« Trois raisons pour lesquelles Macron devra prendre un virage écologique » (interview)
Redevable des voix de la gauche qui l’ont fait en partie réélire face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron devrait développer une ambition écologique et opérer un virage social. Le politologue Vincent Martigny croit plus à la première qu’au second. Le mandat sera chaud.
La joie tout en retenue et l’humilité dans la victoire affichées par Emmanuel Macron au soir de sa réélection à la présidence de la République française augurent-elles d’un deuxième mandat d’une autre nature? A l’extrême droite, où Marine Le Pen a érigé sa progression par rapport à son score de 2017 (41,5% contre 31,9%) en « éclatante victoire », et à l’extrême gauche, où le bon résultat de Jean-Luc Mélenchon au premier tour attise les ambitions, on fourbit ses armes pour les législatives des 12 et 19 juin prochains, avec l’espoir d’opposer un contre-pouvoir fort au président reconduit. Celui-ci combine les titres qui situent la complexité et la fragilité de sa situation entre le « président le plus mal élu de la Ve République » (1) et le premier président sous cette même constitution à avoir été réélu sans période de cohabitation. Emmanuel Macron a réussi un exploit. Mais son second mandat s’annonce parsemé d’écueils . Le politologue Vincent Martigny, professeur à l’université Côte d’ Azur et à l’Ecole poly- technique, décrypte les leçons de cette élection.
Les tensions qui traversent la société française n’ont pas été purgées par le résultat de l’élection présidentielle. »
Vincent Martigny, politologue, professeur à l’université Côte d’Azur.
Le secrétaire national d’Europe Ecologie Les Verts, Julien Bayou, a dit d’Emmanuel Macron qu’il était « élu par défaut » et Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France insoumise, qu’il était « le président le plus mal élu de la Ve République ». Peut-on questionner la légitimité d’Emmanuel Macron réélu?
Pas sur le plan formel. Si on regarde les premières enquêtes sur les motivations du vote, on constate qu’un peu moins d’un électeur sur deux dit avoir voté Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine Le Pen. La nature du soutien qui s’est porté sur lui est plus forte, plus structurée, qu’il y a cinq ans. En 2017, la proportion était inverse. Une majorité avait décidé de l’élire par défaut et une minorité, autour de 44%, avait déclaré avoir voté pour lui par adhésion. Cela s’explique: Emmanuel Macron est aujourd’hui davantage connu, mieux identifié par les électeurs. Dire qu’il a été élu par défaut est donc excessif. Ce que Julien Bayou et Jean-Luc Mélenchon ont essayé de traduire en mots, c’est qu’Emmanuel Macron aura, si ce n’est un problème de légitimité formelle, au moins un problème de capital politique. La progression spectaculaire de l’extrême droite, même si elle reste éloignée du pouvoir, le fait que la campagne ne se soit pas déroulée de manière satisfaisante sur un plan démocratique, le constat qu’Emmanuel Macron n’a pas mené une très bonne campagne comparativement à Marine Le Pen… Tous ces facteurs montrent que les tensions qui traversent la société française n’ont pas été purgées par le résultat de l’élection présidentielle. Il n’y aura pas d’état de grâce pour Emmanuel Macron. D’où la grande attente autour des législatives de juin. Il faudra voir si la mécanique de la Ve République permettra de dépasser ces tensions ou, au contraire, si elles s’exprimeront fortement lors de ces élections.
Emmanuel Macron a-t-il raison d’affirmer qu’il est « dépositaire du sens du devoir de ceux qui ont voté pour lui afin de faire barrage à Marine Le Pen »?
C’est le problème de l’élection présidentielle lorsque vous êtes confronté à un candidat d’extrême droite, alors même que le front républicain continue à fonctionner, contrairement à ce que l’on a pu dire ces dernières semaines: il est difficile d’estimer vos forces. Emmanuel Macron reprend une formule que Jacques Chirac avait utilisée en 2002. Il avait conscience qu’une grande partie des Français s’était alors portée sur son nom pour faire barrage à l’extrême droite. La question est: Emmanuel Macron sera-t-il capable de faire autre chose de cette situation que Jacques Chirac en 2002, c’est-à-dire rien du tout? Emmanuel Macron restera-t-il sur une plateforme qui sera essentiellement celle de son parti, conjuguée à celle du mouvement Horizons d’Edouard Philippe et à des membres des Républicains qui en auraient assez de la défaite? Ou sera-t-il en mesure, et comment, d’afficher une coalition plus ouverte? C’est l’enjeu des prochaines semaines.
La tendance dominante qui se dégage de cette élection est-elle celle d’une France contestataire?
