Marco Van Hees
TTIP : transparence 2/10, débat démocratique 0/10
Un coffre-fort, une minuscule pièce sans fenêtre, une fonctionnaire pour surveiller chacun de mes gestes et l’obligation de laisser toutes mes affaires au vestiaire. Voilà mon expérience vécue de la » transparence » concernant le Traité transatlantique (TTIP).
« Assurer une transparence adéquate des négociations ». Cette phrase avait suscité un débat en commission des Relations extérieures de la Chambre. Elle est inscrite dans la résolution sur le TTIP votée par les députés de la majorité dans la même commission et je leur avais demandé s’ils étaient satisfaits du niveau actuel de transparence. Ils m’ont alors présenté comme une avancée extraordinaire le fait que tous les parlementaires aient désormais accès aux textes consolidés, c’est-à-dire aux textes qui mettent en parallèle ce qui est défendu par l’Union européenne et ce qui l’est par les États-Unis.
Avancée extraordinaire ? Il faut d’abord indiquer que c’est une large mobilisation citoyenne contre le TTIP – ce traité par lequel les multinationales font la loi et, même, rendent la justice – qui a obligé l’Union européenne à faire quelques concessions en matière de transparence. Mais l’avancée est loin d’être extraordinaire, la transparence étant homéopathique.
La véritable transparence, c’est publier les textes sur internet, accessibles à tous à disposition pour un débat approfondit pour un traité qui risque de bouleverser tous les aspects de la vie de 850 millions de personnes. Mais cela, il n’en est pas question. Seuls les parlementaires peuvent lire les textes. Et pas n’importe comment. Un communiqué du Parlement européen m’en avait déjà donné un avant-goût : « L’accord veille à ce que la nature confidentielle des informations ne soit pas compromise, afin de protéger les intérêts de l’Europe et d’éviter d’affaiblir la position de négociation de l’UE. L’accès global des députés sera soumis aux règles de sécurité qui régissent l’accès aux documents confidentiels. » Et un lien internet renvoie aux sanctions prévues par le règlement du Parlement européen en cas d’infraction à la confidentialité.
Pour ma part, en tant que député fédéral, je dois me rendre à la « reading room » (salle de lecture sécurisée, comme dans les cas d’OPA d’une multinationale) du SPF Affaires étrangères. L’accès est limité à deux plages de deux heures par semaine. Il faut prendre rendez-vous à l’avance. Précisez également à l’avance quels textes je désire consulter.
Sur place, je dois effectivement laisser toutes mes affaires au vestiaire, en particulier mon ordinateur portable qui m’aurait donné un accès à internet, indispensable pour saisir la portée des documents. Je ne peux même pas utiliser mon propre bloc-note et dois me servir des feuilles jaunes mises à disposition dans le petit local sans fenêtre. Je dois être seul : aucun collaborateur ou spécialiste pour m’aider à déchiffre ces 371 pages de texte écrit dans un anglais juridique et technique spécifique aux traités commerciaux. Ces règles relèvent déjà d’un niveau de transparence proche du niveau homéopathique.
Mais le plus grave, c’est que ces règles rendent également le débat démocratique impossible. En entrant, je dois signer une « déclaration d’engagement à préserver la confidentialité des documents confidentiels » que la fonctionnaire chargée de surveiller mes gestes sort d’un coffre-fort. On interdit donc aux députés qui vont consulter ces textes de parler de ce qu’ils ont lu. Il s’agit donc bien carrément d’une farce démocratique. La classe dirigeante européenne veut empêcher le débat par tous les moyens, et si elle a ouvert ces salles de lecture, c’est uniquement une concession (de forme) sous la pression des mobilisations grandissantes.
Quiconque voudrait conclure ces négociations avec l’objectif de protéger l’environnement, le consommateur et l’emploi, n’aurait en effet aucune raison d’avoir peur de la transparence. A l’inverse, ceux qui entendent brader la démocratie n’ont évidemment pas envie de devoir se confronter à l’opinion publique. Si Didier Reynders et les négociateurs européens sont réellement convaincus des bénéfices du TTIP, pourquoi ne rendent-ils pas le texte public sur Internet ?
Les deux heures que j’ai eues aujourd’hui n’ont évidemment pas été suffisantes pour lire l’ensemble des textes, mais au moins de me faire un petit avis. Si je ne peux pas dire ce que j’ai vu, j’ai encore au moins le droit de dire ce que je n’ai pas vu. Et je n’ai rien vu dans ces textes qui me fassent changer d’avis sur le TTIP. Je n’ai rien vu qui m’empêche de penser qu’il s’agit d’un moyen de transférer le pouvoir directement aux multinationales en mettant en danger nos acquis sociaux, nos services publics ainsi que les réglementations environnementales ou sanitaires. Le contenu de ce traité est tout simplement aussi anti-démocratique que la manière dont il est négocié actuellement.
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