Ukraine: pourquoi la rencontre Xi-Poutine ne présage pas une médiation dans le conflit
La rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine à Moscou ne préfigure pas une médiation dans la guerre. L’antioccidentalisme prévaut.
On n’ose plus trop claironner à Moscou, comme on le faisait au début de la guerre, que l’«offensive militaire spéciale» en Ukraine suit son cours selon «le plan établi». Trop d’échecs militaires ont ruiné cet optimisme. Mais Vladimir Poutine, lui, s’évertue à donner tous les signes de la normalité qui sied à un chef de guerre serein.
En quatre jours, il a effectué une visite en Crimée, à la date du neuvième anniversaire de son annexion par la Russie, le 18 mars 2014, opéré un premier déplacement éclair à Marioupol, à l’intérieur des territoires occupés par son armée en Ukraine depuis le déclenchement de la guerre de 2022, et accueilli en grande pompe, pour un séjour de deux jours à Moscou, les 20 et 21 mars, son homologue et allié chinois Xi Jinping.
«Même pas peur», a semblé lancer à la face du monde le président russe dans la foulée de son inculpation, le 17 mars, par la Cour pénale internationale (CPI) pour «déportation illégale», en l’occurrence celle d’enfants ukrainiens emmenés par les autorités vers la Russie à la faveur de l’occupation. Vladimir Poutine a poussé le cynisme jusqu’à visiter, à Sébastopol, en Crimée, le lendemain de cette annonce, un centre pour enfants et une école d’art.
La gravité de l’inculpation de la CPI, même si l’institution peut légitimement apparaître en partie instrumentalisée par l’Occident, a été rappelée par le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, à l’adresse cette fois-ci du président chinois Xi Jinping, qui vantait la solidité du partenariat sino-russe devant son hôte Vladimir Poutine. «Le fait que le président Xi se rende en Russie quelques jours après l’émission, par la Cour pénale internationale, d’un mandat d’arrêt contre le président Poutine suggère que la Chine ne ressent aucune responsabilité dans le fait d’exiger des comptes à la Russie pour les atrocités commises en Ukraine. Au lieu de les condamner, elle préfère fournir une couverture diplomatique permettant à la Russie de poursuivre ses crimes», a commenté le chef de la diplomatie américaine.
La Chine ne se sent pas responsable d’exiger des comptes à la Russie pour les atrocités commises.
Emanant d’un dirigeant d’un pays qui ne reconnaît pas la Cour pénale internationale, la réaction d’Antony Blinken avait une portée limitée au titre de la défense des droits humains. Elle visait avant tout à disqualifier la politique de la Chine et, en particulier, sa prétention à jouer un rôle de médiatrice dans le conflit en Ukraine. Comment pourrait-elle être respectée par les deux parties en conflit alors qu’elle couvre les crimes de l’une d’entre elles?
Les entretiens qu’a eus Xi Jinping avec Vladimir Poutine à Moscou ne reflètent à vrai dire que très peu une volonté de médiation. Débarqué comme «un empereur qui daigne visiter un vassal affaibli qu’il s’agit de conforter», selon la formule de Valérie Niquet, spécialiste Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, le président chinois s’est surtout affiché en allié solide de la Russie face à l’Occident. Seul un entretien ultérieur avec Volodymyr Zelensky pourrait infirmer cette impression. En attendant, tout juste peut-on noter que la «ligne rouge» de la livraison d’armes à la Russie, qui aurait définitivement fait basculer Pékin dans son camp, n’a pas été franchie. Cela n’empêche pas non plus les deux puissances de développer leur partenariat au nom d’une aversion partagée à l’égard de la démocratie libérale occidentale.
«Poutine fait partie des dictateurs issus de sociétés qui ont été très marquées par des politiques soit séculières, soit athéistes très volontaristes, explique l’historien Jean-François Colosimo pour expliquer cette convergence. C’est le cas de Recep Tayyip Erdogan en Turquie, qui restaure le culte musulman dans Sainte-Sophie, de Xi Jinping en Chine, qui ne cesse de citer Confucius dont les gardes rouges brûlaient les écrits, de Narendra Modi en Inde, qui veut réhindouiser l’Inde comme les islamistes veulent réislamiser l’islam. C’est le cas, depuis 1979, de l’Iran. Ce club antioccidental fonctionne avec le même carburant. Comme ils ont épuisé les ressorts de la société traditionnelle et que leur politique basée sur les systèmes séculiers n’a pas fonctionné, ils exhument le vieil arsenal de la religion pour se réarmer.»
Plus qu’un jalon vers une négociation, la visite de Xi Jinping en Russie a surtout posé une nouvelle pierre au renforcement de l’alliance russo-chinoise, confortant ainsi une confrontation de bloc à bloc. Au moment où Vladimir Poutine recevait son allié chinois, Volodymyr Zelensky accueillait le Premier ministre japonais Fumio Kishida, dernier dirigeant du G7 à effectuer une visite à Kiev depuis le début de la guerre… La confrontation s’exportera-t-elle en Asie?
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