Laurence D'Hondt
Sortir les musulmans de leurs « ghettos »: une histoire que les Juifs ont traversée
Aux yeux des Juifs, les Français sont-ils leurs frères ou sont-ils des étrangers? Une Juive peut-elle se marier avec un Chrétien? Telles sont quelques-unes des questions que Napoléon a posées à la communauté juive en 1806. Les réponses positives ont permis leur intégration.
L’histoire ne se répète jamais à l’identique, mais elle propose des analogies qui peuvent éclairer le présent et peut-être donner des perspectives aux tendances de fond, aux « temps longs » qui la travaillent, selon l’expression de la célèbre Ecoles des Annales.
Ainsi, n’est-il pas vain de rappeler à l’heure où l’échec de l’intégration de l’immigration musulmane est parfois perçu comme le résultat d’une fatalité, que ce n’est pas la première fois que l’Europe est confrontée dans son histoire moderne à l’installation de populations immigrées qui ne s’intègrent pas ou mal.
Jusqu’au début du 19e siècle, l’Europe faisait face à l’échec de l’intégration des Juifs qui y étaient installés, non pas depuis des décennies, mais depuis des siècles. En Italie, en Allemagne, dans les pays de l’Europe de l’Est, en France, en Belgique, les Juifs vivaient dans certains quartiers de nos villes, parfois dans des ghettos -un mot utilisé dans la république de Venise dès le 16e siècle pour désigner les quartiers où ils avaient l’obligation de se regrouper. Ils y vivaient souvent en marge de la société, suivant un mode de vie soumis aux règles imposées par le judaïsme et demeuraient parfois dans une grande pauvreté.
Frappé par leurs conditions de vie, désireux aussi d’assimiler ces populations récalcitrantes, Napoléon décida en 1806 de leur donner l’occasion d’une meilleure intégration, à condition de respecter certaines règles de vie en commun. Il convoqua à cet effet une assemblée de 111 notables juifs, laïcs ou rabbins, désignés par la communauté et les soumit à douze questions dont les 7 premières rejoignent de manière frappante les questions les plus épineuses auxquelles l’absence de réponse claire, hypothèque aujourd’hui la réussite de l’intégration des communautés musulmanes en Europe.
Les questions étaient celles-ci:
1. Est-il licite aux Juifs d’épouser plusieurs femmes?
2. Le divorce est-il permis par la religion juive? Le divorce est-il valable sans qu’il soit prononcé par les tribunaux et en vertu de lois contradictoires à celles du code français?
3. Une Juive peut-elle se marier avec un chrétien, et une chrétienne avec un Juif? Ou la loi veut-elle que les Juifs ne se marient qu’entre eux?
4. Aux yeux des Juifs, les Français sont-ils leurs frères ou sont-ils des étrangers?
5. Dans l’un et l’autre cas, quels sont les rapports que leur loi leur prescrit avec les Français qui ne sont pas de leur religion?
6. Les Juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie? Ont-ils l’obligation de la défendre? Sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du Code civil?
7. Qui nomme les rabbins?
La simplicité parfois brutale des questions a fait sa force. Les trois premières concernaient la famille et son ouverture aux personnes extérieures à la communauté, point de départ d’une intégration réussie ou non. Les 3 suivantes concernaient l’acceptation par la communauté juive de se considérer comme des Français, entérinant la perte d’autorité du droit rabbinique face à l’autorité civile et donnant accès aux droits mais aussi aux devoirs de tout citoyen, notamment celui de combattre sous le drapeau national. Enfin, la 7e question concernait l’organisation du culte qui s’inscrira dans une réorganisation globale des cultes en France.
Après une année d’intenses débats, les notables désignés ont apporté des réponses positives qui ont largement contribué à l’intégration des Juifs et les ont poussés dans la modernité proposée par la France.
Au cours du 19e siècle, le modèle d’intégration français de la communauté juive a poussé d’autres pays d’Europe à s’en inspirer.
Deux siècles après, si l’on regarde cet événement sous le prisme du ‘temps long’ dont l’histoire a besoin pour révéler son sens, on peut dire que les Juifs de France font partie intégrante de la société française.
Si comparaison n’est pas raison, que Napoléon avait un pouvoir impérial qui ne peut être comparé au pouvoir dans une démocratie et que les communautés musulmanes ne sont pas en tous points comparables aux communautés juives du 19e siècle, il est frappant de constater que les questions posées gardent toute leur pertinence. La levée de toute ambiguïté concernant certaines réponses, aideraient certainement les communautés musulmanes à avancer dans la voie de l’intégration.
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