La tendance principale montre qu’un fort clivage social existe en France. Depuis deux élections, on avait pensé à tort que les questions économiques étaient passées au deuxième plan par rapport aux enjeux identitaires et à l’immigration. Or, les préoccupations socio-économiques sont redevenues prioritaires pour nombre d’électeurs. Il y a une France qui souffre, une France qui a très durement vécu les confinements parce qu’elle a eu l’impression qu’elle était beaucoup plus victime de privations que d’autres parties de la population, une France qui a un ressentiment très fort envers Emmanuel Macron, considéré comme le représentant de la France des élites. Ce sentiment s’exprime fortement dans le vote pour Marine Le Pen. Cela explique notamment que l’intégralité des départements d’outre-mer ou presque ait voté largement en faveur de la candidate du Rassemblement national alors que l’on pouvait penser que les modèles de société qu’il représente étaient incompatibles avec son projet.
La France des extrêmes est-elle une réalité?
Je pense que c’est un effet d’optique. La coalition qui a porté ses voix sur Marine Le Pen est hétéroclite. Plus de 40% de ses électeurs ont voté pour faire barrage à Emmanuel Macron, sans être dans une adhésion profonde avec son programme. Ceux-là ont exprimé un immense ras-le-bol et une colère sociale contre le président sortant. A gauche, la situation est un peu différente. La coalition autour de Jean-Luc Mélenchon est très instable. Rien ne prouve qu’il répétera aux législatives son exploit du premier tour parce qu’une grande partie de la gauche est très hésitante quant à la suite à donner à ce vote. On ne peut pas résumer la situation actuelle à l’opposition entre une France contestataire à une France qui va bien. Elle est plus complexe.
Prendre le virage écologique permettra à Emmanuel Macron de se forger une stature de « premier président écologiste français ».
Un virage social et écologique de la présidence Macron est-il inéluctable?
Je ne mettrais pas sur le même plan le virage social et le virage écologique. Le second est assez inéluctable pour trois raisons. Une de circonstance: l’opinion en France est extrêmement sensible à cette question. Elle est prioritaire pour la gauche modérée. Une manière de démontrer qu’il a entendu cet électorat sera pour Emmanuel Macron d’opérer ce virage écologique. Je pense qu’il tiendra une partie de cet engagement. Deuxième raison: l’attachement aux symboles. Emmanuel Macron aime être le premier à réaliser certaines actions. Prendre ce virage lui permettra de se forger une stature de « premier président écologiste français ». Nommer une femme Premier ministre qui s’inscrira dans la durée (NDLR: la seule femme Premier ministre de l’histoire en France, Edith Cresson, ne l’a été qu’un peu plus de dix mois, entre mai 1991 et avril 1992) pourrait aussi le tenter au rang des symboles. Enfin, troisième raison, la question écologique est totalement compatible avec les orientations technolibérales proeuropéennes d’Emmanuel Macron. Il croit en une écologie compatible avec l’économie de marché et basée sur les progrès techniques.
Prendra-t-il aussi un virage social?
La question est de savoir quel choix il posera dans les prochains mois entre une prolongation du « quoi qu’il en coûte » pratiqué à l’occasion de la pandémie de Covid avec un virage qui continue à être social et des réformes de nature libérale, comme la réforme du marché du travail ou celle des retraites. A un moment donné, il devra se rendre compte que le « en même temps » a des limites. On l’a vu lors du premier quinquennat. A moins de résumer sa politique à une rhétorique, à « dire » plutôt qu’à « faire », il faudra opérer des choix. Et certains ne sont pas compatibles avec d’autres.
Le pari d’inscrire l’Union européenne au rang des priorités de son programme, en 2017 comme en 2022, n’a-t-il pas été particulièrement audacieux?
On reproche beaucoup à Emmanuel Macron de manquer de « colonne vertébrale idéologique ». Il est vrai qu’il navigue beaucoup à vue parce que cela lui permet de ne pas être prisonnier des événements, des idées, des dogmes. Il veut pouvoir donner un coup à gauche, un coup à droite dans ces temps changeants. Dans ce contexte, il est assez frappant de constater que son ambition européenne est probablement la conviction la plus sincère et la plus stable qui traverse sa politique. Elle est au coeur de son engagement. Il n’en a jamais dévié. Il a parlé d’éventuellement réformer l’Union européenne ou d’en modifier certains contenus, parfois en renforçant son côté protectionniste. Il s’est opposé aux Allemands sur ce sujet. Mais sa conviction européenne est toujours restée chevillée au corps. Elle est aussi basée sur l’idée, partagée par certains de ses prédécesseurs, qu’il ne peut pas y avoir de puissance française sans l’Europe. Emmanuel Macron y ajoute toutefois une dimension: il croit à l’Europe puissance. Il a théorisé cette idée. Cette conviction proeuropéenne répond à l’ADN de son engagement politique. Il faut lui en faire crédit. C’est pour cela aussi qu’il est assez populaire auprès des autres leaders européens. Il n’agit pas comme d’autres présidents avant lui qui faisaient des pas de deux, tantôt proeuropéens tantôt souverainistes, quand cela les arrangeait. Il croit à une France ouverte sur le monde et pleinement engagée dans l’Union européenne.
(1) Affirmation fausse: en pourcentage du nombre d’inscrits, c’est Georges Pompidou qui est le président « le plus mal » élu de la Ve République, en 1969, face à Alain Poher.
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