La catastrophe économique pousse les populations à descendre dans la rue, comme ici, à Soueïda, au sud. © getty images

Syrie : la pauvreté attise la colère contre le régime

François Janne d'Othée

Douze ans après le début du soulèvement, la révolte gronde à nouveau en Syrie, cette fois chez les Druzes.

Pour la première fois depuis des années, le drapeau de la révolution syrienne a été exhibé dans une région administrée par le régime de Bachar al-Assad, plus précisément à Soueïda, au sud.

Chaque jour depuis la mi-août, des citoyens convergent vers la place centrale pour manifester contre le gouvernement. Des images ont montré des femmes et des hommes scandant «Bachar dégage», un slogan déjà entendu au début du soulèvement, en 2011.

Le régime l’avait réprimé avec une extrême violence, plongeant le pays dans une guerre sanglante qui dure encore jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, la province d’Idlib, aux mains de rebelles proturcs et de djihadistes, échappe toujours à son contrôle.

Les Druzes sont armés et savent que le régime ne tirera pas dans le tas.

Economie catastrophique

Si les manifestations ont pris un tour politique, leur origine est d’abord liée à une situation économique intenable causée par des pénuries en tous genres, sur fond de sanctions occidentales qui dissuadent tout investisseur de retrouver le chemin de Damas.

Le gouvernement a mis fin aux subventions sur les prix des carburants, avec, pour résultat, le doublement du prix de l’essence, alors que la population est durement éprouvée par douze ans de guerre.

Certes, le salaire des fonctionnaires a été augmenté – il a doublé – mais trop tard et trop faiblement, car les revenus ne parviennent pas à compenser la hausse vertigineuse du coût de la vie, couplée à la chute de la livre syrienne (un dollar pour 15 500 livres, contre 47 livres en 2011). Les prix de certaines denrées alimentaires ont ainsi bondi jusqu’à 100%.

Province druze

Ces foules révoltées seraient-elles à ce point téméraires qu’elles en ont oublié la terrible répression de 2011? Mais Soueïda n’est pas une province comme les autres. Si on y a aperçu un drapeau de la révolution syrienne, on y a surtout remarqué les dizaines de drapeaux multicolores de la communauté druze.

Soueïda est son fief principal. Sa population, avant la guerre, comptait 700 000 âmes, soit 3% des habitants. Les Druzes pratiquent une religion à la marge de l’islam, dans une filiation avec le chiisme.

Une relative autonomie

Damas leur a concédé une sorte d’autonomie, avec pour contrepartie le contrôle du djebel el-Druze, un bastion montagneux qui fait le lien entre Syrie et Jordanie, et la défense des faubourgs de la capitale où la communauté druze est bien établie. Résultat, les Druzes sont restés largement à l’écart du conflit en 2011.

«Si les Druzes se permettent de manifester, c’est parce qu’ils sont armés et savent que le régime ne tirera pas dans le tas, analyse Fabrice Balanche« , maître de conférences en géographie à l’université Lyon 2.

« C’est toute la différence avec les sunnites de la ville de Deraa, à une heure de route. Alors qu’ils se trouvent dans une misère encore plus noire, ils n’ont guère embrayé sur le mouvement. Quand ils sont descendus dans la rue en 2011 (NDLR: Deraa fut l’épicentre du printemps syrien), cela s’est très mal terminé pour eux. La frontière religieuse entre les deux provinces est très claire. Elle a été tracée à l’époque par les Français, en tenant compte des populations, druzes d’un côté, sunnites de l’autre.»

La mémoire vivace du chef

«Bachar al-Assad sait que les Druzes ne cherchent pas à le renverser ni à prendre la tête d’une révolte, poursuit Fabrice Balanche. Il est vrai que lorsque celle de 2011 a pris de l’ampleur, la région était alors en ébullition, car la mémoire du sultan al-Atrash, chef druze qui s’est rebellé contre l’occupation française en 1925, reste vivace.»

Mais ils n’effectueront jamais leur jonction avec les révolutionnaires syriens, dont ils se méfiaient du tropisme islamiste. La propagande du régime, qui se présente en protecteur des minorités et rappelle les fatwas d’un érudit sunnite appelant à l’extermination des Druzes, a fait le reste.

«Leur frustration est d’autant plus grande qu’ils s’estiment mal récompensés de leur loyauté au régime», estime le professeur.

Colère antikurde

Au même moment, une situation analogue se déroule dans la province orientale de Deir ez-Zor, avec, là aussi, les pénuries en toile de fond. De violents combats ont éclaté entre les miliciens kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les Etats-Unis dans la lutte contre Daech, et des combattants arabes sunnites. On compte des dizaines de morts.

«Septante pour cent des réserves pétrolières syriennes se trouvent dans cette province contrôlée par les FDS mais les populations locales les accusent de ne pas leur en faire profiter, expose Fabrice Balanche. Ils enragent également face au manque d’électricité, au rationnement du pain et du sucre, aux services de santé inexistants.»

La spirale de la pauvreté

Les sanctions occidentales empêchent l’importation de certains biens – et, par contrecoup, la reconstruction des infrastructures – et ne font qu’accélérer la spirale de la pauvreté, qui frappe neuf Syriens sur dix.

«Mais elles se retournent aussi contre les Occidentaux, car les sunnites s’en prennent ouvertement aux alliés des Américains», déclare le professeur. A l’inverse, ce sont les Iraniens et les Russes, soutiens du régime, qui tirent profit de la colère antikurde, dans l’optique de vouloir évincer les Etats-Unis de la scène syrienne.

L’instabilité intérieure

Depuis la reprise par le régime des grandes villes, une fausse paix règne en Syrie. Malgré sa réintégration dans la Ligue arabe et la reprise des relations avec la plupart des monarchies du Golfe, le pays reste marqué par l’instabilité intérieure.

A cela s’ajoutent la résurgence de Daech qui, cet été, a lancé plusieurs attaques meurtrières contre les forces loyalistes, ainsi que les frappes israéliennes contre les milices pro-iraniennes. Le régime cherche pour l’heure à éviter que les manifestations ne s’étendent à d’autres villes, et veut éviter un bain de sang qui serait fatal à sa réhabilitation régionale.

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