Ukraine: A l’aéroport de Kiev, les étrangers entre peur et scepticisme
« Le choix le plus judicieux, c’est de quitter l’Ukraine maintenant ». A l’aéroport Boryspil de Kiev, encouragés par les nombreux appels à partir, ils sont nombreux à vouloir quitter l’Ukraine. Pour l’instant, l’espace aérien au-dessus de l’Ukraine reste ouvert, mais certains compagnie annulent déjà leur vols.
« L’espace aérien au-dessus de l’Ukraine reste ouvert, l’Etat s’emploie à prévenir les risques pour les compagnies aériennes », a indiqué le ministère des Infrastructures dans un communiqué publié sur Facebook. Samedi, la compagnie néerlandaise KLM a suspendu jusqu’à nouvel ordre tous les vols dans l’espace aérien ukrainien. Un vol prévu samedi soir a été annulé. KLM ne survole plus l’est de l’Ukraine depuis le crash du MH17 qui reliait Amsterdam à Kuala Lumpur, abattu dans cette région le 17 juillet 2014, tuant les 283 passagers à bord et les 15 membres d’équipage. Moscou a toujours nié toute implication. Membre de la même alliance, Air France continue en l’état de maintenir son programme de vols entre la France et l’Ukraine, soit « deux vols par semaine, le mardi et le dimanche », a déclaré dimanche une porte-parole à l’AFP. Pour faire face à une demande éventuellement plus importante, vu les annulations d’autres compagnies, Air France a même « augmenté la capacité des vols » en recourant à des Airbus A321, plutôt que les plus petits A319 habituels.
La situation à l’aéroport de Kiev est cependant calme, les voyageurs prennent des cafés et mangent des desserts en attendant leur vol, mais le contexte est loin d’être détendu.
– « J’ai peur pour ma vie » –
Le ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, a jugé dimanche qu’il y avait un « parfum de Munich dans l’air » dans cette crise, en référence à l’accord de 1938 avec l’Allemagne nazie qui n’a pu empêcher la Seconde Guerre mondiale. « Oui, je pars à cause de la situation, parce que j’ai peur pour (m)a vie », témoigne Aimrane Bouziane, 23 ans. « Ce qui peut arriver? Une invasion. (Le président russe Vladimir) Poutine pourrait envahir. Il l’a déjà fait, donc il peut le refaire« . Denis Lucins, entraîneur de foot américain, revient des Etats-Unis pour retrouver sa femme et son fils de 7 ans qui vivent à Mykolaïv, dans le sud de l’Ukraine, faisant fi des recommandations de Washington qui demande à ses ressortissants de quitter le pays.
« Il y a un certain niveau d’inquiétude. Mais vous savez, j’ai vécu ici en 2014, j’ai vu l’annexion de la Crimée, le conflit dans le Donbass. Attendons de voir ce qui va se passer. Là où je vis, à Mykolaïv, nous espérons qu’il ne se passera rien de mal », dit-il.
Les appels à partir se multiplient
Face au spectre d’une invasion de l’Ukraine par la Russie, de nombreux Etats appellent leurs ressortissants à quitter le pays et modifient ou réduisent la présence de leur personnel diplomatique.
– Appels à partir –
Parmi les pays qui ont appelé leurs ressortisants à quitter l’Ukraine figurent les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Canada, la Norvège, l’Estonie, la Lituanie, la Bulgarie, la Slovénie, l’Australie, le Japon, Israël, l’Arabie Saoudite ou encore les Emirats arabes unis.
– Voyages déconseillés –
La France déconseille de se rendre dans les zones frontalières du nord et de l’est, sans appeler ses ressortissants à en partir. La Roumanie, frontalière de l’Ukraine, « recommande vivement » à ses ressortisssants d’éviter les voyages dans ce pays et de « réévaluer la nécessité d’y demeurer » s’ils s’y trouvent déjà.
– Présence diplomatique revue –
Moscou a rappelé une partie de son personnel diplomatique, disant craindre des « provocations » adverses. Les Etats-Unis ont ordonné le départ de l’essentiel du personnel de leur ambassade américaine à Kiev, relevant qu’une offensive russe pouvait « commencer à tout moment ». L’ambassade maintiendra une petite présence consulaire à Lviv (ouest de l’Ukraine). Le Canada ferme temporairement son ambassade à Kiev et déplace également ses opérations dans un bureau temporaire à Lviv, tout comme l’Australie qui y évacue ses derniers diplomates encore en poste à Kiev. Les institutions de l’Union européenne ont recommandé à leurs personnels non essentiels de la représentation à Kiev de partir pour télétravailler depuis l’étranger. La Roumanie a décidé de retirer le personnel non essentiel de son ambassade à Kiev. Israël a décidé « d’évacuer les familles des diplomates et du personnel de son ambassade ».
– « Troupes russes à Kiev? C’est trop » –
Alors que le président américain Joe Biden est jugé trop alarmiste, y compris par les autorités ukrainiennes, Denis Lucins estime que sa stratégie est bonne. « Il avait raison en disant il y a quelques mois +Attendez, mais il y a 100.000 soldats russes à la frontière+. Je pense que c’est bien que les États-Unis aient dit +Vous ne pouvez pas envahir+. Puis la Grande-Bretagne et les autres ont suivi ». « Personnellement, je ne pense pas qu’il se passera quelque chose, mais personne ne peut malheureusement lire dans les pensées de Vladimir Poutine ». Pour le voyageur arménien Armen Vartanian, 36 ans, Kiev n’a rien à craindre. « Je pense que Poutine pourrait prendre un peu plus de l’Est », où l’armée ukrainienne affronte depuis 2014 des séparatistes prorusses soutenus par Moscou, qui contrôlent une partie des régions de Donetsk et de Lougansk, dans le bassin houiller du Donbass.
« Le Donbass, oui, c’est déjà séparé, ils utilisent le rouble, les troupes russes sont déjà là. (Poutine) pourrait le prendre », estime M. Vartanian. Mais « les troupes russes à Kiev ? Non, je ne pense pas que cela arrivera. Ce serait la Troisième Guerre mondiale, c’est trop ». Le responsable de la communication de l’aéroport Boryspil, Olexandre Demtchyk, se veut rassurant. « La situation est ce qu’elle est. C’est vraiment tendu, mais nous ne ressentons aucune panique. Je pense que tout ira bien ».
Assurances suspendues
Samedi, un avion de la compagnie ukrainienne SkyUP reliant Madère, au Portugal, à Kiev a dû atterrir à Chisinau, en Moldavie, le propriétaire de l’avion ayant interdit son entrée dans l’espace aérien ukrainien.
Toujours selon SkyUP, les grandes compagnies d’assurance ont informé samedi les transporteurs aériens ukrainiens qu’elles suspendaient l’assurance des avions pour les vols dans l’espace aérien de l’Ukraine pendant 48 heures en raison des risques accrus d’hostilités.
« Nous avons temporairement suspendu la vente des billets pour les vols du 14 au 16 février 2022 », a souligné le PDG de SkyUP Dmitro Serooukhov.
Le gouvernement ukrainien admet que le problème pourrait venir des assureurs.
« L’Ukraine est prête à soutenir les transporteurs aériens et les décisions gouvernementales nécessaires seront prises prochainement », a pour sa part déclaré Kyrylo Timochenko, adjoint au chef de l’administration présidentielle.
« Si nécessaire, l’État assurera le retour de tous les citoyens ukrainiens de l’étranger », a déclaré le ministre des Infrastructures Oleksandre Koubrakov.
Situation « très dangereuse »
Les Etats-Unis ont répété dimanche que l’Ukraine pourrait être envahie « à tout moment » par la Russie après l’échec des derniers efforts diplomatiques, situation « critique » que le chancelier allemand Olaf Scholz va tenter de désamorcer lundi à Kiev et mardi à Moscou. Dans un entretien téléphonique dimanche soir, le président américain Joe Biden et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky ont convenu de poursuivre « diplomatie » et « dissuasion » face à Moscou. Souvent accusée d’une trop grande complaisance envers la Russie, l’Allemagne inquiète a haussé le ton dimanche. « Nous sommes au beau milieu d’un risque de conflit militaire, de guerre en Europe orientale et c’est la Russie qui en porte la responsabilité », a déclaré le président allemand Frank-Walter Steinmeier le jour de sa réélection. Le chancelier Olaf Scholz a de son côté prévenu que les sanctions occidentales seraient « immédiates » en cas d’invasion russe de l’Ukraine. Les tensions sont à leur comble avec 130.000 militaires russes massés à la frontière ukrainienne qui mènent des manoeuvres tous azimuts.
Le ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, a jugé dimanche qu’il y avait un « parfum de Munich dans l’air » dans cette crise, en référence à l’accord de 1938 avec l’Allemagne nazie qui n’a pu empêcher la Seconde Guerre mondiale. Cette déclaration a agacé l’Ukraine. « Ce n’est pas le meilleur moment pour nous d’offenser nos partenaires dans le monde », au moment où « il y a de la panique partout, non seulement dans l’esprit des gens, mais aussi sur les marchés financiers », a déclaré son ambassadeur au Royaume-Uni, Vadim Pristaïko. Les responsables allemands se sont également montrés alarmistes dimanche, et ont durci le ton vis-à-vis de la Russie.
Moscou « n’en a rien à foutre » des risques de sanctions occidentales, avait prévenu sans ambages quelques heures plus tôt l’ambassadeur russe en Suède, l’expérimenté diplomate Viktor Tatarintsev, dans un entretien au journal suédois Aftonbladet. Au contraire, a-t-il ajouté, « plus l’Occident fait pression sur la Russie, et plus forte sera la réponse russe ». La Russie s’est par ailleurs dite « inquiète » de la « relocalisation » de personnel de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) qui étaient jusqu’ici en Ukraine. L’OSCE, qui réunit une soixantaine de pays, dont les Etats-Unis, la Russie et les principaux pays d’Europe de l’ouest, est un forum chargé de favoriser le dialogue et la coopération entre tous sur les questions de sécurité.
Moscou a accusé la mission de cette organisation sur place d’être « délibérément entraînée dans la psychose militariste fomentée par Washington et utilisée comme outil pour une éventuelle provocation » via des retraits de personnel.
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