Ukraine
Dans la région de Donetsk, les Russes parviennent à percer le filet de défense ukrainien. © Anadolu Agency via Getty Images

La Russie crée «des trous dans la raquette» de l’Ukraine: Zelensky forcé à négocier?

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Les troupes russes réalisent des percées importantes dans la région de Donetsk. Sur le champ de bataille, l’aide américaine peine toujours à se faire ressentir. Et la lente arrivée des F-16 ne devrait pas chambouler la situation actuelle. Inéluctablement, l’idée de la négociation s’immisce de plus en plus dans l’opinion publique ukrainienne.

Ce mois d’août 2024 marque déjà deux ans et demi de guerre en Ukraine. Et le temps qui passe n’offre que peu de perspectives positives pour les troupes de Zelensky. Le paquet d’aide américaine peine à se transformer en effets concrets sur le terrain, tandis que les Européens naviguent entre prudence et incapacité à fournir davantage de matériel.

Pendant ce temps, les troupes russes réalisent des percées importantes, puisqu’on parle désormais de plus de 30 kilomètres de gains dans le Donbass en quelques jours. La négociation devient-elle, petit à petit, une option inévitable? Entretien avec Alain de Nève, chercheur à l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD).

Trois mois après les 61 milliards d’aide américaine, les forces ukrainiennes ne parviennent toujours pas à stabiliser le front à l’est. Comment peut-on l’expliquer?

Même si l’argent est le nerf de la guerre, il n’est pas nécessairement la panacée pour permettre de prendre le dessus sur son adversaire. Cette enveloppe de 61 milliards englobait aussi des missiles ATACMS et des systèmes Patriot. A l’unité, ces systèmes coûtent énormément. Derrière l’effet d’annonce, le nombre d’unités est en fait limité. Car à côté de ces systèmes, il faut également compter les munitions qui doivent continuellement les approvisionner.

Par ailleurs, le délai important de livraison est lié aux besoins de maintenance. Chaque lot de munition doit être transporté et conservé de manière optimale: ce sont donc des opérations très complexes à mettre en œuvre.

L’Ukraine souffre également de problèmes plus structurels: l’Occident a beau lui fournir un appui militaire concret, le personnel pour le manipuler fait souvent défaut. Le pays connaît énormément de difficultés pour mobiliser de nouveaux combattants. Il est à flux tendu. Les recruteurs vont même jusqu’à puiser dans les prisons…

Enfin, l’aspect géostratégique pèse dans la balance. Les Russes prennent soin d’élargir au maximum la ligne de front. En sachant pertinemment que les Ukrainiens sont en incapacité de couvrir leurs postes défensifs sur plus de 1.300km. Inévitablement, cela crée des trous dans la raquette. Depuis deux mois, on constate des percées russes à des endroits qui ne semblent pas constituer des points stratégiques. Ces actions sont la traduction un travail d’attrition qui force les Ukrainiens à disperser leurs forces.

Va-t-on tout de même voir les effets concrets de l’aide américaine dans un futur proche?

Les Américains sont entrés dans une course contre-la-montre pour faire en sorte que le maximum de l’aide promise puisse être apportée. Mais il reste à peine trois mois avant les prochaines élections et un possible arrêt de l’aide outre-Atlantique. Zelensky le sait et est entré dans une autre logique: il a fait preuve d’un certain réalisme, en témoigne son ouverture à l’idée que la Russie puisse faire partie de la conférence pour la paix en Ukraine. Ailleurs, le vent n’est pas bien plus favorable: en France, la politique intérieure monopolise l’attention, et en Allemagne, Olaf Scholz garde un cap très ferme. La Pologne va peut-être devenir le seul appui constant. Si le pays est en passe de devenir la première force militaire conventionnelle en Europe, son apport ne peut pas suffire à lui seul.

A cela s’ajoute la lassitude des opinions publiques et politiques occidentales. A l’intérieur de l’UE, la Hongrie joue un double jeu avec la Russie.

Depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine joue sur le temps et l’usure. Il a procédé de la sorte lors de sa seconde campagne militaire en Tchétchénie. La machine industrielle russe a l’habitude de connaître des difficultés et parvient souvent à se remettre en place, bien aidée par les appuis extérieurs tels que celui de la Corée du Nord. Une nouvelle forme d’alliance est en train de se créer, avec le Chine et l’Iran également.

Dans la région de Donetsk, l’avancée des troupes russes se compte désormais en plusieurs dizaines de kilomètres. Faut-il s’en inquiéter?

Oui, parce que les problèmes structurels de l’Ukraine s’inscrivent dans une certaine permanence. Pendant des mois, les combats se déroulaient pour deux ou trois kilomètres carrés et n’aboutissaient pas à des modifications majeures du rapport de force. Ici, les percées sont réalisées sur plusieurs dizaines de kilomètres. Reste à voir si elles peuvent être soutenues dans le temps. La perspective de Poutine n’est plus d’atteindre ses objectifs initiaux, mais plutôt de maintenir sur le terrain un rapport de force de plus en plus avantageux pour la Russie afin qu’elle puisse imposer sa vision lors des négociations.

Le mot négociation est d’ailleurs de plus en plus prononcé du côté ukrainien. Cette étape est-elle maintenant devenue incontournable?

Des éléments montrent que Zelensky a accepté de bouger ses propres lignes. L’idée d’engager une forme de dialogue avec la Russie était d’abord exclu. Jusqu’il y a peu, on pouvait comprendre ce refus catégorique. Car Poutine avait des exigences gigantesques (NDLR: la promesses d’une non-adhésion à l’Otan, le maintien du contrôle russe sur les territoires conquis, etc.). Désormais, on se dirige probablement vers une forme de reconnaissance politique qui, quelque part, accepte que la situation actuelle s’inscrive dans le temps. Poutine a usé de ce même procédé en Géorgie. Cette crainte va très certainement se concrétiser dans les mois à venir.

La Russie continue à attaquer Kiev avec des drones, de façon ponctuelle mais massive. Quelle est l’idée derrière ces attaques?

Créer de la déstabilisation, de la terreur, de l’usure. D’imprimer la menace russe sur l’état psychologique des populations. On constate d’ailleurs une asymétrie dans la logique de ciblage. La Russie tape, un peu à l’aveugle, sur tout ce qui peut lui permettre d’exercer cette terreur psychologique, à savoir essentiellement des infrastructures civiles ou énergétiques. Tout en sachant que son ciblage n’est pas optimal et qu’il met donc les civils en danger. Du côté ukrainien, par contre, les exigences occidentales contraignent les frappes à être dirigées vers des objectifs exclusivement militaires. Ce qui demande un temps de préparation plus important.

Plusieurs témoins visuels font part de l’arrivée de F-16 en Ukraine. Doit-on s’attendre à voir des effets immédiats?

Non. Les F-16 arrivent très tardivement par rapport aux besoins ukrainiens, notamment dans l’optique, l’hiver dernier, de défendre le point central d’Avdiivka. Même si les pilotes sont entraînés, ils doivent multiplier les heures de vols avec l’appareil. Ils seront aussi forcés de se frotter à un environnement opérationnel très hostile. D’autres questions sont en suspens: le ravitaillement régulier des F-16 en munitions ou le type de missions pour lesquelles ils seront dévolus. Enfin, le nombre pose question. Ces F-16 ne sont pas invincibles, et seront les cibles d’éventuelles attaques russes. Dans cette optique, l’Ukraine est parvenue à détruire des systèmes russes S-400 afin de dégager le terrain, parfois de manière étrangement aisée. Ce qui repose la question de l’efficacité de la défense anti-aérienne russe, qui n’est pas toujours au rendez-vous. Malgré tout, l’Ukraine ne va pas disposer pour autant d’une force aérienne suffisamment résiliente avec l’arrivée de ces chasseurs au compte-gouttes.

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