Le soutien à l’Ukraine en danger à cause des élections… slovaques? «Il y aura un glissement»
Dimanche, le parti populiste Smer-SD a remporté les élections législatives en Slovaquie. Le pays soutient l’Ukraine depuis la première heure. Mais l’arrivée au pouvoir de ce parti qui a promis de ne pas envoyer « une seule munition » à l’Ukraine risque-t-elle de fissurer encore un peu plus l’alliance occidentale?
Dirigé par Robert Fico, le parti Smer-SD, a obtenu 23% des voix devant le parti centriste Slovaquie Progressiste qui a recueilli 18% des voix, ce qui signifie que les populistes ont donc besoin de partenaires de coalition pour parvenir à une majorité et former le gouvernement.
Désigné Premier ministre et chargé de former un gouvernement, l’ancien communiste Robert Fico n’en est pas à son coup d’essai : en 2006, le Smer-SD a remporté une victoire écrasante au Parlement, catapultant Robert Fico au poste de Premier ministre, deux ans après l’adhésion de la Slovaquie à l’UE.
Il a alors monté une coalition avec le Parti national slovaque (SNS) d’extrême droite, qui partage sa rhétorique anti-réfugiés et ses penchants populistes, puis a tiré parti de la crise financière mondiale de 2008 et 2009 pour renforcer sa popularité en refusant d’imposer des mesures d’austérité.
Renvoyé dans l’opposition en 2010, il a remporté les élections deux ans plus tard après la chute d’une coalition de centre-droit sur fond d’allégations de corruption. Il a subi une déconvenue en 2014 lorsque ses ambitions présidentielles se heurtent à la victoire d’un novice en politique, le philanthrope Andrej Kiska.
Lors de la crise migratoire en Europe en 2015, Robert Fico a adopté une position ferme à l’égard des migrants, refusant de « donner naissance à une communauté musulmane distincte en Slovaquie » et critiquant le programme européen de quotas visant à redistribuer les réfugiés.
Liens avec la mafia italienne
Le Smer-SD a remporté les élections de 2016, mais le dernier mandat de Robert Fico à la tête du gouvernement s’est achevé deux ans plus tard, après le meurtre du journaliste Jan Kuciak et de sa fiancée. Ce crime a déclenché une vague de protestations antigouvernementales dans toute la Slovaquie, Jan Kuciak ayant dénoncé les liens entre la mafia italienne et le gouvernement Fico dans son dernier article publié à titre posthume. Une coalition anticorruption a pris le pouvoir lors d’élections organisées en 2020, au cours desquelles Robert Fico avait réussi à préserver son siège au parlement.
Jusqu’ici, la Slovaquie avait apporté un fort soutien à l’Ukraine, lui livrant notamment des avions de combat – des MiG-29 de conception soviétique – et réparant les armements utilisés par les soldats ukrainiens. Cependant, Robert Fico a promis durant sa campagne que la Slovaquie n’enverrait pas « une seule munition » à l’Ukraine et a appelé à de meilleurs liens avec la Russie.
Professeur de droit à l’université de Liège, Franklin Dehousse ne s’attend pas pour autant à un impact immédiat sur la guerre en Ukraine. Il rappelle que le Premier ministre n’aura pas les mains libres. « Il y aura un glissement, mais celui-ci ne sera pas monumental. A ce titre-là, la situation n’est pas la même que celle de la Pologne, car même en ayant fait un score honorable, Robert Fico ne fait jamais que 23%. Il devra former une coalition. »
Pas de marge de manoeuvre infinie
« Bien évidemment, la Slovaquie sera plus tiède au niveau du soutien apporte à l’Ukraine, mais Robert Fico subira tout de même une pression ; car dans l’Union la marge de manœuvre n’est pas infinie. Il devra faire des accommodements non seulement avec ses partenaires de coalition, mais aussi avec ses partenaires du Conseil Européen », estime le professeur.
Selon ce dernier, l’élection de Robert Fico sera nettement moins problématique pour l’Ukraine qu’un « revirement constant de la part de la Pologne ». La Slovaquie n’est pas le seul ancien membres du Pacte de Varsovie à voir son aide à l’Ukraine affecté par les élections: après des tensions avec Kiev autour des céréales, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a en effet déclaré que son pays, qui votera le 15 octobre prochain, « ne transférait plus aucun armement à l’Ukraine ». Ces déclarations ont causé un choc, car, tout comme la Slovaquie, la Pologne a été jusqu’à présent un pays phare pour ce qui concerne le soutien indéfectible à Kiev.
Cependant, même si d’autres états membres de l’UE, tels que l’Autriche ou la Bulgarie, se montrent moins enthousiastes dans leur soutien à l’Ukraine, celle-ci n’est pas démunie pour le moment : certains états continuent en effet à faire des transferts, rappelle Franklin Dehousse. « La France vient de livrer des canons, les Britanniques développent des opérations de maintien de matériel, même avec des personnes britanniques sur le territoire ukrainien donc dans une certaine mesure, ce qui passe dans d’autres pays, et particulièrement s’ils sont de taille plus imposante, peut compenser ce qui se passe en Slovaquie », explique le professeur.
Cependant, Robert Fico pourrait constituer un nouvel allié pour Viktor Orban, le Premier ministre hongrois. « Pour le moment, Orban fait du stonewalling [NDLR : de l’obstruction] et paralyse la décision sur les fonds budgétaires pour financer le transfert de matériel et donc cela pourrait renforcer les blocages dans le processus de décision en général », ajoute-t-il.
L’arrivée au pouvoir de Robert Fico en Slovaquie ne constituerait pas la seule brèche dans l’alliance occidentale contre la Russie : moins de dix jours après une visite du président Volodymyr Zelensky à Washington, le Congrès américain a laissé de côté une nouvelle aide à l’Ukraine, à laquelle s’opposent des membres de la droite dure, même si le président Joe Biden se veut rassurant sur la poursuite de son soutien.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici