David Engels
Système universitaire : C’est le moment de… (re)lire Wilhelm von Humboldt
C’est la rentrée ! Professeurs et étudiants bénéficient maintenant de ces quelques jours de transition où le train-train quotidien n’a pas encore effacé le recul créé par les vacances – une occasion idéale pour se remettre en question.
Et il y a urgence, car notre système académique se trouve dans une crise profonde, comme l’attestent non seulement ses piètres performances, mais aussi la perte de vitesse de l’Occident dans le monde. Mais la crise va beaucoup plus loin, et la nécessité permanente de » quantifier » nos » qualités » (quelle contradiction !) n’en est pas seulement un symptôme, mais aussi une cause.
Jusqu’à la fin du xxe siècle, le système universitaire était largement inspiré par l’esprit humaniste mis en avant par des réformateurs tels que Wilhelm von Humboldt – pas un humanisme réducteur confondant tolérance avec mépris de soi, libéralisme avec exploitation et démocratie avec technocratie, mais un humanisme basé sur l’égalité d’êtres humains dont la mission est de développer les qualités spirituelles qui leur sont inhérentes. Dès lors, l’enseignement n’était pas conçu comme une formation purement technique (Ausbildung), mais comme lieu de rencontre entre égaux, permettant à chacun d’avancer sur son propre chemin et de se tailler une culture individuelle (Bildung) – une différence fondamentale qui explique notamment l’immense estime de nos ancêtres pour l’humanisme gréco-romain et qui n’était certainement pas étrangère à la place inouïe qu’occupait l’Occident dans le monde de jadis…
Or, que voyons-nous aujourd’hui ? Partout, l’amour de la culture a été remplacé par l’esprit de rentabilité, et l’authenticité des aspirations de chaque humain par une compétition mécanique entre les » agents » du » marché » de l’éducation et de la recherche. Ainsi, au lieu de choisir librement ses cours et de présenter l’examen au bout d’un cheminement individuel, l’étudiant est enfermé dans un carcan le poussant non pas à l’indépendance, mais à la soumission. Quant au professeur, il ne bénéficie plus de la liberté de construire sa recherche de manière organique, mais est mesuré selon son output scientifique et doit couvrir les sujets à la mode (et politiquement corrects) s’il veut être bien » classé « . Les universités, finalement, voient leurs moyens tellement diminués qu’elles doivent se livrer à des jeux sordides de cosmétique académique et de manipulation des cotations afin de réussir dans les rankings – quitte à couper les vivres aux professeurs et les obliger à courir les fonds de tiers qui leur dictent alors leur recherche.
Dès lors, liberté, individualité et autonomie – toutes sont remplacées par une dépendance hiérarchique récompensant l’opportunisme et mettant au pas les récalcitrants. Kant, Hegel ou Burckhardt auraient-ils pu travailler dans de telles conditions ? Il est fort à parier que non, et nos autorités feraient bien de se souvenir que les avancées sur lesquelles repose notre société sont tributaires du concept de la liberté humaniste, non de la rentabilité économique…
De l’esprit de l’humanité et autres essais sur le déploiement de soi, par Wilhelm von Humboldt, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, éd. Première Pierres, 2004.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici