Tensions en Iran après la mort de Mahsa Amini: « La contestation émane de toutes les classes sociales »
Depuis la mort de Mahsa Amini après son arrestation par la police des mœurs, la contestation du régime s’exprime dans plusieurs villes. Connaîtra-t-elle une issue différente des autres, étouffées dans la répression?
Depuis les funérailles de Mahsa Amini dans sa ville natale de Saqqez, au Kurdistan iranien, de nombreuses villes d’Iran ont connu des manifestations pour protester contre la mort de la jeune fille arrêtée le 13 septembre à Téhéran par la police des mœurs pour un foulard «mal porté» et décédée trois jours plus tard. A Saqqez comme ailleurs, le régime des ayatollahs y a répondu par une répression féroce qui, le 27 septembre, avait déjà fait entre 54 tués, selon l’ONG Iran Human Rights, et 180, d’après le Conseil national de la résistance en Iran, vitrine politique des Moudjahidine du peuple, principale organisation d’opposition au régime. L’Iran est régulièrement le théâtre de mouvements de contestation. En 2019, celui contre la hausse des prix des carburants avait fait entre 200 et 1 500 morts. Sociologue, professeure à Sciences Po Paris, Mahnaz Shirali décrypte les enjeux de cette révolte.
Au XXIe siècle, un pouvoir qui n’a pas la soutien de son peuple est un régime fragile et sans avenir.
La contestation actuelle en Iran a-t-elle une dimension particulière?
Son ampleur est largement plus importante que lors des épisodes précédents. Toutes les catégories sociales se sont solidarisées et elle n’est pas localisée dans une partie du pays mais s’exprime partout en Iran. Les protestataires avancent que 380 villes auraient été le théâtre de manifestations. Le régime parle, lui, de 80. Entre 80 et 380, cela montre bien que tout le pays est en train de gronder.
Le mouvement vous paraît-il plus puissant que lors de la contestation de 2019?
Absolument. En 2019, ce sont les couches les plus démunies de la société qui s’ opposaient à l’Etat. On parlait de protestations des «pieds nus». Maintenant, c’est la société dans son ensemble qui est dans la rue.
La pression de la police des mœurs s’est-elle accrue depuis l’élection à la présidence, en 2021, d’Ebrahim Raïssi?
La pression de la police des mœurs sur les femmes a toujours été grande. Elle s’ exerce depuis 43 ans. Il n’y a pas de demi-mesure dans la répression et l’injustice. Cette police brutalise les femmes iraniennes qui lui opposent une très forte résistance. Cette fois-ci, cela s’est traduit par la mort de Mahsa Animi. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Est-ce pire depuis l’accession au pouvoir d’Ebrahim Raïssi? Je ne saurais pas vous dire.
Les revendications des manifestants portent-elles sur la suppression de la police des mœurs?
Si on s’en réfère aux slogans qui sont scandés dans toutes les manifestations, leur but n’est pas la suppression de la police des mœurs mais la suppression du régime.
L’ exaspération à l’égard du pouvoir est-elle à son comble?
Les personnes qui sont habituées à écouter la parole des Iraniens se demandaient depuis longtemps comment cette société aussi contestataire, aussi mécontente, pouvait rester silencieuse et ne pas réagir. Là, elle est en train de se révolter d’une manière qui n’a pas de précédent. Cela n’est pas étonnant. Pour moi, c’est la suite logique des choses.
Comment analysez-vous l’ouverture d’une enquête demandée par le président? Est-ce une façon d’essayer de calmer la colère?
Le président devrait plutôt s’occuper des crimes qu’il a commis dans les années 1980 contre les prisonniers politiques. Il a à son «actif» la tuerie de quatre mille détenus politiques qui purgeaient leur peine à la prison d’Evin, à Téhéran. En une seule nuit, il a fait assassiner quatre mille personnes! Il a été condamné par un tribunal en Suède, qui a reconnu en lui un des principaux architectes de ce massacre massif. S’il faut compter sur lui pour mener une enquête sur le meurtre de Mahsa Amini, permettez-moi de ne pas avoir confiance en lui.
La répression des manifestants, la coupure d’Internet et de certains réseaux sociaux témoignent-elles d’un régime fragilisé?
Au XXIe siècle, un pouvoir qui n’a pas le soutien de son peuple est un régime fragile et sans avenir. Les Iraniens ne veulent pas de lui. Ils le crient partout dans les rues. Tombera-t-il prochainement? Personne ne pourra vous le dire. On ne peut qu’observer la situation et voir comment elle évolue. La seule chose que je peux affirmer, c’est que le peuple iranien veut prendre son destin politique en main. C’est évident. C’est ce que les jeunes expriment dans les manifestations. Le régime se maintient uniquement parce qu’il impose la terreur.
Ce pouvoir ne garde-t-il tout de même pas des soutiens au sein de la population?
Les propres enfants des dignitaires du régime ne supportent plus les contraintes. Ils manifestent aussi. La société iranienne est très jeune: 80% de la population a moins de 40 ans. Les jeunes aspirent à une vie normale comme les personnes de leur âge partout dans le monde. Le régime, lui, a beaucoup de mal à s’adapter à cette évolution…
Les manifestations sont-elles promises à durer?
On est face à une société non organisée. Les mouvements de foule peuvent s’éteindre du jour au lendemain ou peuvent continuer et déboucher sur autre chose. Je suis incapable de prédire l’avenir.
Les Européens essaient de relancer l’accord sur le nucléaire iranien. Ce contexte ne conduira-t-il pas les Occidentaux à une certaine retenue dans leurs critiques du pouvoir à Téhéran?
Quand on parle des Occidentaux, il faut aussi prendre en compte les sociétés civiles et les médias. Les journalistes relaient les informations. Ils montrent à l’Etat iranien qu’il est observé et qu’il ne peut pas tuer ses propres ressortissants en toute impunité. Autant on ne peut pas compter sur les dirigeants politiques occidentaux, autant on peut compter sur la société civile et les médias. En témoignant de ce qui se passe en Iran, ils protègent les Iraniens contre le régime. Ils contribuent à sauver des vies.
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