Un véhicule militaire ukrainien passe devant un immeuble d'habitation touché par l'artillerie russe qui brûle au loin, le 14 février 2023 à Bakhmut, en Ukraine. © Getty

En Ukraine, la bataille de Bakhmout au point de bascule: « On se fait tirer dessus comme dans un stand de tir »

Ces derniers jours, les forces russes ont revendiqué des gains autour de Bakhmout, notamment au nord, accentuant leurs efforts d’encerclement de la ville où les deux camps ont essuyé de lourdes pertes depuis l’été. Reportage sur place.

Sirène hurlante, une ambulance roule en trombe vers un centre de triage de soldats ukrainiens blessés à l’extérieur de Bakhmout, théâtre de la plus longue et la plus sanglante bataille depuis le début de l’invasion russe. Ivan, un ambulancier, attend au bord de la route l’arrivée de blessés toujours plus nombreux à mesure que les combats se durcissent. Strié de tranchées, pilonné par l’artillerie, le champ de bataille lui rappelle la Première guerre mondiale. « Là-bas, c’est comme Verdun », soupire-t-il. 

Comme en 1916 dans l’est de la France, la bataille de Bakhmout est extrêmement violente et meurtrière. Son issue est devenue une question symbolique alors qu’approche le premier anniversaire du début de la guerre, le 24 février. Moscou veut obtenir sa première victoire significative après des mois de revers, mais Kiev est déterminé à tenir bon. Et à mesure que les deux camps se retranchent, le coût humain, pour les troupes comme pour les civils, a éclipsé l’importance stratégique de contrôler cette ancienne ville industrielle réduite en ruine dans ses quartiers est, nord et sud.

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Tenir « aussi longtemps » que possible

« C’est un problème classique de la Première guerre mondiale », estime Mark Cancian, un analyste du groupe de réflexion américain CSIS (Center for Strategic and International Studies). Après l’échec des premières tentatives russes d’encercler les forces ukrainiennes à Bakhmout, Moscou a « continué à attaquer » même si une victoire « ne voudrait rien dire en terme militaire et stratégique ».

« Il y a beaucoup de symbolisme donc s’ils capturent Bakhmout, ils feront comme si c’était important, mais ça ne l’est pas », poursuit cet ancien officier des Marines, qui concède que les options ukrainiennes sont limitées. « Si c’est là que les Russes attaquent, les Ukrainiens n’ont pas d’autre choix que de défendre » la ville, estime-t-il. Selon les services de renseignement britanniques, l’avancée russe a été stoppée mais la pression demeure.

De quoi justifier les appels répétés du président ukrainien Zelensky à recevoir plus d’armes des pays occidentaux. L’armée défendra Bakhmout « aussi longtemps qu’elle le pourra », a-t-il martelé. Mais cette bataille n’est pas qu’une affaire d’armes de haute précision. Pour Oleksandre Kovalenko, un analyste militaire ukrainien, Kiev a surtout besoin de recevoir de l’artillerie et des munitions standards. « Si ça n’arrive pas, alors nous aurons de sérieux problèmes à Bakhmout », assure-t-il.

« L’énorme avantage » russe

Sur le terrain, les soldats ukrainiens expriment le même besoin. « L’ennemi a un énorme avantage en matière d’artillerie« , expliquait fin janvier à l’AFP Iouri Kryjbersky, un officier de 37 ans: « Vous pouvez vous asseoir dans une cave à Vassioukivka (un village au nord de Bakhmout également sur la ligne de front, ndlr) pendant une demi-heure et entendre 40 obus passer ». L’autre avantage russe, c’est le nombre, qui impressionne ce sergent ukrainien répondant au nom de guerre d’Alkor: « On tire, on tire et on tire mais après cinq minutes, 20 hommes supplémentaires arrivent face à nous ».

Kiev subit aussi de lourdes pertes. Le major Volodymyr Leonov, des forces de défense territoriales ukrainiennes, affirme avoir eu une dizaine de blessés dans ses rangs en trois jours, en janvier. Et cinq de ses soldats, tués, n’ont pas pu être récupérés. « Nos gars sont motivés, tout le monde est venu pour se battre », assure-t-il à l’AFP: « Mais quand il n’y a pas d’appui d’artillerie, qu’il n’y a pas de blindés, on se fait simplement tirer dessus, comme dans un stand de tir ».

Des équipes d’artillerie ukrainiennes tirent en direction des positions russes à Bakhmut. L’artillerie continue de jouer un rôle important dans la guerre contre les forces russes. (Photo de Madeleine Kelly/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

La vie dans les abris

Aucun camp ne communique sur ses pertes mais Ukrainiens comme Russes décrivent la bataille de Bakhmout comme la plus sanglante de la guerre. Parallèlement aux affrontements sur le terrain, une guerre des mots fait rage entre Ukrainiens et Russes.

Immeubles en feu, restes d’obus ou neige ensanglantée jonchée de chair humaine: les signes des combats dans la ville assiégée sont effectivement visibles quasiment partout. Selon les autorités, plus de la moitié des bâtiments de Bakhmout ont été détruits. Le pont qui enjambe la petite rivière traversant la ville n’est plus qu’un enchevêtrement de planches, de pneus et de palettes.

Natalia Chevtchenko, qui l’emprunte chaque jour pour aller chercher de l’eau potable, s’est habituée au sifflement des obus. « Je vis à la cave en ce moment. Quand je sors, je suis comme une taupe, mes yeux doivent s’habituer à la lumière », raconte cette habitante, l’une des 6.500 personnes ayant choisi de rester à Bakhmout. A 38 ans, elle a essayé deux fois de quitter la ville. La première fois, en avril, son fils de 16 ans a été tué avec 60 autres civils par un missile ayant frappé la gare de Kramatorsk, la principale ville contrôlée par Kiev dans la région. La deuxième fois, elle a eu un accident de voiture. « J’ai assez essayé« , confie-t-elle. Elle est aujourd’hui bénévole dans un des centres humanitaires de Bakhmout, où elle nourrit et réchauffe la population alors que l’hiver rend cette existence déjà précaire plus difficile encore.

Les forces ukrainiennes se préparent à un nouvel assaut, creusant de nouvelles tranchées pour tenter de contenir l’offensive russe.

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