Terrorisme: la Belgique dans les tourments iraniens
En novembre s’ouvrira à Anvers le procès d’agents accusés d’avoir préparé une tentative d’attentat en France contre les Moudjahidine du peuple, principal groupe d’opposition à Téhéran. Un dossier où se mêlent menaces, diplomatie et profil bas.
« La nature de l’attentat, programmé à grande échelle, est peut-être l’élément nouveau que l’on peut déceler dans ce dossier. » Les conclusions de l’enquête de la justice belge, dévoilées par Le Monde le 11 octobre, sur la tentative d’attentat contre une réunion du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), le principal groupe d’opposition au régime de Téhéran, n’ont pas vraiment surpris Firouzeh Nahavandi, docteure en sciences sociales à l’ULB et spécialiste de l’Iran. L’implication du ministère iranien du Renseignement et de la Sécurité, avancée dans le dossier belge, avait déjà été attestée dans d’autres opérations en Europe. Mais celles-ci concernaient des assassinats ciblés, comme ceux ayant coûté la vie à deux leaders de l’opposition kurde iranienne le 17 septembre 1992 dans le restaurant Mykonos de Berlin.
La Belgique n’a pas envie que les relations avec l’Iran se détériorent.
Le samedi 30 juin 2018, quand la police belge arrête un couple d’Iraniens d’Anvers, Amir Saadouni et Nasimeh Naami, à bord d’une Mercedes à Woluwe-Saint-Pierre, il ne saute pas aux yeux qu’elle vient de déjouer un attentat qui aurait pu être particulièrement marquant. Les enquêteurs découvrent pourtant dans le coffre du véhicule 500 grammes d’explosifs à base de peroxyde d’acétone. La cible des terroristes? Une assemblée des militants du Conseil national de la résistance iranienne qui se tient le même jour à Villepinte, en Seine-Saint-Denis, au nord de Paris. Une de celles où cette structure qui abrite la principale force d’opposition iranienne, l’Organisation des Moudjahidine du peuple iranien (Ompi), aime à recevoir et à présenter ses amis occidentaux, défenseurs de la cause. En l’occurrence, du beau monde doit y parader: l’ancienne candidate à l’élection présidentielle en Colombie Ingrid Betancourt, l’ex-maire de New York et avocat de Donald Trump Rudy Giuliani, l’ancien speaker républicain de la Chambre des représentants Newt Gingrich, des parlementaires européens… Selon les enquêteurs belges, l’engin explosif, télécommandé à distance, aurait pu faire des ravages sur une centaine de mètres.
Dangereux pour la stabilité de l’Iran
Le 27 novembre s’ouvrira devant le tribunal d’Anvers le procès du couple interpellé en Région bruxelloise, d’un certain Mehrdad Arefani, arrêté à Villepinte, et d’Assadollah Assadi, troisième secrétaire de l’ambassade d’Iran à Vienne, considérée par le CNRI comme la principale branche en Europe du ministère du Renseignement, et présumé maître d’oeuvre de l’opération. La France avait déjà gelé ses avoirs en 2018 au même titre que ceux du vice-ministre du Renseignement chargé des opérations, Saeid Hashemi Moghadam, et ceux de la direction du ministère du Renseignement. Les conclusions de l’enquête belge confortent le soupçon d’une opération orchestrée depuis Téhéran.
« Les Moudjahidine du peuple iranien, qui étaient le bras armé de la révolution à son avènement en 1979, sont devenus dès l’année suivante les principaux ennemis de la République islamique. A ce titre, ils sont les plus surveillés par ses services et sont considérés comme les plus dangereux pour la stabilité du régime, décrypte Firouzeh Nahavandi. Eux aussi ont perpétré pas mal d’attentats en Iran, au contraire des autres groupes d’opposition. On est face à une organisation armée qui a une tradition d’action terroriste et qui en a les moyens. »
« C’est aussi une des principales forces d’opposition au régime iranien parce qu’elle a réussi à se faire accepter en tant que telle à l’étranger, complète la professeure de l’ULB. La présence à Villepinte de plusieurs personnalités haut placées était une illustration du renfort de propagande que l’Ompi met en place à l’intérieur des institutions occidentales en se présentant comme démocrate, et ce, d’autant plus qu’elle peut se targuer d’avoir une femme, Maryam Radjavi, à sa tête. Mais à l’intérieur de l’Iran, les Moudjahidine du peuple n’ont pas beaucoup de légitimité parce qu’ils ont longtemps été hébergés par Saddam Hussein, parce que les Iraniens n’ont pas oublié la guerre Iran-Irak, parce qu’ils ont donc eu des liens étroits avec l’ennemi et parce qu’ils sont craints pour leur idéologie mélangeant l’islam et le socialisme. »
La nature de l’attentat, programmé à grande échelle, est l’élément nouveau que l’on peut déceler dans ce dossier.
« Ne pas mettre de l’huile sur le feu »
Base arrière d’un attentat projeté à Paris, la Belgique se retrouve, à son corps défendant, au centre des luttes pour le pouvoir en Iran. Une situation d’autant plus sensible que le principal accusé du dossier, Assadollah Assadi, aurait, selon plusieurs sources, menacé la Belgique de possibles représailles. Lors d’un entretien le 12 mars dernier avec un des enquêteurs, il aurait affirmé que « des groupes armés en Irak, au Liban, au Yémen et en Syrie, ainsi qu’en Iran, étaient intéressés par l’issue de son affaire ». Cet « avertissement » et le contexte géopolitique expliquent peut-être pourquoi les autorités belges se montrent discrètes et prudentes sur ce dossier.
« J’ai l’impression que tout le monde va avoir tendance à minimiser l’importance de cette affaire, analyse Firouzeh Nahavandi. La Belgique n’a pas envie que les relations avec l’Iran se détériorent. Elle ne veut pas mettre de l’huile sur le feu. Mais c’est en agissant de la sorte que l’Iran continue à être défendue par certains Etats européens et à faire ce qu’elle veut. Il reste qu’avec la tenue du procès, certains ne pourront plus se voiler la face. »
A ces considérations, s’ajoute le contexte diplomatique particulier. L’Iran attend l’accession d’un président démocrate à la Maison-Blanche pour tourner la page de l’exacerbation des tensions sous Donald Trump. Une période au cours de laquelle les Européens ont toujours veillé à maintenir la porte ouverte au dialogue pour assurer la survie de l’accord sur l’accompagnement et le contrôle du développement du projet nucléaire iranien. Ils ne seront sans doute pas prêts à risquer d’hypothéquer cette relation au moment où elle pourrait reprendre vigueur.
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