Tensions Congo/Rwanda: les raisons de la rupture (analyse)
Opération de communication réussie pour le pouvoir congolais, à l’occasion de sa brouille avec Kigali, pris «la main dans le sac» au Kivu. Les relations entre l’immense et instable Congo et son petit voisin enclavé ne seront jamais simples.
Comment désamorcer la bombe? Les relations entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, apaisées depuis le début du mandat du président congolais Félix Tshisekedi, sont au bord de la rupture à la suite de la reprise des affrontements au Nord-Kivu. Le M23, mouvement rebelle congolais suspecté d’être armé et financé par Kigali, a lancé contre les forces armées congolaises (FARDC) sa plus grande offensive depuis dix ans.
En 2012, ces combattants, d’anciens soldats déserteurs, s’étaient emparés d’une grande partie du Nord-Kivu et avaient brièvement pris Goma, la capitale provinciale, avant d’être repoussés par les FARDC, épaulées par les troupes de l’ONU. Le M23 avait, à l’époque, «sommairement exécuté des dizaines de civils, violé de nombreuses femmes et filles et recruté de force des centaines d’hommes et de garçons», rappelle l’ONG Human Rights Watch.
Les Congolais sont reconnaissants à Félix Tshisekedi d’être plus attentif aux libertés que son prédécesseur.
Dix ans plus tard, le M23 a repris les armes, accusant l’administration Tshisekedi de ne pas avoir respecté les accords de paix qui prévoyaient des amnisties pour les rebelles (pas pour leurs chefs). Le groupe armé a occupé à nouveau le territoire de Rutshuru et a contraint plus de 70 000 civils à fuir leurs villages. Le 25 mai, les combats ont atteint la périphérie de Goma.
SOS Poutine
Kigali a accusé l’armée congolaise d’avoir tiré des roquettes vers son territoire. Kinshasa a répliqué en affirmant que l’armée rwandaise participait activement aux combats aux côtés du M23. Preuve à l’appui: deux soldats rwandais capturés par la population ont été remis à l’armée congolaise. Ils ont été libérés trois jours plus tard, sur ordre du président Tshisekedi.
Le 1er juin, des marches de protestation contre le Rwanda et le M23 ont été organisées à Kinshasa et à Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu. Les manifestants ont clamé leur soutien à l’armée congolaise et appelé Félix Tshisekedi à rompre les liens avec Kigali. «A Bukavu, nous signale un responsable d’ONG, le cortège a brandi un portrait de Vladimir Poutine. Des activistes de la société civile appelaient le Kremlin à intervenir en RDC pour chasser le M23 et les Rwandais, puisque, estimaient-ils, les Occidentaux et la force onusienne ne font rien contre leurs agissements, qui déstabilisent l’est du Congo.»
Fraude sur le café, le cacao, les minerais
«Le pouvoir et la police congolais se sont montrés bienveillants à l’égard de ces expressions de défoulement populaire, qui se sont déroulées sans heurts, rapporte notre témoin. La capture de soldats rwandais, pris en flagrant délit, fut pour les autorités congolaises l’occasion de faire un joli coup de communication, car le président rwandais, Paul Kagame, est pris la main dans le sac. Le sentiment général, dans la population congolaise, est qu’il y a trop longtemps que Kigali se croit militairement et économiquement tout permis au Kivu. La fraude massive de café, de cacao et de minerais congolais vers le Rwanda est une réalité. Les Congolais rêvent de revanche, après des années d’humiliations.»
Mieux structurés économiquement que leur grand voisin, le Rwanda et l’Ouganda «exploitent à leur profit l’instabilité qui règne au Congo», constate l’un de nos contacts dans le milieu des affaires à Kinshasa. Au pouvoir depuis janvier 2019, Félix Tshisekedi a renversé, après deux ans de coalition avec la mouvance de l’ancien président Joseph Kabila, la majorité dans les deux chambres du Parlement. Il a désigné un nouveau Premier ministre, Jean-Michel Sama Lukonde, un techno- crate katangais, et nommé des proches à la tête des institutions politiques, judiciaires et éco- nomiques du pays.
Dans la foulée, fin 2020, la quasi- totalité des 26 gouverneurs de province, issus du camp kabiliste, ont rompu l’accord politique qui les liait à Joseph Kabila. Depuis, quatorze d’entre eux, accusés par les assemblées provinciales de corruption, incompétence et mauvaise gestion des ressources, ont été destitués. La plupart ont été remplacés par des candidats de l’Union sacrée (l’alliance tshisekediste).
Pouvoir provincial très faible
«Ces trois années de flottement politique ont créé un vide du pouvoir à l’échelon provincial: peu de décisions, pas d’affectation de budgets pour le développement en zones rurales, souligne un manager à Lubumbashi. Le pouvoir provincial reste faible, d’autant que la décentralisation du pays a échoué. Le gouvernement lui-même a une marge de manœuvre très limitée, le budget de l’Etat congolais étant ridiculement bas pour un pays qui regorge de richesses minières: l’ or, le cuivre, le cobalt…»
Au lendemain de la visite royale belge en RDC – Philippe et Mathilde passent la semaine à Kinshasa, Lubumbashi (Katanga) et Bukavu (Sud-Kivu) –, les grandes manœuvres pour la présidentielle congolaise, programmée à la fin de 2023, commenceront. Candidat à sa propre succession, Félix Tshisekedi a toutes les chances de remporter ce scrutin, nous assurent plusieurs sources à Kinshasa. «Son bilan est maigre, mais les Congolais sont reconnaissants au chef de l’Etat d’être plus attentif aux libertés que son prédécesseur, relève un journaliste kinois. Ils sont soulagés de ne plus vivre sous la menace policière et militaire. Beaucoup trouvent logique d’accorder un second mandat de cinq ans à Tshisekedi, pour qu’il puisse faire ses preuves. Joseph Kabila, lui, s’est maintenu au pouvoir pendant dix-huit ans, en a profité pour constituer par la prédation un empire financier familial et n’a pas amélioré l’ordinaire des Congolais.»
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