La vague de bombardements par la Russie, le 10 octobre, a touché simultanément une vingtaine de villes ukrainiennes, une première depuis le début de la guerre. © getty images

Ukraine: pourquoi la démonstration de force de Poutine est un aveu de faiblesse

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

En bombardant massivement les villes ukrainiennes et les infrastructures électriques, Vladimir Poutine veut terroriser la population et désorganiser l’Etat. Mais l’opération n’affecte pas l’ascendant de l’armée ukrainienne sur le front de la guerre.

L’Ukraine a connu d’autres séquences de bombardements urbains, sur la capitale à l’entame du conflit, sur Kharkiv à l’est et sur Lviv à l’ouest, sur Odessa, Zaporijia, Dnipro… Cependant, jamais une opération russe n’avait ciblé simultanément autant de municipalités – une vingtaine – que celle menée au matin du 10 octobre. Les positions ukrainiennes sur les fronts du Donbass et du sud du pays n’ayant aucunement été touchées, l’utilité de l’opération est légitimement questionnée.

Nicolas Gosset: «L’Ukraine entre dans une course contre-la-montre»

Dans l’entendement poutinien, il y a d’abord la force du symbole. Menée deux jours après l’attaque à l’explosif contre le pont de Kertch, ouvrage inauguré en 2018 par le président en personne pour parachever le retour de la Crimée dans le giron russe quatre ans après son annexion, l’opération avait valeur de vengeance. Cela d’autant plus que les ultranationalistes russes pressaient Vladimir Poutine de réagir durement aux revers consécutifs de l’appareil militaire. Enchaînement temporel opportuniste puisque une attaque d’une telle ampleur ne peut pas se préparer en 48 heures. Qu’elle ait été organisée dès le 2 octobre comme l’a affirmé le Renseignement ukrainien est plausible. Elle aurait donc d’abord été conçue comme des représailles à la reconquête par l’armée ukrainienne, en septembre, de territoires occupés par les Russes dans le Donbass et dans la région de Kherson. Un acte de vengeance a donc coûté la vie à au moins une vingtaine d’Ukrainiens le lundi 10 octobre.

Il peut y avoir des pannes temporaires d’électricité, mais il n’y aura jamais de panne de confiance en la victoire.

Atteindre le moral

Terroriser la population est le deuxième objectif poursuivi par l’opération. Selon les médias ukrainiens, les 84 missiles de croisière et balistiques ainsi que les 24 drones iraniens Shahed-136 utilisés à cette occasion ont endommagé des immeubles résidentiels pour plus de la moitié des cibles. Des sites liés à l’infrastructure électrique, une trentaine, ont composé la deuxième catégorie de bâtiments touchés. Les deux types de cibles partagent donc un même objectif: propager l’effroi au sein de la population instantanément, par la sidération des frappes et, à l’horizon de l’hiver approchant, par la pénurie de ressources énergétiques que les dommages aux installations pourraient entraîner. La capacité des Ukrainiens, aidés par les Occidentaux, à les réparer rapidement sera donc un enjeu crucial pour le moral de la population, la poursuite de certaines activités mais aussi pour la conduite de la guerre si l’armée venait à manquer de carburant pour ses opérations.

«Il peut y avoir des pannes temporaires d’électricité, mais il n’y aura jamais de panne de confiance en la victoire», a assuré le président Volodymyr Zelensky depuis Kiev, quelques heures après les bombardements. «Poutine fait sa crise de nerfs. Mais on continue comme avant», a répondu un policier de la capitale à un correspondant du Monde. Ces propos confirment la force de la résilience ukrainienne observée depuis le début de la guerre. Ils n’autorisent toutefois pas à affirmer que toute la population fait preuve des mêmes dispositions.

Matériel russe en suffisance?

La reprise des bombardements le 11 octobre, notamment sur Lviv, pourrait indiquer que la Russie est engagée dans une opération de plus grande envergure qui, dans cette hypothèse, pèserait encore davantage sur la vie quotidienne des Ukrainiens, hors zones de front. Mais a-t-elle les moyens de programmer d’autres séquences de frappes? Les services de renseignement ukrainiens et occidentaux ont rapporté qu’elle avait déjà utilisé une portion significative de ses missiles de haute précision. Le recours à des missiles moins précis provenant des stocks soviétiques, à des missiles antinavires pour appuyer les attaques terrestres ou aux drones-suicides iraniens en tant que substituts, confirmerait la proximité de cette limite de capacité.

L’explosion sur le pont de Kertch, le 8 octobre, visait une voie d’approvisionnement de l’armée russe dans le sud de l’Ukraine.
L’explosion sur le pont de Kertch, le 8 octobre, visait une voie d’approvisionnement de l’armée russe dans le sud de l’Ukraine. © getty images

En s’armant désormais auprès de l’Iran ou de la Corée du Nord, la Russie convoque le dernier carré de ses alliés pour soutenir l’effort de guerre. C’est dans le même esprit qu’est renforcée l’alliance avec le Bélarus. Son président, Alexandre Loukachenko, a annoncé le 10 octobre le déploiement le long de sa frontière avec l’Ukraine d’un groupement militaire régional conjoint avec la Russie. Il est composé, côté russe, de soldats de la 1re armée de chars de la garde, de la 20e armée interarmes et d’unités aéroportées, autant de formations qui, d’après l’Institut pour l’étude de la guerre à Washington (ISW), «ont subi de lourdes pertes lors des combats en Ukraine et dont les capacités sont considérablement réduites». Pas certain, dès lors, qu’il puisse constituer une menace consistante pour l’armée ukrainienne. Mais son déploiement obligera celle-ci à renforcer la surveillance d’un front nord potentiellement ravivé.

Malgré la durée du conflit et les méthodes désinhibées de l’agresseur, la solidarité des Occidentaux ne fait pas défaut aux Ukrainiens.

Défense antiaérienne

La nouvelle salve de bombardements que subit l’Ukraine souligne de façon abrupte l’importance et l’urgence, pour le président Volodymyr Zelensky, de convaincre ses alliés de lui fournir les équipements de défense antiaérienne qui réduiront l’impact des prochaines opérations de ce type. Certes, la moitié des missiles et des drones utilisés le 10 octobre ont été neutralisés avant d’atteindre leur cible. Mais augmenter cette capacité est un enjeu déterminant pour la suite du conflit.

Suivez notre live sur la guerre en Ukraine, toutes les dernières informations en direct

C’est la raison pour laquelle la question a été évoquée lors de l’entretien que le président ukrainien a eu avec son homologue américain Joe Biden, quelques heures seulement après les frappes et à la faveur d’une réunion virtuelle du G7 en sa présence, le 11 octobre. Les sept plus grandes puissances mondiales se sont engagées à soutenir cet effort. Les Etats-Unis fourniront à Kiev deux batteries de défense Nasams et l’ Allemagne un système de défense antiaérien Iris-T. Malgré la durée du conflit, malgré les méthodes désinhibées de l’agresseur membre permanent du Conseil de sécurité, malgré les autres menaces sur lesquelles celles-ci pourraient déboucher, la solidarité des Occidentaux ne fait pas défaut aux Ukrainiens. Résistera-t-elle aux privations de l’hiver européen?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire