Joseph Ndwaniye
Suivez mon regard de Joseph Ndwaniye: San Basilio de Palenque (chronique)
Suivez mon regard » est une nouvelle chronique mensuelle de Joseph Ndwaniye, écrivain et infirmier, pour Le Vif. L’auteur partage le regard qu’il pose sur le monde – ici et ailleurs – avec une grande humanité. Cette semaine, il revient sur son séjour en Colombie.
Mon arrivée en Colombie, début 2019, coïncidait avec la destruction de l’ex-quartier général du célèbre narco- trafiquant, Pablo Escobar, une luxueuse tour de sept étages de la banlieue de Medellin. Fini la tentation pour le narcotourisme.
J’avais préparé d’autres excursions à ne pas rater: Cali (ville de la salsa), Carthagène des Indes (ville fortifiée de la côte caribéenne) et mon rêve ultime: Aracataca, lieu de naissance de l’écrivain de Cent ans de solitude, le formidable Gabriel Garcia Márquez. Espoir secret de fan de football, allais-je rencontrer le gardien de but, René Higuita, qui avait rendu populaire le coup du scorpion lors d’un match amical Colombie-Angleterre le 6 septembre 1995 à Wembley?
Alors qu’en sortant de la majestueuse église San Pedro de Carthagène, j’admirais les bâtiments colorés de style colonial baignés par la lumière du soir, un jeune homme qui venait de quitter un groupe d’amis s’est adressé à moi dans une langue étrange. Il s’est vite rendu compte de sa méprise et a continué en espagnol. J’ai appris plus tard que cette langue est le fruit d’un mélange de langues africaines, d’espagnol et de portugais, langue que les anciens esclaves ont créée sous forme de code pour éviter que le colon ne les comprenne. Cette rencontre fortuite allait changer le cours de mon séjour.
Le jeune homme m’a dit se nommer Cassiani et être originaire d’un village que je devais absolument visiter avant de retourner en Europe. C’est ainsi que San Basilio de Palenque, situé à 60 kilomètres au sud de Carthagène, s’est ajouté à ma liste. Il fut fondé au XVIIe siècle par Domingo Benkos Biohó, premier esclave africain à échapper à ses propriétaires. Avec un groupe d’autres fugitifs avides de liberté qui avaient fui Carthagène et d’autres villes, il a créé ce village dont le nom Palenque fait référence aux palissades érigées en guise de protection. En 1713, il a conclu un accord de paix avec les Espagnols pour la liberté en échange de quelques conditions: arrêter d’aider d’autres esclaves à fuir leurs propriétaires, prendre San Basilio comme saint patron , qui donnera ensuite son nom à cette communauté, abandonner leurs croyances et adopter la religion catholique. Un évêque d’origine italienne fut chargé de les convertir: Fray Antonio Maria Cassiani. Il devait baptiser les habitants et leur donner son nom. Cassiani est encore le patronyme le plus courant aujourd’hui. Reconnu comme l’un des premiers négociateurs de paix de la Caraïbe colombienne, Benkos Biohó fut cependant pendu et démembré, telle était la sentence infligée aux rebelles capturés.
Cette rencontre fortuite allait changer le cours de mon su0026#xE9;jour en Colombie.
Reliquat de cette indépendance, l’organisation sociale, la sécurité et la justice dans le village sont assurées par les sages de la guardia cimarrona selon les traditions de leurs ancêtres africains, la police colombienne n’y intervient pas. San Basilio de Palenque a connu des célébrités parmi lesquelles Kid Pambelé (deux fois champion du monde de boxe), Evaristo Márquez (premier acteur Palenquero à Hollywood), Graciela Salgado (chanteuse du groupe de musique traditionnelle Las Alegres Ambulancias) et Rafael Cassiani (chanteur et leader du groupe Sexteto Tabalá).
Toutes ces singularités culturelles, artistiques, linguistiques et traditionnelles ont valu à San Basilio de Palenque le titre de chef-d’oeuvre du Patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2005. Serait-ce San Pedro, en remerciement de ma visite, qui a poussé ce jeune homme à m’ apostropher?
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