Guerre en Ukraine: pourquoi le front reste figé malgré les assauts
Les Russes près de Donetsk et les Ukrainiens à l’est de Kherson testent les défenses de l’ennemi. Les Etats-Unis restent derrière Zelensky.
Joe Biden a beau être un peu âgé, son expérience de politicien rompu aux manœuvres entre démocrates et républicains au Congrès peut être diablement utile en période troublée. Une certaine lassitude de la population américaine, la parole démultipliée, en vue de l’élection présidentielle dans un an, d’un Donald Trump opposé au soutien inconditionnel à l’Ukraine et les tensions exacerbées entre les deux partis historiques pouvaient augurer une remise en cause des aides prévues par les Etats-Unis à Kiev. L’irruption de la guerre entre Israël et le Hamas a permis au locataire de la Maison-Blanche de retourner la conjoncture à son avantage.
Au lendemain de sa visite dans l’Etat hébreu dix jours après les attaques terroristes du Hamas, le président américain a habilement fait le lien, lors d’une allocution télévisée le 19 octobre, entre la guerre en Ukraine et le conflit israélo-palestinien. «L’histoire nous a appris que lorsque les terroristes ne paient pas le prix de leur terreur (NDLR: message au Hamas), lorsque les dictateurs ne paient pas le prix de leur agression (NDLR: message à Vladimir Poutine), ils provoquent davantage de chaos, de morts et de destructions», a développé Joe Biden. Entendez: aider l’Ukraine face à l’agression de la Russie et soutenir Israël face aux abominables attaques terroristes des islamistes palestiniens participe du même combat en faveur de la démocratie et de la bataille du monde libre contre le fascisme. Toute personne sensée pourrait lui opposer que dénoncer l’occupation russe de l’Ukraine sans condamner l’occupation – ou la «bantoustisation» – israélienne des territoires palestiniens révèle une contradiction profonde. Mais l’explication aurait sans doute peu d’effet aux Etats-Unis.
Les forces russes continuent à réengager des vagues de personnel et d’équipement dans la région d’Avdiïvka.
Républicains pris au piège
Ainsi, les élus républicains, mis au défi par le président démocrate, peuvent difficilement hypothéquer l’assistance à Israël, qu’ils appellent de leurs vœux, en déclinant la proposition conjointe d’aides supplémentaires à l’Ukraine, qu’ils étaient tentés de bloquer. Les subventions financières aux deux alliés étant réunies dans un seul «paquet» de plus de cent milliards de dollars, les républicains n’auront d’autre choix que d’y consentir. La guerre israélo-palestinienne potentiellement ravivée par l’Iran pour affaiblir le soutien des Occidentaux à Kiev ne devrait donc pas, dans un premier temps du moins, handicaper les Ukrainiens. Volodymyr Zelensky a remercié Joe Biden pour «le soutien vital» accordé par les Etats-Unis à son pays.
Pertes russes élevées?
Il est d’autant plus précieux que le conflit en Ukraine s’installe définitivement dans le temps long. L’armée de Kiev n’a pas forcé d’avancées significatives depuis des semaines. Au contraire, les Russes ont semblé vouloir opposer une offensive d’envergure à la contre-offensive ukrainienne lancée le 8 juin 2023 avec l’objectif de changer la donne sur le terrain. Cette réaction a pour cadre la localité d’Avdiïvka, à treize kilomètres au nord de la ville de Donetsk occupée. Après de premiers assauts de ses troupes, une plus vaste opération a été lancée les 19 et 20 octobre qui aurait permis à la Russie d’obtenir des gains au nord-est de la ville, selon l’Institut pour l’étude de la guerre, à Washington (ISW). En revanche, la Russie aurait subi de très lourdes pertes à cette occasion. Kiev parle de neuf cents soldats tués et de cinquante chars et véhicules blindés détruits, un bilan qui n’a pas été confirmé de source indépendante.
La stratégie de l’armée russe – déjà observée dans la bataille de Bakhmout – qui n’hésite pas à sacrifier de nombreux soldats pour des avancées symboliques, amène l’Institut pour l’étude de la guerre à s’interroger sur la compétence de la hiérarchie militaire. «Le fait que les forces russes poursuivent le réengagement de vagues de personnel et d’équipement dans la région d’Avdiïvka suggère que leur commandement continuera à donner la priorité à cet axe, malgré les pertes élevées et la faible qualité générale des effectifs engagés dans l’offensive», note l’ISW dans son rapport daté du 22 octobre. D’après les derniers chiffres du ministère britannique de la Défense, 150 000 à 190 000 soldats russes auraient été tués ou blessés à vie depuis le début du conflit, il y a vingt mois.
La bataille d’Avdiïvka ne semble donc pas de nature à ébranler la défense ukrainienne, même si elle requiert d’y mobiliser des troupes qui auraient pu être utilement employées sur une autre zone de la ligne de front. Le triangle constitué par les localités de Robotyne, Novoprokopivka et Verbove, au sud de la ville de Zaporijia, reste le foyer principal de confrontation entre les deux belligérants. Mais là non plus, aucune évolution apparente importante n’a été observée depuis plusieurs semaines.
Dans ce contexte, la percée annoncée de centaines de militaires ukrainiens dans une région où les positions étaient figées depuis la destruction du barrage hydro- électrique de Kakhovka, le 6 juin 2023, a pu apparaître comme les prémices d’une offensive surprise. Ils avaient en effet franchi le fleuve Dniepr à l’est de Kherson et étaient potentiellement en mesure de s’emparer de plusieurs villages sur sa rive gauche, brisant ainsi la première ligne de défense russe. Mais l’information annoncée par des blogueurs russes spécialisés dans les questions de défense et prompts à alerter sur les failles du dispositif de leur armée, n’a pas reçu de véritable confirmation de la part de l’état-major ukrainien.
Incursion opportuniste pour tester la défense russe ou coup d’éclat sans lendemain pour doper le moral des troupes? L’incertitude prévalait en milieu de semaine sur la signification de ce fait de guerre. Les conditions météorologiques peu propices au déplacement de blindés s’installant sur les terres du sud de l’Ukraine, le sentiment se répand que la contre-offensive ukrainienne n’offrira pas d’avancées majeures avant 2024.
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