette anéantissement mutuel « pourrait ramener les deux parties à la table des négociations ».
Dans l’histoire récente, les guerres qui ne durent pas longtemps sont d’ailleurs plutôt l’exception que la règle. « En 2003, les Etats-Unis ont conquis l’Irak en un mois, mais y sont ensuite restés embourbés pendant des années. Idem en Afghanistan. Pour la France, cela s’est passé de la même manière au Sahel. Au Yémen, la guerre dure aussi depuis 2015. Tous ces conflits ont pour caractéristiques communes leur longueur », rappelle Wasinski.
Ceci étant, il faut prendre la menace nucléaire de Poutine très au sérieux, selon le spécialiste des questions d’armement et de sécurité. « Même si le risque est limité, ces armes sont tellement destructrices qu’il faut les prendre au sérieux. Je ne pense pas que Poutine tient des discours sur le nucléaire de façon aléatoire. Le timing est très précis, comme par exemple après que l’OTAN annonce de nouvelles aides »
Y-a-t-il cependant un intérêt stratégique à réaliser ce all-in ? « Si on commence à utiliser le nucléaire, c’est vraiment un saut dans l’inconnu. Ce serait humainement catastrophique, car il s’agit d’armes de destruction massive. Envisager leur usage sans qu’il y ait de victimes, c’est impossible », rappelle le professeur de l’ULB.
D’autant plus que leur utilisation romprait avec un certain tabou et avec la norme internationale qui précise qu’elles ne sont pas faites pour être utilisées. Dans cette optique de détachement, le Parlement russe a validé la suspension du traité de désarmement nucléaire avec les Etats-Unis. « Il faut garder en tête que des crises peuvent échapper au rationnel et à tout contrôle. Comme la guerre 14-18. Il convient donc d’être particulièrement précautionneux à propos des menaces nucléaires. » Et, face à un joueur fou, éviter jouer la surenchère.
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