Tintin ne parlait pas flamand
Colonie bilingue sur le papier, le Congo n’a jamais parlé néerlandais. Au point que « Flamand » était même devenu une injure.
Pourquoi ne nous avez-vous jamais appris à parler le néerlandais au Congo ? Maintenant, je ne trouve pas de travail car on exige partout des bilingues. » Ainsi soupire un Bruxellois d’origine congolaise dans Kuifje en Tintin kibbelen in Afrika (Kuifje et Tintin se chamaillent en Afrique) (1), où l’historien Evert Kets passe à la loupe les liens qui unissent les Flamands à l’ancienne colonie. « Bien que le Congo belge soit depuis 1908 une colonie bilingue, du moins sur le papier, ce bilinguisme est resté sur le terrain lettre morte », écrit-il. De fait, seul le français était utilisé. Les décrets d’application du bilinguisme n’ont été pris qu’en… 1957, sans être jamais entrés en vigueur.
« Flamand », une injure !
« On ne pouvait pas rêver d’une carrière coloniale si on ne parlait pas le français, explique l’écrivain David Van Reybrouck, qui a publié Congo. Een geschiedenis (Congo, une histoire), une somme de plus de 600 pages (2). Même pour les Flamands les plus pointus, le français au Congo n’était pas la langue de l’oppresseur, mais celle qui ouvrait de nouvelles opportunités. » Ceux qui la maîtrisaient mal étaient envoyés dans la brousse et affectés à des tâches subalternes. « Donner des ordres, prélever l’impôt, infliger des punitions étaient davantage des jobs pour les Flamands, signale Evert Kets. Ils étaient donc moins bien considérés par les autochtones. Comme ils se retrouvaient plus souvent en contact avec la population locale, ils avaient également la réputation d’être plus durs. « Flamand » est même devenu une injure ! »
Le néerlandais n’avait donc pas vraiment la cote. Pour les Congolais, il représentait un obstacle supplémentaire sur la voie de leur émancipation. Il était même devenu suspect, car utilisé pour empêcher de comprendre certaines conversations, par exemple en cas de troubles.
Cultures opprimées
Par contre, les Flamands ont vite montré leur intérêt pour les cultures et les langues locales au Congo, sans doute au nom de la solidarité entre les cultures opprimées. « Ce n’est que dans les années 1950 que le néerlandais a gagné du terrain dans l’Afrique belge, mais cette évolution a été cassée par la soudaine décolonisation entre 1960 et 1962 », explique Evert Kets. En 1956, le Pr Jef Van Bilsen avait prôné un plan de trente ans pour décoloniser l’Afrique belge. Ce fut en vain, mais le Congo serait peut-être devenu entre-temps bilingue, et le néerlandais une langue mondiale ! Au lieu de cela, Flamands et francophones ont oeuvré ensemble pour faire de Kinshasa la plus grande ville francophone au monde…
(1) Acco, 2009(2) De Bezige Bij, 2010
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