Trump fait marche arrière: « Je n’aime pas me battre avec le pape »
Quand le milliardaire américain Donald Trump riposte durement au pape François, ce n’est pas forcément un mauvais calcul politique: en Caroline du Sud, où la primaire républicaine se tient samedi, les deux tiers des habitants sont protestants.
Les protestants évangéliques y sont même le bloc électoral le plus important à la primaire républicaine: 65% des votants en 2012, selon les sondages de sortie des urnes. Les catholiques américains vivent plutôt dans le nord-est des Etats-Unis (New York, New Jersey, Massachusetts…).
Dans la famille évangélique, les croyants se méfient particulièrement de toute hiérarchie religieuse. Et aux Etats-Unis, la popularité du pape est d’ailleurs plus forte à gauche qu’à droite: 67% des conservateurs en ont une opinion favorable contre 80% des Américains de gauche, selon l’institut Pew en janvier.
C’est le pape qui a lancé la polémique, interrogé par la presse dans l’avion qui le ramenait d’un voyage au Mexique. « Une personne qui veut construire des murs et non des ponts n’est pas chrétienne », a-t-il déclaré, tout en se demandant si c’était bien ce qu’avait proposé Donald Trump.
« Qu’un leader religieux mette en doute la foi d’une personne est honteux », a d’abord répliqué Donald Trump dans un communiqué qu’il a ensuite lu dans un meeting.
Jorge Bergoglio a certes affirmé qu’il n’était évidemment pas question pour lui de s’ingérer dans la campagne présidentielle, mais la réaction du milliardaire américain a été immédiate. « Qu’un leader religieux mette en doute la foi d’une personne est honteux », a indiqué Donald Trump dans un communiqué.
« Ce n’est pas dans l’Evangile. Voter, ne pas voter, je ne m’immisce pas. Mais je dis seulement: ce n’est pas chrétien », a affirmé le pontife argentin.
Au journaliste qui lui rapportait les déclarations de Donald Trump, jugeant qu’il faisait de la politique, le pape François a ironisé: « Grâce à Dieu, il a dit que j’étais un politique, car Aristote a défini l’homme comme animal politicus, au moins je suis un homme! »
Conscient sans doute de la dureté de ses propos, le pape jésuite a tenté de les minimiser en se demandant si Donald Trump avait « prononcé ces choses ainsi ». « Cela lui donne le bénéfice du doute », a-t-il ainsi ajouté.
Le favori de la primaire républicaine, très critique du pape François, avait annoncé en juin qu’il ferait construire un mur à la place de l’actuel grillage entre le Mexique et les Etats-Unis s’il était élu président.
Marche arrière
Mais plus tard, l’homme d’affaires favori de l’investiture républicaine a fait marche arrière en affirmant que le pape était « un type formidable ».
« Je n’aime pas me battre avec le pape », a-t-il dit lors d’une émission sur CNN jeudi soir, assurant que les propos du souverain pontife avaient été mal interprétés, et que François ignorait la réalité des trafics à la frontière entre Etats-Unis et Mexique.
« J’ai beaucoup de respect pour le pape », a insisté Donald Trump, très conciliant. « J’aime sa personnalité, j’aime ce qu’il représente et j’ai un grand respect pour la fonction ».
Donald Trump est familier de ce type de retournements à 180 degrés. Depuis le début de la campagne, il répond systématiquement aux attaques afin de prouver sa poigne; mais il n’a aucun scrupule à relativiser ensuite une déclaration explosive, une fois l’effet cherché obtenu, afin de se couvrir.
Bush et Rubio avec Trump
Les candidats rivaux de Donald Trump, étonnamment, ont plutôt pris son parti, signe que chez les républicains, les conseils politiques du pape ne sont pas les bienvenus.
« Je ne remets en cause le christianisme de personne, car je crois honnêtement que c’est une relation entre soi-même et notre Créateur », a commenté Jeb Bush devant des journalistes. « Quand quelqu’un de l’extérieur parle de Donald Trump, ça ne fait qu’inciter les gens à mal se comporter ».
Jeb Bush est catholique, de même que Marco Rubio, sénateur de Floride. Les deux hommes ont en substance demandé au pape de rester à sa place de chef religieux.
L’épisode rappelle la visite historique du pape à Washington en septembre, quand il avait été accueilli chaleureusement à droite et à gauche de l’échiquier politique, malgré sa réputation de pape « gauchiste ».
Lors de son discours devant le Congrès, il avait appelé les élus à se mobiliser contre le changement climatique, pour l’accueil de réfugiés, contre la peine de mort… des positions très politiques et diamétralement opposées de celle des républicains majoritaires, qui avaient poliment refusé d’engager le débat.
Marco Rubio s’est donc permis de corriger le pape jeudi, en répétant que les Etats-Unis accueillaient chaque année environ un million d’immigrés permanents. « Le Saint-Père doit reconnaître la générosité de l’Amérique », a-t-il dit sur CNN.
Les catholiques ont volé au secours de François.
Bill Donohue, président de la Ligue catholique, a supposé que le pape s’était fait piéger par les journalistes et souligné qu’il avait donné « le bénéfice du doute » à Donald Trump.
Et le père Timothy Kesicki, président de la Conférence jésuite des Etats-Unis, a tempéré en disant, sur CNN, que Jorge Bergoglio s’était attaqué « à une idée plus qu’à une personne ».
Reste à voir si en Caroline du Sud samedi, les chrétiens évangéliques bouderont Donald Trump ou pas. Jusqu’à présent, le sénateur du Texas Ted Cruz a remporté les faveurs du groupe dans l’Iowa, mais de peu.
Le pasteur évangélique Don Flowers, de l’église baptiste Providence à Charleston, prédit à l’AFP que « cette année, aucun candidat ne remportera à lui seul le bloc évangélique ».
A quelques kilomètres, le révérend James Blalock, de l’église luthérienne allemande St. Matthew, avertit que l’effet de la controverse ne sera toutefois pas nul: « le pape est plus habilité à commenter sur le sens du mot chrétien que Donald Trump », lâche-t-il.
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