Zaporijia
La centrale nucléaire de Zaporijia a été le théâtre, les 19 et 20 novembre, de bombardements de provenance indéterminée, ravivant le spectre d’une catastrophe nucléaire. © getty images

Ukraine: pourquoi Zaporijia est aujourd’hui un enjeu central dans la guerre

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les ambitions ukrainiennes après la reconquête de Kherson et la stratégie russe de destruction des infrastructures électriques renforcent l’intérêt stratégique du site nucléaire. Il est pourtant impératif d’éviter une bataille pour son contrôle.

Le péril immédiat est écarté. Mais la crainte générale demeure. La centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia, la plus grande d’Europe avec ses six réacteurs VVER-1000, a été le théâtre de nouveaux bombardements les 19 et 20 novembre, ravivant la crainte d’une catastrophe retentissante. Si le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, s’est voulu rassurant, le 22 novembre, au vu des conclusions de ses experts sur place, l’évolution du conflit depuis la reprise de Kherson par les Ukrainiens incline à penser que Zaporijia restera un sujet d’inquiétude majeur dans les semaines à venir.

Il n’y a pas de problème immédiat de sûreté et de sécurité nucléaires. Les équipements clés sont intacts malgré les dégâts importants subis, a indiqué en substance l’AIEA à propos des bombardements de provenance indéterminée qui ont touché non pas les réacteurs mais certains bâtiments du site, dont un hall dans lequel sont stockés des combustibles frais. L’Institut pour l’étude de la guerre de Washington (ISW) a fait état, dans une note publiée le 21 novembre, d’une vidéo, postée par des combattants tchétchènes et relayée par un blogueur militaire russe, qui indiqueraient que des tirs sur Zaporijia ont été opérés au départ d’un territoire sous contrôle russe au sud du site.

Transformer cette infrastructure en enjeu stratégique de guerre relève de l’inconscience.

Sur la ligne de front

Il est important de rappeler que la centrale est située quasiment sur la ligne de front entre belligérants dans l’oblast de Zaporijia, officiellement annexée par la Russie le 30 septembre dernier. Les installations sont localisées à Enerhodar, sous contrôle de l’armée russe qui en a pris possession dès les le début du mois de mars 2022. La ville de Zaporijia, à 60 km plus au nord, est, elle, toujours aux mains des Ukrainiens. Elle est régulièrement la cible de violents bombardements de la partie russe. Or, la reconquête, le 11 novembre, de la ville de Kherson, située plus au sud, ouvre potentiellement la voie à un déplacement des combats de haute intensité dans une zone qui ne serait pas éloignée de Zaporijia, et encore moins d’Enerhodar. Une des hypothèses avancées par les experts militaires est que l’armée ukrainienne, pour éviter les lignes de fortification établies sur la rive orientale du Dniepr en face de Kherson et opérer une manœuvre d’encerclement des troupes russes qui y sont stationnées, lance une offensive en direction de Melitopol, ce qui couperait en outre la continuité territoriale que les Russes ont réussi à forger entre la Crimée et le Donbass. Si ce plan est mis en œuvre, l’armée ukrainienne devrait opérer la traversée du Dniepr et une percée sur le terrain, à proximité, au sud ou au nord, du site de la centrale nucléaire.

Début septembre, le directeur général de l’AIEA Rafael Grossi s’était rendu sur le site de la centrale et avait appelé à l’établissement d’une zone de protection.
Début septembre, le directeur général de l’AIEA Rafael Grossi s’était rendu sur le site de la centrale et avait appelé à l’établissement d’une zone de protection. © getty images

La stratégie de destruction des infrastructures énergétiques, lancée par la Russie le 10 octobre dernier après l’attaque contre le pont de Crimée, renouvelée le 30 octobre après celle contre la flotte russe au large de Sébastopol, et poursuivie le 15 novembre à la suite de la reprise de Kherson par l’armée ukrainienne, rend aussi plus crucial le contrôle de la centrale nucléaire de Zaporijia. Aujourd’hui à l’arrêt, elle a la capacité de fournir 20% de l’électricité dont l’Ukraine a besoin, et d’alimenter quatre millions de foyers. Etant donné les dommages causés par l’armée russe aux autres installations électriques ukrainiennes, la reconnecter au réseau permettrait de pallier le déficit d’approvisionnement et de soulager les souffrances d’une partie de la population.

La sanctuarisation de la centrale de Zaporijia est urgente avant la prochaine offensive ukrainienne. Elle est cependant peu probable.

Stocks de combustible

Transformer cette infrastructure en enjeu stratégique de guerre relève de l’inconscience, raison pour laquelle le directeur général de l’AIEA a rappelé la nécessité d’établir «une zone de sécurité et de protection autour de la centrale», comme il l’avait déjà fait le 6 septembre dernier après un précédent incident.

Trois scénarios pourraient entraîner de graves conséquences pour les installations, a rappelé Rafael Grossi. Une attaque directe sur un réacteur: vu le «degré de protection et de robustesse énorme» des édifices construits en 1985, il faudrait qu’elle soit soutenue pour représenter un danger. Une interruption totale de l’approvisionnement en électricité du site, qui pourrait provoquer une fonte des réacteurs sous la chaleur: la centrale dispose de générateurs de secours, et, hormis une courte interruption en août, l’alimentation a toujours été assurée. Une attaque qui endommagerait les lieux de stockage de combustible frais prêt à l’utilisation, ou ceux de stockage des combustibles usés: elle provoquerait «une situation d’émergence radiologique» dont la gravité dépendrait de la quantité de combustible atteint. C’est le scénario le plus plausible, auquel auraient pu conduire les bombardements des 19 et 20 novembre.

La sanctuarisation de la centrale de Zaporijia est donc urgente avant la prochaine offensive ukrainienne. Elle est cependant peu probable sachant la position de force et de chantage potentiel de la Russie sur le site.

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