Pourquoi la relation trouble entre Trump et Poutine suscite l’inquiétude
Quel est l’objet des contacts entre les deux hommes depuis le retrait du premier de la Maison-Blanche? Moscou «a cultivé» Trump pendant quatre décennies, rappelle l’expert Régis Genté.
En 1987, de retour de son premier voyage à Moscou, le promoteur immobilier Donald Trump, qui manifeste déjà des velléités de jouer un jour un rôle sur la scène politique, plaide pour que les Etats-Unis «cessent de payer pour défendre des pays qui ont les moyens de se défendre eux-mêmes», une allusion aux pays membres de l’Otan, dont les Américains sont de loin les plus gros contributeurs du budget. L’anecdote est rappelée par le journaliste spécialiste de l’ancien espace soviétique Régis Genté dans son livre Notre homme à Washington. Le 11 février dernier, l’ancien et peut-être futur président Donald Trump, lors d’un meeting en Caroline du Sud, a tapé sur le même clou de la parcimonie des moyens financiers accordés par les Etats européens à l’Alliance atlantique et est allé un cran plus loin en clamant: «Vous êtes des mauvais payeurs? […] Non, je ne vous protégerai pas. En fait, j’encouragerai [les Russes] à faire ce que bon leur semble.» Une promesse d’abandonner les Européens à leur sort dans la défense de l’Ukraine face à la Russie de Vladimir Poutine…
Comment expliquer ce cadeau offert au président russe de la part de celui qui pourrait à nouveau occuper le bureau ovale de la Maison-Blanche et influer directement sur les affaires du monde en janvier? De présent à l’agresseur de l’Ukraine, il en est aussi question dans le dernier livre du journaliste d’investigation Bob Woodward, War (Simon & Schuster, 448 p.). En 2020, alors président, Donald Trump a offert à son homologue les premiers appareils de test du Covid-19. Vladimir Poutine, dont il a été dit qu’il développait une certaine phobie de la maladie, aurait enjoint au locataire de la Maison-Blanche de n’en rien dire. Plus fondamental, Bob Woodward révèle surtout que les deux hommes auraient échangé par téléphone environ à six reprises depuis le départ de l’Américain de la présidence, soit au moins quelques fois après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, dont une encore au début de 2024. Ces informations, non démenties sur le fond par l’entourage du candidat républicain, amènent inévitablement à se poser la question de la nature des relations entre les deux personnages.
Comme une opération de recrutement
Régis Genté a sans doute nourri la même interrogation. Son livre, riche des commentaires d’agents des services secrets, rappelle tous les faits et gestes du milliardaire de l’immobilier qui ont pu jeter le trouble sur la distance qu’un homme politique, adepte qui plus est du «Make America Great Again», devrait normalement tenir avec un Etat rival, voire ennemi. Retour à l’époque du premier déplacement de Donald Trump à Moscou. «Pour les officiers et responsables de la communauté du renseignement des Etats-Unis, il n’y a aucun doute que Donald Trump a été approché par les services d’espionnage soviétiques puis russes, peut-être « recruté », ou du moins « cultivé » depuis une quarantaine d’années. Et ce, depuis son premier voyage à Moscou, dont « tout indique qu’il a été monté, organisé, comme une opération de recrutement du KGB », nous confie un ancien officier de la NSA (National Security Agency) spécialisé dans les affaires russes», rapporte Régis Genté.
Le journaliste pointe «les cohortes de Russes et d’Américains prorusses qui tournent autour de Trump: « mafieux rouges » qui s’offrent au prix fort des appartements de luxe dans la Trump Tower et blanchissent leur argent dans ses casinos […], ambassadeurs policés, espions opérant aux Etats-Unis sous couverture de diplomate ou de banquier, oligarques…». «Nos sources issues de la communauté du renseignement américaine en sont convaincues, poursuit Régis Genté, cela en faisait une cible facile et idéale pour le KGB des années 1970-1980, puis pour son successeur après 1989, le FSB.» Cela ne signifie pas pour autant que le futur président a été à un moment ou à un autre un agent de Moscou. Après tout, il nourrissait aussi des projets immobiliers en Russie. Et il a pu servir d’«idiot utile» aux services russes.
Trump et Poutine ont le sentiment de ne pas faire partie du club de ceux qui pensent bien.
Le rapport Mueller
Il n’empêche, sa proximité avec des personnalités liées à Moscou perdurera avant et après son élection à la présidence. Pour l’avant, le rapport Mueller sur les soupçons d’ingérence russe à l’encontre de la candidate démocrate Hillary Clinton dans la campagne présidentielle de 2016 conclut que «même si l’enquête a permis d’identifier de nombreuses relations entre des personnes ayant des liens avec le gouvernement russe et d’autres associées à la campagne Trump, les preuves n’ont pas paru de nature à étayer des accusations d’ordre criminel». Trump blanchi? Pourtant, l’équipe du procureur spécial du Russiagate fera condamner des hommes du président pour «crimes de collusion avec des officiels du gouvernement russe»: Roger Stone, Carter Page, Paul Manafort et George Papadopoulos. Pour l’après-élection, nombre de personnes ayant entretenu des liens avec Moscou feront partie de l’entourage des conseillers du président républicain.
L’auteur de Notre homme à Washington s’attache à rappeler ce qui rapproche Vladimir Poutine et Donald Trump. Tous deux se perçoivent comme des outsiders, doivent une partie de leur fortune au business du casino, ont une certaine proximité avec le monde des voyous, ont le sentiment de ne pas faire partie du club de ceux qui pensent bien, et ont construit leur carrière sur l’affirmation d’un attachement irréductible à la grandeur de leur pays… «La soumission à cet absolu permet tous les abus, à commencer par un rapport à la vérité désinvolte et désinhibé», résume Régis Genté.
La résolution de la guerre en Ukraine en 24 heures est la promesse faite par Donald Trump s’il est réélu. Le propos relèverait de cette vérité désinvolte décriée si tout le passé du personnage, ici récapitulé, et ses liens secrets avec Vladimir Poutine, dévoilés par Bob Woodward, ne prédestinaient pas à ce qu’il sacrifie purement et simplement l’Ukraine. «Un bon deal entre autocrates», c’est ce qui risque de se passer si le 5 novembre…
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