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Statut de protection temporaire des Vénézuéliens : la porte de l’intégration de la Colombie

La première phase de mise en oeuvre du statut temporaire pour la protection des migrants vénézuéliens a commencé ce mercredi 5 mai. Il contribuera à l’intégration des 1,8 million de migrants vénézuéliens en Colombie. Ceux-ci fuient leur pays depuis 2015 en raison de la profonde crise économique et sociale qui y règne.

Le statut de protection temporaire (ETP) régularise la migration de tous les Vénézuéliens arrivés en Colombie afin de leur permettre une intégration plus facile dans la société. « Ce statut implique beaucoup d’avantages pour les Vénézuéliens et un pas en avant pour les Colombiens« , affirme Jozef Merkx, le représentant en Colombie d’ACNUR (l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés). Pendant une durée de dix ans, les migrants pourront « exercer tout type d’activité ou de profession dans le pays », explique El Tiempo. « C’est une quantité de temps pensée pour permettre aux Vénézuéliens qui le souhaitent de s’installer en Colombie ou de retourner au Venezuela dès que les conditions seront meilleures« , détaille Merkx.

Ce statut offre l’accès au marché du travail, mais aussi au système d’éducation publique, car un enfant sur deux n’est pas scolarisé. Dans la plupart des cas, la raison est indépendante de la volonté de la famille. Quant aux jeunes migrants vénézuéliens, ceux-ci sont déjà admis dans les instituts supérieurs du territoire colombien. Pourtant, ils rencontrent des difficultés au moment de régulariser leurs diplômes. Le statut leur permettra d’avoir accès aux diplômes colombiens. L’ETP donne également accès aux services essentiels, notamment au système national de santé et à la campagne de vaccination contre la Covid-19. En Colombie, celle-ci a commencé seulement le 20 février.

La situation de vulnérabilité des migrants s’est aggravée pendant la crise liée à la Covid-19. Suite à la pandémie, beaucoup de réfugiés ont perdu leur travail, leurs moyens de subsistance, leur loyer. Selon une enquête d' »Action contre la faim », près de 90 % des migrants inscrits dans leur programme d’aide humanitaire se sont retrouvés en situation de pauvreté à cause de la Covid-19. Les problèmes liés à la maladie persistent et s’aggravent. Plus de 30 000 Vénézuéliens en Colombie ont déjà été infectés par la covid.

Un statut humanitaire

« Le statut représente l’espoir de l’intégration socio-économique au sein de la société colombienne« , soutient Merkx. Les principales raisons pour lesquelles le gouvernement Duque a mis en place ce statut, ce sont les conditions de vie précaires des migrants en Colombie, dont 56 % y vivent illégalement. Les migrants en possession d’un passeport vénézuélien — un sésame très difficile à obtenir dans leur pays — recevaient un permis spécial de permanence (PEP) pour seulement deux ans. Les autres restaient clandestins, exploités par le marché noir, les rangs de la guérilla et les mafias. « L’illégalité de l’immigration conduit uniquement à de nouveaux esclavages, y compris sexuels, et à la violence. » Avec ce statut, le gouvernement connaîtra la situation de chaque migrant. « Plus de contrôle et de protection pour les réfugiés seront mis en place« , déclare le représentant des Nations Unies.

« Le gouvernement est en train de prendre beaucoup de responsabilités« , confirme Merkx. Toutes les ressources que le statut comporte, comme la multiplication des enseignants, des médecins, de la nourriture, coûtent environ 1,2 million de dollars par an à l’État colombien. Par le biais des Nations Unies, les ONGs, la Croix rouge, la communauté internationale soutient le gouvernement et le peuple vénézuéliens en lui offrant une assistance sanitaire. Les premières demandent 641 millions de dollars pour complémenter les efforts du pays. « Je crois que les nations riches du monde devraient donner plus de soutien à la Colombie pour faire face à cette crise. » La Colombie dispose d’une aide internationale équivalente à seulement 10 % des ressources qui sont envoyées pour s’occuper des réfugiés syriens, soit 300 dollars par an et par personne.

