Nicolas Gosset

La perte de Bakhmout pourrait-elle avantager… les Ukrainiens? Les réponses de Nicolas Gosset

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La prise de Bakhmout par Wagner résonne davantage comme une victoire symbolique que stratégique. « Les Ukrainiens y ont retiré un certain nombre de bénéfices, si ce n’est qu’il s’agit de la bataille la plus terrible depuis la Seconde Guerre mondiale », estime l’expert Nicolas Gosset (IRSD).

Nicolas Gosset, Wagner revendique la prise totale de Bakhmout, l’Ukraine dément. Qu’en est-il, selon vous ?

Bakhmout -ou plutôt les ruines de la ville- est sous contrôle de Wagner. Les Ukrainiens ergotent car ils ont encore des hommes dans un square avec quelques immeubles à l’extrême sud-ouest de la ville. C’est minime. En revanche, les Ukrainiens communiquent à escient le fait qu’ils aient progressé sur les flancs nord et sud de la ville. Ce n’est pas de l’intox.

Est-il possible que les troupes de Zelensky parviennent à encercler totalement Bakhmout et piègent les Russes, qui ont le contrôle du centre ?

C’est possible, mais c’est contingent. Prigojine a dit qu’il retirerait ses troupes de Bakhmout le 25 mai, qui seront remplacées par l’armée régulière russe. Il faut voir s’il ne ment pas, car ce n’est pas la première fois qu’il communique de la sorte.

Pour les Ukrainiens, encercler Bakhmout est une vraie possibilité, mais cela reste une hypothèse.

Nicolas Gosset

Si cela se réalise, cela permettrait de libérer Wagner pour aller à Kostiantynivka, par exemple. Les Russes vont intégrer Bakhmout, surtout les arrière-postes dans leur ligne de défense fortifiée. Les Ukrainiens sont-ils capables de continuer à progresser aux alentours de la ville comme ils l’ont fait ces dernières semaines ? Dans les meilleurs jours, ils ont avancé d’un kilomètre et demi. Mais parfois, on parle juste d’une centaine de mètres. C’est compliqué. En revanche, il y a beaucoup de désertion dans les lignes régulières russes. Donc encercler Bakhmout est une vraie possibilité, mais cela reste une hypothèse.

Stratégiquement, la prise de Bakhmout est-elle vraiment décisive ? Les Russes sont-ils capables de continuer leur poussée dans les environs ?

Quand on dit qu’il y a une victoire totale de Wagner à Bakhmout, ok, mais pour faire quoi ? Effectivement, ils tiennent le champ de ruines, mais ils sont complètement bloqués au nord, à l’ouest et au sud. L’idée que Wagner puisse augmenter ses efforts, renfloués par l’armée régulière, pour percer la ligne ukrainienne en lisière de Bakhmout, pousser vers Tchassiv Yar, et continuer vers Kramatorsk et Sloviansk, c’est vraiment très peu probable.

Pourquoi ?

L’automne passé, qui correspond à l’époque de gloire de Wagner, on dénombrait 70.000 hommes. Des chiffres gonflés grâce à un gros recrutement dans les prisons russes. Depuis, ils ont subi des pertes inimaginables -plus de la moitié de leurs troupes- et ne peuvent plus recruter dans les prisons. Les forces vives de Wagner se résument aujourd’hui à 15 ou 20.000 hommes. Tout en sachant que les renforts des lignes de l’armée régulière sont faiblards. On a aussi des informations plus que convergentes selon lesquelles des soldats russes désertent en masse. L’hypothèse qui veut que Wagner puisse continuer à pousser est morte. Cela ne veut pas pour autant dire que les Ukrainiens seront capables de reprendre Bakhmout. Je ne suis d’ailleurs pas convaincu que ce soit leur objectif.

L’Ukraine a-t-elle eu raison de résister autant sur Bakhmout, et ce alors que les Occidentaux étaient relativement contre ?

Les Ukrainiens ont accepté de relever le gant contre Wagner à Bakhmout pour les fixer à un endroit précis, empêcher les efforts de se disperser sur d’autres lignes de front et essayer d’infliger le maximum de pertes possibles. S’ils en ont en subies énormément, ils en ont causées davantage.

Les Ukrainiens ont accepté de relever le gant contre Wagner à Bakhmout pour les fixer à un endroit précis, empêcher les efforts de se disperser sur d’autres lignes de front et essayer d’infliger le maximum de pertes possibles. S’ils en ont en subies énormément, ils en ont causées davantage.

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L’idée était de casser la machine Wagner pour les empêcher d’aller ailleurs, semer le trouble entre Wagner et le ministère de la Défense russe, -des dissensions sont apparues au grand jour au cours de la bataille-, peser sur les stocks de munitions russes… Les Ukrainiens ont quand même retiré un certain nombre de bénéfices, si ce n’est qu’il s’agit de la bataille la plus terrible depuis la Seconde Guerre mondiale. Eux-mêmes en sortent avec un visage passablement tuméfié.

La Russie pourrait-elle en payer le prix fort sur le long terme ?

N’oublions pas qu’à côté de cette bataille de Bakhmout, la soi-disant offensive russe, une sorte de « Donbass 2 », devait avoir lieu cet hiver. Au final, cela s’est résumé à Bakhmout. En acceptant le duel, les Ukrainiens ont imposé aux Russes de maintenir leur politique de vagues d’assaut sur cette ville, de s’épuiser, et d’en sortir avec un choc psychologique incommensurable pour leurs hommes.

Il s’agit donc davantage d’une victoire symbolique que stratégique pour Wagner ? Une sorte de « trophée de propagande » ?

On a envie de dire « enfin une ». Ça leur permet de montrer qu’un an après la chute de Marioupol, il y a maintenant la chute de Bakhmout. Prigojine peut aussi dire à la Russie et à son maître Poutine « j’ai fait le job ».

Si Marioupol était vraiment stratégique, Bakhmout l’est devenu par l’ampleur de la bataille qui s’y est jouée. Mais en soi, la localité n’a rien de tactique.

Nicolas Gosset

Si Marioupol était vraiment stratégique, Bakhmout l’est devenu par l’ampleur de la bataille qui s’y est jouée. Mais en soi, la localité n’a rien de tactique. Avdiïvka, dans la banlieue de Donetsk, est par exemple bien plus importante au niveau des voies de communication. Si les Russes contrôlaient vraiment toute la région de Bakhmout, en débordant de la ville, alors on pourrait parler de point stratégique. A Soledar, un peu plus au nord, la situation est tangente, et cette ville est plus importante que Bakhmout. Au niveau des lignes de communication, mais aussi dans le fait que c’est un verrou important qui donne accès à l’ouest.

Bakhmout

Cette prise de Bakhmout par les Russes pourrait-elle paradoxalement libérer les Ukrainiens ? Dans le sens où ils pourront davantage répartir leurs forces ?

Oui, mais pas entièrement. Car la situation ne permet pas à l’armée ukrainienne de déserter la zone. Puisqu’ils sont dans une logique où ils doivent encore contenir la poche et essayer de faire des percées au nord et au sud pour couper les lignes russes en arrière front. Cela nécessite quand même beaucoup d’hommes. Mais c’est vrai qu’il n’y a plus cette dynamique de combats urbains. Et donc effectivement, ça libère un peu de forces humaines.

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