La présence militaire européenne en Roumanie serait-elle menacée en cas de gouvernement avec une composante d’extrême droite? Pas sûr. © GETTY IMAGES

Comment l’extension de l’influence russe en Europe menace l’aide à l’Ukraine

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Après la Hongrie et la Slovaquie, l’Autriche et la Roumanie font la part belle à l’extrême droite pro-Moscou. Avec quelles conséquences pour l’Union européenne?

L’extrême droite a réalisé une importante progression lors des élections législatives du 1er décembre en Roumanie. Ce pays a connu une autre avancée de cette famille politique lors du premier tour de l’élection présidentielle une semaine plus tôt, le 24 novembre. Mais la Cour constitutionnellle a décidé le 6 décembre d’annuler l’ensemble du scrutin en raison d’un soupçon de manipulation massive sur TikTok, outil de prédilection de la campagne du candidat Calin Georgescu arrivé en tête à la surprise générale. En Autriche, l’extrême droite du Parti de la liberté (FPÖ) a remporté le scrutin législatif du 29 septembre. Après la Hongrie et la Slovaquie, d’autres Etats de l’Union européenne pourraient donc se doter de gouvernement avec une composante, d’extrême droite ou autre, qui s’affiche comme favorable à une attitude plus conciliante envers la Russie de Vladimir Poutine. Cette évolution pose la question du soutien européen à l’Ukraine dans le cadre de la guerre. En sera-t-il altéré? Professeur de relations internationales au Centre d’études sur la guerre de l’université du Sud-Danemark et coauteur, avec Nicolas Lebourg, de Paris-Moscou. Un siècle d’extrême droite, Olivier Schmitt livre quelques éléments de réponse.

La présence dans les gouvernements de certains Etats de l’Union européenne, en Hongrie et en Slovaquie, de formations politiques prorusses, a-t-elle compliqué la prise de décision de soutien à l’Ukraine dans la guerre?

Il faut distinguer ce que font les Etats de manière bilatérale et ce que font l’Union européenne et l’Otan. Depuis 2022, l’UE a pris un certain nombre de mesures économiques et financières de soutien à l’Ukraine qui sont de plus en plus compliquées à faire adopter, notamment du fait de la Hongrie et de la Slovaquie, deux Etats sur une ligne globalement plutôt prorusse. A chaque fois, les autres Etats membres ont trouvé des «astuces» pour éviter d’être confrontés directement à un veto, par exemple, de Budapest. Les négociations sont compliquées parce qu’il n’y a pas d’unanimité sur le sujet. Une grande majorité des Etats membres sont en faveur du soutien à l’Ukraine et ont bien identifié la Russie comme une menace principale. Une petite minorité a une position différente. Mais comme c’est une organisation qui fonctionne au consensus, cela crée des difficultés quand il s’agit de transférer des fonds, des armements à Kiev. La question est toujours de savoir ce que la Hongrie, éventuellement la Slovaquie, pourront tirer des négociations puisque c’est du donnant-donnant.

Si la Roumanie se dotait d’un gouvernement prorusse, cette hypothèque prendrait-elle une autre dimension, vu l’importance stratégique de ce pays dans le dispositif d’aide à l’Ukraine?

Je ne pense pas que cela prendrait une dimension différente parce que ce n’est pas la France, l’Allemagne ou la Pologne. En taille et en poids politique, cela reste des pays –j’espère qu’ils me pardonneront– qui ont une influence plus limitée. Mais il est clair que ce serait vécu comme faisant partie d’une dynamique. C’est un peu le discours que tient Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, depuis le début: «L’Union européenne fait fausse route. C’est nous qui avons raison. Nous devons rétablir les relations avec la Russie.» Il ne manquerait pas de présenter un ralliement roumain comme étant une preuve qu’il est dans le sens de l’histoire.

«L’extrême droite est divisée sur l’Ukraine entre une branche “mélonienne” et une branche prorusse “orbanienne”.»

Cela menacerait-il la pérennité de la présence de l’Otan en Roumanie?

J’ai du mal à imaginer qu’un nouveau gouvernement roumain remette en cause, du jour au lendemain, l’intégralité du dispositif existant puisqu’il y a des troupes de l’Otan déployées faisant partie du flanc est du dispositif. La France, notamment, a beaucoup investi dans la relation avec la Roumanie pour y déployer une brigade complète. En revanche, il est vrai que la dynamique politique en serait modifiée.

Que la Pologne, les Pays Baltes, la Finlande, la Suède résistent à la tentation du rapprochement avec la Russie donne-t-il la garantie que l’Union européenne reste dominée par un front antirusse?

Je ne sais pas si un «front antirusse» domine. En tout cas, il y a une convergence de vues d’Etats qui jouent un rôle important dans ce dossier. Cela maintient une forme de garantie. Mais il est clair qu’il existe un risque plus important de polarisation. Le vrai moment de bascule serait l’élection de Marine Le Pen à la tête de la France ou l’émergence d’une forte minorité de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) combinée à une poussée du mouvement de Sahra Wagenknecht (NDLR: gauche radicale qui remet en cause l’engagement pour l’Ukraine) en Allemagne.

Calin Georgescu, le candidat d’extrême droite qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle en Roumanie. © GETTY IMAGES

Dans ce contexte, la position pro-ukrainienne du gouvernement italien de Giorgia Meloni, pourtant cheffe d’un parti d’extrême droite, est-elle une source de stabilité?