La situation à la frontière

La Colombie, qui partage 2 200 km de frontières avec le Venezuela, est un des principaux pays d’accueil des migrants vénézuéliens. Dans le département d’Arauca, une zone à la frontière, « la situation est très compliquée à cause des affrontements entre la guérilla et l’armée vénézuélienne. » Le 21 mars, 6 000 personnes sont arrivées en Colombie pour fuir les combats au Venezuela. « C’est une émergence additionnelle qu’on n’avait pas prévue », précise Merkx.

Jusqu’en mars, avant la pandémie de Covid-19, 3 000 à 5 000 individus entraient en moyenne par jour en Colombie, selon les chiffres de « Migración Colombia ». À cause des règles sanitaires, la frontière reste cependant fermée. De nombreux contrebandiers profitent alors de la situation pour fournir aux migrants de fausses attestations en échange d’argent. « Avec l’ETP gratuit, on espère éviter que les réfugiés soient victimes d’intermédiaires qui pourraient exploiter leur vulnérabilité « .

Un statut suffit à intégrer les Vénézuéliens ?

Selon 56 % des Colombiens interrogés par « Proyecto Migración Venezuela », les migrants vénézuéliens « enlèvent de l’emploi aux citoyens ». Pour 43 %, ils représentent « une menace pour la sécurité dans les villes. » Ces propos sont dus à des facteurs tels que la désinformation et la propagation de préjugés et de stéréotypes. Certains discours politiques comme ceux de la maire de Bogotá, Claudia Lopéz, exacerbent la discrimination. « Les faits montrent qu’une minorité de Vénézuéliens, profondément violents, qui tuent pour voler ou pour une réquisition, sont un motif d’insécurité dans notre ville « , avait-elle déclaré en mars dernier. Avec la situation de difficulté que la Covid a causée, les discriminations se sont intensifiées. Avant la réforme de l’ETP, le président Iván Duque annonçait « qu’aucune dose de vaccin n’aurait été attribuée aux migrants clandestins ».

Selon Merkx, le statut aide à combattre la xénophobie : « si les réfugiés peuvent vraiment être part intégrante de la société colombienne, il y a aura peut-être moins de discrimination. » ACNUR, qui s’occupe des réfugiés a lancé la campagne d’intégration « Somos Panas Colombia ». Celle-ci se propose de nourrir le sentiment de solidarité envers les migrants vénézuéliens en cette période. Elle donne des conseils pour faire face à la xénophobie croissante dans les réseaux sociaux. L’initiative prône des messages de tolérance pour faciliter la convivialité entre les deux peuples.

À l’époque coloniale, c’étaient les Colombiens à migrer au Venezuela en raison du boom pétrolier et du conflit armé interne en Colombie. Maintenant, c’est le contraire. Jozef Merkx observe de la « réciprocité » dans la société colombienne. « Il faut rappeler que beaucoup de Colombiens sont reconnaissants envers les Vénézuéliens pour avoir intégré leur peuple dans le passé. Ils veulent les aider maintenant avec des moyens de subsistance. » La Colombie a déjà accueilli 35 % du total de l’exode vénézuélien qui compte 6 millions de personnes.

Selon une enquête du « Proyecto Migración Venezuela », 33 % des Colombiens interrogés déclarent que les migrants offrent une opportunité pour le développement du pays. Les travailleurs vénézuéliens représentent une grande main-d’oeuvre pour différents secteurs. À travers le statut, la Colombie donne la possibilité aux migrants vénézuéliens de contribuer à l’économie colombienne et de s’intégrer à la société au lieu de les isoler. « Il faut voir la crise des migrants vénézuéliens comme une richesse pour la Colombie« , conclut le représentant des Nations Unies.

Valentina Jaimes

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