Face à la guerre, nécessité fait loi dans la Vivaldi
La Vivaldi est restée unie dans le soutien à l’Ukraine. La nécessité a fait loi jusqu’à présent dans cet attelage où les sensibilités à l’égard de la guerre et de la chose militaire sont éloignées, entre une tradition atlantiste ancrée à droite et au centre et une tradition davantage marquée par le pacifisme à gauche.
Le 23 février pourtant, à la veille de l’invasion russe, le gouvernement témoigne d’un soutien très limité. L’Ukraine réclame des armes. Lors d’une conférence de presse, la Belgique annonce l’envoi de matériel humanitaire, l’ouverture de l’Hôpital militaire aux blessés de guerre ukrainiens, du matériel militaire non létal… mais pas d’armes. Justification: le pays doit maintenir sa capacité opérationnelle au sein de l’OTAN et les stocks sont vides. Le surlendemain, devant les caméras de télévision, la ministre des Affaires étrangères, Sophie Wilmès (MR), juge qu’il faut aller plus loin et envoyer des armes « si c’est possible ». Comme d’autres pays européens, la Belgique changera son fusil d’épaule. Elle ira chercher ce dont elle dispose encore après 20 ans de coupes budgétaires et se concertera avec l’industrie de la Défense pour envoyer encore du matériel. À ce jour, le montant de l’aide militaire s’élève à 223,4 millions d’euros. Parallèlement, l’armée belge s’est déployée dans le cadre de l’OTAN en Roumanie et dans les Pays baltes.
Le gouvernement a échappé à la controverse sur l’envoi de chars puisque la Défense belge s’est séparé de ceux-ci dans le passé. Mais il ne peut complètement esquiver la question: certains de ces engins se trouvent encore en Belgique dans les entrepôts de société privées. Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas souhaité les racheter, entre autres pour une raison de prix demandé, au contraire du Royaume-Uni qui en a récupéré une partie pour les envoyer en Ukraine. Le débat n’est toutefois pas clos: la Défense étudie la possibilité de contribuer à l’initiative allemande, néerlandaise et danoise de livrer 100 chars Leopard 1 dont des exemplaires se trouvent dans ces entrepôts.
Les sanctions européennes infligées à la Russie ont quant à elles entraîné un bouleversement politique de taille. Coulée dans le marbre d’une loi depuis 2003, la sortie complète du nucléaire en 2025 a vécu. Les écologistes mais aussi l’Open Vld, parti du Premier ministre, ont dû concéder que celle-ci n’était plus tenable. Deux réacteurs seront prolongés pour une durée de dix ans et la possibilité de prolonger trois autres réacteurs pour une durée plus limitée est à l’étude. Parallèlement, 100 millions d’euros seront investis en 4 ans dans le développement de petits réacteurs modulaires (les « SMR »). Et l’histoire n’est sans doute pas finie: la machine politique est enclenchée pour aller plus loin, sans doute sous la prochaine législature.
Autre évolution notable: la part du PIB affectée à la Défense. Comme d’autres pays européens, la Belgique reste en deçà, voire très en deçà de l’objectif de 2%. Le département a subi des coupes claires durant les 20 années écoulées. Après le programme d’investissement consenti sous la législature précédente, la Vivaldi s’est engagée dans « une reconstruction » du département sous l’égide de la ministre Ludivine Dedonder (PS). Au début du conflit, un accord a été trouvé pour porter la part du budget Défense à 1,54% du PIB. Mais, à la veille d’un sommet de l’OTAN en juin, le Premier ministre Alexander De Croo en voulait plus. Il a dû vaincre les réticences écologistes, et en partie socialistes, pour obtenir un accord sur un accroissement à 2% mais d’ici à 2035 seulement.
Au sortir de la crise sanitaire, la Belgique s’attendait comme les autres pays européens à une relance en fanfare. La guerre en Ukraine a douché ces espoirs. Avec des caisses déjà vidées par le Covid, les différents gouvernements ont dû consentir des mesures de soutien pour aider ménages et entreprises à affronter la flambée des prix de l’énergie. Or, aujourd’hui, les exigences budgétaires se resserrent et un mois de mars difficile est à prévoir pour parvenir à ajuster le budget alors que la crise est loin d’être finie.
Le soutien à l’Ukraine, y compris militaire, jouit d’une quasi-unanimité dans la classe politique belge. Une partie de l’opposition et certains dans la majorité estiment même qu’il faut en faire plus. Seul le PTB a fait entendre une voix discordante, allant même jusqu’à provoquer un tollé le jour même de l’invasion quand, à la tribune de la Chambre, un député a pointé du doigt une part de responsabilité des pays occidentaux et de l’Ukraine elle-même dans le déclenchement du conflit. S’il condamne l’invasion russe, le parti marxiste reste fidèle à son refus de l’alliance atlantique et s’oppose à un soutien armé de l’Ukraine ainsi qu’à la politique de sanctions. Le sujet a régulièrement enflammé les débats dans les différents parlements du pays, et a donné lieu à des mises au point des communistes mais jamais à un changement de ligne politique.
« La paix a beaucoup plus de valeur que les diamants, les accords (économiques) avec la Russie, les bateaux russes dans les ports, le pétrole et le gaz russes », avait lancé le 31 mars le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, quand il s’est exprimé par vidéoconférence devant la Chambre. Si la Belgique n’a pas renâclé devant les sanctions touchant l’énergie, leur potentielle future application aux diamants russes suscite plus de difficultés.
Anvers, plaque tournante du commerce mondial du diamant, pourrait en faire les frais au profit de Dubaï, par exemple. Ces pierres précieuses ont jusqu’à présent échappé aux trains de sanctions européennes mais les autorités nationales sont conscientes que cette situation risque de prendre fin. La Belgique œuvre donc avec d’autres pays, y compris hors Europe, à mettre en place un mécanisme de traçabilité des diamants comme elle l’a fait pour les « diamants du sang » venant d’Afrique. En attendant, dans la majorité, les écologistes et Vooruit ont déjà insisté pour que cette exception diamantaire prenne fin.
Pour ce qui est des sanctions financières, la Belgique a fait son devoir, a-t-elle assuré. En raison de la présence d’établissements financiers internationaux sur son sol, les montants concernés ne sont pas minces: les transactions russes gelées représentent 191 milliards d’euros et les avoirs gelés 58 milliards.
Le conflit est loin d’être fini. Une nouvelle offensive russe est attendue au printemps et les Occidentaux seront appelés à poursuivre leur effort de guerre. Même si le spectre de la récession s’éloigne, dans un contexte de rigueur budgétaire, cet effort pèsera lourd. Le poids des sanctions ne manquera pas à nouveau d’être évoqué, la question des réfugiés aussi. Et la nécessité d’un soutien plus structurel à l’Ukraine, notamment militaire, se fera sentir.
Le 26 novembre, M. De Croo s’était rendu à Kiev aux côtés de la nouvelle ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib. Il était l’un des derniers dirigeants européens à faire le déplacement dans la capitale ukrainienne. « Nous continuerons à vous aider tant que cela sera nécessaire », avait-il alors affirmé au président Zelensky.