Hélène Capocci
Traité « Entreprises et droits humains » : l’appel de la société civile ne peut rester sans réponse de la part de l’Europe
Du 15 au 19 octobre, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève a été le théâtre de la quatrième session de négociations du Traité visant à mettre fin aux abus de droits humains commis par les entreprises. Alors que l’Europe et la Belgique n’y ont pas pris position, la société civile les appelle à être à la pointe de ce combat majeur.
Des entreprises chinoises, américaines ou européennes (y compris belges) qui investissent massivement dans des pays du Sud afin de pouvoir y mener leurs activités en fermant les yeux sur des règles sociales ou écologiques, qui quittent des zones en laissant derrière elles de véritables déserts toxiques, qui finissent par demander des dédommagements insensés aux États qui veulent protéger l’environnement ou les droits de leurs citoyens…
Alors que nous faisons face à une globalisation de l’économie, nous sommes aussi témoin d’une « globalisation des victimes ». Ces personnes dont les droits sont bafoués par des entreprises réclament aujourd’hui justice. Dans un contexte où 80% du commerce mondial est lié à un réseau d’entreprises multinationales, il est crucial que ces acteurs soient contraints à une régulation plus stricte vis-à-vis de leur impact sur les droits humains à travers le monde, et qu’un accès effectif à la justice soit assuré pour les victimes. C’est l’enjeu des négociations qui se sont tenues à Genève.
Les États n’étaient pas seuls à la table des discussions. Depuis le début du processus en 2014, la société civile joue un rôle primordial. Cette année encore, des représentants de mouvements sociaux, de communautés affectées et d’organisations non gouvernementales venus du monde entier étaient présents en masse pour montrer leur soutien au processus. Cela ne signifie pas seulement être présent dans la salle de négociation, mais aussi avoir l’occasion de réagir aux échanges qui ont lieu entre experts et États. Si certains auraient préféré des débats à huis clos, le processus bénéficie actuellement d’une réelle ouverture démocratique qui permet un débat public.
Mutisme européen
Si savoir ce qui se dit lors des séances officielles est précieux, ce qui se dit en dehors l’est tout autant.
Par ailleurs, les rendez-vous dans les couloirs remplissent eux aussi les agendas. Les ONG sollicitent les représentants d’États et de régions pour tenter de percer à jour le langage diplomatique souvent opaque. Ces réunions sont l’occasion d’échanges de vues sur le traité mais aussi de rencontres avec des partenaires du Sud. Des personnes qui sont touchées directement par des accaparements de terres, la contamination de leur lieu de vie ou tout autre impact désastreux découlant d’activités d’entreprises peu soucieuses des populations locales, viennent raconter leur histoire. Ainsi, Fassia et Joseph sont venus de Sierra Leone, accompagnés de FIAN Belgium, pour témoigner d’abus impliquant l’entreprise agroindustrielle belgo-luxembourgeoise SOCFIN. Cette confrontation entre monde diplomatique et témoignages du terrain rappelle l’essence de ce projet de traité : protéger les gens face à un modèle économique aux effets destructeurs, en le régulant mieux.
Si la société civile est fortement mobilisée, en revanche, l’engagement de l’Union européenne et de ses États membres est décevant. Après quatre sessions du groupe de travail, l’Union européenne n’avait toujours pas de mandat pour négocier ce traité, ni de position commune sur le texte proposé comme base des négociations ! Des discussions constructives ont pourtant eu lieu pour améliorer le texte, auxquelles ont pris part des pays comme l’Inde ou la Chine. Le traité avance, mais l’Union européenne reste à l’écart (au moins était-elle présente physiquement, ce qui n’était pas le cas des États-Unis).
Or, si l’Europe et la Belgique, qui siège au Conseil des Droits de l’Homme jusqu’à la fin de l’année 2018, veulent maintenir leur légitimité sur la scène internationale, elles ne peuvent laisser sans réponse cet appel à la justice. Leur crédibilité comme champions de la défense des droits humains et de la promotion du développement durable est en jeu. La prochaine session de négociation, qui aura lieu en octobre 2019, doit être l’occasion d’un véritable engagement. La société civile belge, à travers la plateforme CNCD-11.11.11 « Commerce juste et durable », y veillera tout particulièrement.
Hélène Capocci
Chargée de plaidoyer chez Entraide et Fraternité, ONG belge de coopération au développement défendant le droit à l’alimentation, présente à Genève avec 280 autres représentants mondiaux de la société civile.
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