Comment les Occidentaux sont officieusement présents en Ukraine (et depuis longtemps)
Les Occidentaux ne sont pas présents en Ukraine sous la forme de troupes à proprement parler. Mais la mise en place de certains systèmes d’armes ne pourrait être réalisée sans la présence d’opérateurs des pays fournisseurs, souligne le chercheur Alain De Neve (IRSD).
S’il voulait attirer l’attention, c’est gagné. Depuis qu’il a affirmé « ne pas exclure » la présence des Occidentaux en Ukraine, ligne rouge pourtant fixée par tous les membres de l’Otan, le président français Emmanuel Macron s’est attiré toutes les foudres, à quelques défenseurs près.
La polémique permet toutefois de questionner les formes de présences occidentales en Ukraine. Si aucun soldat n’est officiellement au front (hormis les volontaires étrangers non reconnus officiellement), l’Europe et les Etats-Unis sont bien présents sur le sol ukrainien, la plupart du temps de manière très officieuse.
La semaine dernière, le New York Times a dévoilé une grande enquête qui démontrait comment la CIA était omniprésente en Ukraine depuis 2014. Selon le quotidien américain, la Central Intelligence Agency détiendrait pas moins de douze bases secrètes réparties sur le territoire ukrainien. Ces révélations mettent en exergue à quel point le renseignement occidental est développé, voire carrément intégré au fonctionnement de l’Ukraine. En 2022, la CIA était d’ailleurs la première à alerter sur l’invasion russe imminente. Elle aurait aussi fait éviter plusieurs tentatives d’assassinat sur Zelensky, entre autres.
Occidentaux en Ukraine: une présence indispensable
Le renseignement n’est pas la seule forme de présence occidentale en Ukraine. « Des techniciens, des formateurs et des opérateurs sont sur le sol ukrainien, déjà depuis 2014 », rappelle le chercheur Alain De Neve (IRSD), spécialiste des questions de défense. Entre 2015 et 2022, de nombreux efforts ont été fournis pour élever les forces ukrainiennes à des standards Otan. En réalité, tout avait été mis en place par les Occidentaux pour permettre à l’Ukraine de réagir au moment venu ».
Par exemple, des opérateurs français et britanniques sont forcément présents sur le territoire ukrainien pour la bonne utilisation des missiles de croisière SCALP-EG/Storm Shadow. Il ne s’agit pas de troupes à proprement parler, mais plutôt de techniciens dont la tache consiste à s’assurer que toutes les conditions d’emploi soient remplies. « C’est juste un secret de polichinelle. Ils permettent la maintenance, l’adaptation et le suivi de l’utilisation de ces missiles », assure Alain De Neve.
Des techniciens, des formateurs et des opérateurs sont sur le sol ukrainien, déjà depuis 2014. Entre 2015 et 2022, de nombreux efforts ont été fournis pour élever les forces ukrainiennes à des standards Otan.
Alain De Neve, chercheur
Les dispositifs d’appui permettent aussi de rester dans l’espace aérien d’un pays ami tout en contrôlant en partie l’espace aérien ukrainien. « Des avions de reconnaissance opèrent sans pénétrer l’espace aérien ukrainien mais avec un radôme d’une portée de 400 kilomètres. La densité de trafic aérien aux frontières de l’Ukraine est effarant, souligne Alain De Neve. Donc tout est mis en œuvre depuis longtemps pour fournir un appui en matière de reconnaissance et de surveillance. » Ce qui fait dire au chercheur qu’ « il n’y a rien de neuf sous le soleil avec cette fausse polémique déclenchée par Macron. »
Occidentaux en Ukraine: craintes et hypocrisie
Suite à la petite bombe lancée par Macron, la levée de boucliers presqu’unanime des membres de l’Otan traduit « un mélange de crainte et d’hypocrisie », selon Alain De Neve. « On observe cette réticence réflexe chez la plupart des dirigeants européens, qui craignent une réaction épidermique russe. Or, ce sont surtout les médias propagandistes russes qui extrapolent, mais les décisions militaires ne vont pas dans ce sens », fait-il remarquer. Selon lui, l’Etat major russe « engage même beaucoup de réflexion avant d’agir. Poutine n’en espérait pas tant, poursuit-il. Les Européens lui ont donné un parfait indicateur quant à leur manque de détermination. »
Les réticences européennes et américaines, ce n’est pas tant de fournir des capacités, mais bien de savoir si elles sont utilisées de manière efficiente.
Alain De Neve, chercheur
Des instructeurs pour une utilisation plus efficace des munitions
Par ailleurs, la grande préoccupation des Européens est surtout « de savoir comment et à quelles fins leurs livraisons seront utilisées. Ce qu’on a souvent reproché aux Ukrainiens, c’est de se disperser sur plusieurs fronts et d’avoir trop étendu leurs lignes opérationnelles. Alors qu’il aurait peut-être fallu concentrer les forces, observe le chercheur. Les réticences européennes et américaines, ce n’est donc pas tant de fournir des capacités, mais bien de savoir si elles sont utilisées de manière efficiente. »
A cet égard l’Ukraine « a parfois été une trop grande consommatrice. C’est pour cette raison, aussi, que des instructeurs se sont rendus en Ukraine pour expliquer comment utiliser les munitions avec plus de parcimonie. Dans l’autre côté, la Russie a, grâce aux livraisons iraniennes et nord-coréennes, le luxe de pouvoir gâcher davantage de matériel », compare De Neve.
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