C’est une forme de constante de l’extrême droite italienne: elle est historiquement atlantiste. Giorgia Meloni est sur la ligne traditionnelle du néofascisme italien. En plus, elle a réussi à tisser des liens avec un certain nombre de membres de l’administration Trump. Elle va donc probablement essayer de se profiler comme une interlocutrice transatlantique importante. L’extrême droite au Parlement européen est divisée sur cette question entre une extrême droite «mélonienne» et une extrême droite prorusse «orbanienne». Cela empêche l’extrême droite d’avoir un poids politique plus important. L’extrême droite polonaise, par exemple, ne sera jamais sur la position de Viktor Orbán.

Cette progression des partis prorusses ne reflète-t-elle pas une lassitude plus large de la population européenne face à la guerre?

Je ne pense pas. En France, une large majorité de citoyens considèrent toujours qu’il faut aider l’Ukraine à se défendre et que la Russie est l’agresseur. Mais cela n’empêche pas une partie d’entre eux de voter pour le Rassemblement national. C’est simplement que les enjeux de politique internationale ne sont en général pas les principaux sur lesquels les électeurs se décident. Ils voteront quand même pour un parti même si celui-ci ne représente pas leurs vues au plan international. Cela peut d’ailleurs créer des tensions dans ces formations parce qu’elles ont la crainte de perdre une partie de leur électorat. Prenez l’exemple du président du Rassemblement national, Jordan Bardella. Il essaie de se rapprocher d’une ligne plus proche de Giorgia Meloni, en condamnant la Russie, en disant qu’il va soutenir l’Ukraine… Il y a à cela une raison stratégique électorale très simple. Il a sa meilleure image auprès des catégories jeunes de la population française –les 18-30 ans– et celles-ci sont de loin celles qui considèrent le plus que la Russie est un «ennemi», terme employé dans les sondages, à quelque 77 %. Le calcul de Bardella est que son cœur de cible électoral est plutôt prorusse. Dès lors, il infléchit la position du Rassemblement national, ce qui n’est pas du tout le cas de Marine Le Pen. Par conséquent, je ne suis pas sûr que cette poussée des partis soit due à leur position prorusse. Elle s’explique plus par leur positionnement de droite radicale avec comme éléments de programme, l’ordre, la discrimination choisie, en général anti-immigrés, le retour à des normes de genre traditionnelles, le rejet de l’ordre économique existant, etc.

 

Roumanie, Autriche, Géorgie: la poussée dans les urnes

L’extension de l’influence russe dans certains pays européens se mesure directement dans les urnes. Florilège à l’aune des scrutins les plus récents.

Roumanie. Lors du premier tour de l’élection présidentielle, le 24 novembre, le candidat indépendant d’extrême droite, Calin Georgescu, a créé une énorme surprise en arrivant en tête, avec 22,95% des voix, devant Elena Lasconi, candidate de centre-droit du parti Union sauvez la Roumanie, qui a recueilli 19,17% des suffrages. Cependant, le 6 décembre, au lendemain de la déclassification de documents des services de renseignement évoquant une opération présumée frauduleuse sur TikTok, réseau sur lequel Calin Georgescu avait mené l’essentiel de sa campagne, la Cour constitutionnelle roumaine a décidé d’annuler le scrutin. Les élections législatives qui, elles, se sont déroulées le 1er décembre sans malversations connues ont donné lieu à une progression de l’extrême droite, représentée par trois formations, l’AUR (17,8%), SOS Romania (7,2%) et le Parti de la jeunesse (6,3%) totalisant presque un tiers de tous les suffrages. Pour la formation du gouvernement, le Parti social-démocrate (PSD) du Premier ministre sortant Marcel Ciolacu, vainqueur du scrutin (22,4%) reste toutefois en position privilégiée pour diriger la nouvelle équipe.

Autriche. Les élections législatives du 29 septembre dernier ont vu la victoire du Parti de la liberté (FPÖ) d’extrême droite (28,85%) devant les conservateurs du Parti populaire (ÖVP, 26,27%) et le Parti social-démocrate du SPÖ (21,14%). Le FPÖ est favorable à la levée des sanctions contre Moscou et à l’ouverture de négociations de paix avec Vladimir Poutine. Il n’est cependant pas près de gouverner, les deux autres principaux partis de l’échiquier autrichien ayant indiqué ne pas vouloir intégrer un gouvernement avec l’extrême droite.

Géorgie. Hors Union européenne, ce pays voisin de la Russie est le théâtre d’importantes manifestations de l’opposition proeuropéenne parce que le gouvernement a annoncé, le 28 novembre, le report à 2028 de la reprise des négociations pour l’adhésion à l’Union. Un scénario qui n’est pas sans rappeler l’histoire de l’Ukraine et de sa révolution de Maïdan en 2014. Mais le pouvoir a pour lui la légitimité démocratique, même si elle est contestée. Lors des élections législatives du 26 octobre dernier, c’est le parti Rêve géorgien, prorusse, qui est arrivé en première position, avec une avance importante sur la coalition proeuropéenne (53,93% contre 37,79%). En Moldavie, qui partage quelques caractéristiques avec la Géorgie (passé soviétique, parts du territoire aux mains de séparatistes prorusses), ce sont les forces proeuropéennes qui ont conservé l’ascendant lors de l’élection présidentielle des 20 octobre et 3 novembre et à l’occasion du référendum sur l’adhésion à l’UE, mais avec un écart parfois restreint face aux partis prorusses. Ainsi, le oui à l’UE ne l’a emporté qu’avec 50,35 % des voix.

  

  

 

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