Trump et les droits de douane: le trafic de Fentanyl, excuse bidon?
Le président américain justifie sa guerre commerciale par le trafic d’opioïdes, en particulier le Fentanyl, provenant du Canada et du Mexique. Vrai info ou fake news ? Analyse.
Donald Trump a fait de la lutte contre le trafic d’opioïdes son cheval de bataille, alors que la crise du Fentanyl battait son plein sous son premier mandat et qu’il n’avait alors rien entrepris pour la combattre. Mais une élection n’est pas l’autre. Cette fois, le candidat républicain élu semble avoir ouvert les yeux sur les ravages mortels causés par ce produit de synthèse 50 fois plus létal que l’héroïne (selon la DEA américaine). L’hôte de la Maison-Blanche a évoqué des dizaines de millions de morts américains et affirmé que le Fentanyl serait la première cause de mortalité chez les adultes. Ce qui n’est pas exact. Selon les chiffres officiels, le Fentanyl a causé plus de 500.000 morts en vingt ans. C’est gigantesque, mais loin des millions avancés par Trump. Le nombre des décès liés à des cancers ou à des problèmes cardiaques est quant à lui six à sept fois plus élevé.
Les opioïdes sont néanmoins particulièrement meurtriers chez les 18-45 ans. Mais, depuis 2023, les cas d’overdoses mortelles sont en diminution: 107.543 décès contre 111.029 en 2022. Par ailleurs, selon les derniers chiffres disponibles, une baisse de 10% a été observée entre avril 2023 et avril 2024. Concernant le Fentanyl en particulier, les chiffres diminuent également, sous la barre des 90.000 depuis deux ans (81.000 en 2023). C’est donc sous l’administration de Joe Biden que la décrue a commencé. Par comparaison, le nombre de décès liés à la cocaïne est, lui, en augmentation. Quoiqu’il en soit, Trump II se sert du Fentanyl pour déclarer une guerre des tarifs douaniers à ses voisins immédiats, le Canada et le Mexique.
Il faut pourtant distinguer les deux pays. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau affirme que le trafic en provenance de son pays ne représente que 1% de l’offre de Fentanyl aux Etats-Unis. Dans une enquête chiffrée, Radio Canada montre qu’en 2024, une vingtaine de kilos seulement ont été saisis à la frontière canadienne par les autorités américaines contre 9.600 kilos côté mexicain. Et d’octobre à décembre dernier, sur les 2.000 kilos saisis, quatre kilos, soit 0,2%, l’ont été à la frontière canadienne. Toujours en 2024, le rapport annuel de la Drug Enforcement Administration des Etats-Unis ne citait pas une seule fois le Canada sur les menaces liées aux drogues, mais bien le Mexique à 86 reprises. Par ailleurs, la Chine a longtemps été la source principale du trafic de Fentanyl vers les Etats-Unis. Si ce trafic a diminué depuis 2019, les Chinois continuent à fabriquer les produits chimiques nécessaires à la fabrication de ces opioïdes en les distribuant notamment au Mexique, où les cartels produisent les pilules.
Notons que le problème du Fentanyl est américain à l’origine. Le fabricant de l’OxyContin, le laboratoire américain Purdue Pharma, est le premier responsable de la crise des opiacés. Des films et séries télévisées ont été consacrés au scandale de la famille Sackler, propriétaire du laboratoire, qui a longtemps minimisé et caché l’addiction sévère et mortelle qu’engendrait son analgésique. La saga judiciaire qui s’en est suivie a duré de longues années. Le litige immense vient enfin de connaître une conclusion. Fin janvier, le procureur général de l’Etat de New York a annoncé qu’un accord avait été conclu entre les Sackler et quinze Etats américains pour un dédommagement à hauteur de 7,4 milliards de dollars. Tout cela n’a pas empêché que l’OxyContin soit remplacé par d’autres opiacés du même genre, le Fentanyl en premier.
On verra si la guerre douanière déclarée par Trump portera ses fruits pour étouffer le trafic d’opioïdes aux Etats-Unis ou si c’était juste un prétexte opportuniste pour imposer son impérialisme commercial. Des milliards de dollars ont déjà été consacrés à la lutte contre ce fléau. Mais les filières s’adaptent vite. De plus en plus, les jeunes trouvent sur TikTok ou Snapchat des revendeurs en ligne qui leur envoient des pilules coupées au Fentanyl par courrier postal, sans que le consommateur puisse vérifier la quantité qui y est concentrée. Or deux milligrammes suffisent pour tuer. C’est l’équivalent d’une douzaine de grains de sels, explique la DEA.
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