Kim Jong Un rencontre Poutine: « Le petit Poucet arrive en position de force par rapport à la grande Russie » (entretien)
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un se rend en Russie pour rencontrer le président russe Vladimir Poutine. « Il ne s’agit certainement pas d’une visite amicale ou diplomatique », estime Tanguy Struye, professeur en sciences politiques internationales à l’UCLouvain. Entretien.
Parti dimanche soir de Pyongyang à bord d’un train blindé, Kim Jong Un effectue son premier voyage à l’étranger depuis le début de la pandémie de Covid. Il avait rencontré pour son dernier voyage à l’étranger Vladimir Poutine à Vladivostok en 2019. Kim Jong Un devrait le retrouver dans les prochains jours quelque part dans l’Extrême-Orient russe.
Les experts estiment que ce voyage pourrait porter sur un accord d’armement. Vladimir Poutine chercherait à obtenir des armes et des munitions nord-coréennes pour les forces russes combattant en Ukraine. Pour Tanguy Struye, professeur en sciences politiques internationales à l’UCLouvain, il est clair que la Russie se tourne vers ses alliés pour trouver un soutien militaire.
Est-ce un hasard si Kim Jong Un a choisi la Russie comme destination pour son premier voyage depuis la pandémie?
Tanguy Struye: Non, il faut bien réaliser que Kim est fortement isolé sur la scène internationale. Il y a trois pays avec qui il a une certaine entente et collaboration. D’abord la Chine, qui est une alliée de la Corée du Nord depuis les années soixante, ensuite les Russes, avec qui il y a toujours eu une politique très proche. Et puis l’Iran, avec qui il y a des collaborations au niveau des missiles balistiques. La Russie et la Chine sont un peu ses deux Etats patrons.
Comment faut-il interpréter la rencontre les deux dirigeants ? Est-elle purement symbolique ?
Pas que, car on peut imaginer qu’ils vont discuter de toute une série de dossiers concernant l’Ukraine. Ils s’agira de la manière dont la Corée en Nord pourrait aider la Russie au niveau de ses capacités militaires. Ce ne sera certainement pas une visite amicale ou diplomatique. Il est clair qu’il y a d’autres dossiers en jeu.
La Corée du Nord pourrait-elle vraiment faire la différence en Ukraine?
Non, même si la Corée du Nord est une puissance militaire importante, plus de 25% de son PIB est consacré à l’outil militaire. L’aide peut se faire surtout au niveau des munitions, dans certaines technologies, ou la vente de certaines pièces.
Une autre étape, c’est la vente de matériel sous forme de chars coréens, de blindés coréens etc.. Cependant, il faudra voir si Kim prendra le risque de se mettre encore plus à dos la communauté internationale. C’est évidemment purement spéculatif pour l’instant, mais il est possible de voir des collaborations s’établir au niveau des munitions, éventuellement même aussi de la cybercollaboration.
La Corée du Nord pourrait-elle envoyer des hommes en Russie ?
La rumeur court que la Corée du Nord serait prête à envoyer 50 000 « travailleurs » dans les usines russes, mais ces ouvriers seraient potentiellement des militaires. Ce n’est pas exclu, mais à ce stade c’est une rumeur. Evidemment, la main d’œuvre manque en Russie à cause de la guerre en Ukraine, mais aussi parce que beaucoup de Russes ont quitté le pays. Il est possible que Kim Jong Un envoie des hommes en Russie, car la frontière est facile à passer et donc ce serait facile d’un point de vue pratique.
Vladimir Poutine se voit-il contraint de mendier auprès de la Corée ?
En théorie, c’est la Russie qui est censée pouvoir exercer de la pression sur la Corée du Nord. Et aujourd’hui, les Coréens arrivent en Russie en position dominante, car ce ne sont pas eux qui sont demandeurs, mais les Russes. Les Coréens pourraient obtenir des concessions intéressantes de la part des Russes en échange de capacité militaire. Ce qui est intéressant au niveau des relations internationales, c’est qu’au final le petit Poucet arrive en position de force par rapport à la grande Russie.
Pour Matthew Miller, porte-parole du département d’Etat américain, la Russie en est d’ailleurs réduite à quémander. « Avoir à traverser tout son pays pour rencontrer un paria de la scène internationale afin de lui demander de l’aide dans une guerre qu’il espérait gagner en un mois, je dirais que ça revient à quémander », a-t-il déclaré.
La Russie est-elle affaiblie ?
Clairement, mais il faut veiller à ne pas porter un regard occidental sur sa situation économique. Les standards russes ne sont pas les mêmes que les standards occidentaux. La Russie est une économie de guerre, et il ne faut pas oublier qu’une grande partie de la population vivait déjà dans un certaine pauvreté. Il faut aussi tenir compte de la résilience historique de la population russe. Certes, les sanctions touchent la Russie, certes, elle est affaiblie économiquement, mais elle ne s’est pas effondrée économiquement comme l’avaient prédit les politiques européens. Il y a presque deux ans que la guerre a commencé et l’économie russe est toujours là.
Cela signifie-t-il que le conflit va durer?
Pour l’instant oui. A l’heure actuelle, le front est plutôt gelé, ce qui veut dire que les deux parties peuvent encore gagner des bouts de territoire. Comme la Russie et l’Ukraine sont dans cette logique, elles vont chercher des munitions, des armes, des semi-conducteurs là où elles peuvent. Ces derniers jours, les Ukrainiens ont demandé encore plus d’investissements militaires aux Occidentaux. Au final, les Russes font exactement la même chose de leur côté avec leur potentiel partenaire ou allié. Il n’y a là rien d’illogique. Certains pourraient considérer cette démarche comme scandaleuse, mais c’est une logique purement objective. Si on analyse le conflit, il n’est que normal que la Russie aille chercher chez ses alliés les moyens militaires pour tenir le coup, même s’il faut évidemment faire abstraction de la question éthique. Je ne suis donc pas du tout surpris de cette évolution.
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