En organisant le sommet des BRICS sur le sol russe, Vladimir Poutine veut prouver qu’il est loin d’être isolé sur la scène internationale. © AFP

«Son message est très clair»: comment Vladimir Poutine veut renverser la vapeur internationale au sommet des BRICS

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Du 22 au 24 octobre, une vingtaine de dirigeants étrangers fouleront le sol russe à l’occasion du sommet des BRICS. L’occasion, pour Vladimir Poutine, de se départir de son image de paria sur la scène internationale et de plaider pour une alternative à l’ordre mondial dominé par l’Occident.

L’événement diplomatique le plus important jamais organisé en Russie». Rien que ça. Le sommet international qui s’ouvre mardi à Kazan, sur les rives de la Volga, représente un enjeu de taille pour le Kremlin. Du 22 au 24 octobre, Vladimir Poutine recevra un total de 24 dirigeants étrangers, pour la plupart issus des BRICS, ce groupement de neuf pays émergents créé en 2009 par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Outre les leaders indien Narendra Modi et chinois Xi Jinping, le président russe pourra également compter sur la présence de nouveaux venus de l’alliance, tels que l’Iranien Massoud Pezechkian, mais également sur celle de candidats à son adhésion, comme le Turc Recep Tayyip Erdogan. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, devrait également être de la partie.

La rencontre, première du genre sur le sol russe depuis le début de l’invasion en Ukraine, devrait permettre au Kremlin de raffermir ses liens avec plusieurs puissances mondiales. «Le message de Poutine est très clair, débute Sebastian Santander, professeur de sciences politiques à l’ULiège et directeur du Centre de Relations Intenationales CEFIR. Il veut prouver que la Russie n’est pas isolée et que, malgré les sanctions européennes et américaines à son égard, elle peut compter sur l’appui politique et diplomatique d’un certain nombre de pays.» Pour le président russe, c’est l’occasion de venger sa relégation au rang de paria sur la scène internationale et de rattraper son absence au précédent sommet des BRICS, en raison du mandat d’arrêt de la CPI dont il fait l’objet depuis mars 2023.

Limiter la puissance du dollar

Surtout, Vladimir Poutine veut prouver qu’il existe une alternative à l’ordre mondial établi par les Occidentaux au lendemain de la seconde guerre mondiale. «Avec les BRICS, Poutine plaide pour un modèle multipolaire, qui reflèterait davantage les nouveaux rapports de force sur la scène internationale», indique Sebastian Santander. «Ensemble, ces pays émergents réclament par exemple un meilleur partage du pouvoir au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, du FMI ou de la Banque Mondiale, institutions toujours extrêmement dominées par les Etats-Unis et les pays européens», complète Tanguy Struye, professeur de relations internationales à l’UCLouvain.

D’autant que l’invasion russe en Ukraine a valu au Kremlin son éviction du système bancaire international Swift, affectant grandement ses relations économiques et commerciales avec la Chine ou l’Inde. «Poutine veut profiter du sommet pour remettre sur la table l’idée d’un système alternatif: le BRICS Pay, insiste Sebastian Santander. Cette plateforme de paiements internationaux, en monnaie numérique, aurait pour objectif de contourner la puissance du dollar et d’atténuer les effets des sanctions économiques à l’égard de la Russie.»

Sur papier, l’alliance formée par les BRICS apparaît relativement puissante. A eux seuls, ces 9 pays représenteraient 35% du PIB mondial, et près de la moitié de la population de la planète, contre à peine 10% pour le G7. Mais plusieurs obstacles freinent leur accession au rang de contre-puissance, à commencer par les nombreuses dissidences en leur sein. L’Inde et la Chine, par exemple, ont essuyé de nombreux différends frontaliers ces dernières décennies. «Les BRICS forment un groupe bien plus hétérogène qu’il n’y paraît, contrairement à l’OTAN, qui partage un certain nombre de valeurs communes», résume Tanguy Struye.

BRICS: «Capter les signaux»

Plusieurs de leurs membres affichent d’ailleurs une position ambiguë à l’égard du conflit en Ukraine et sont loin de soutenir Poutine. «La majorité des Etats font partie des BRICS par intérêt économique, mais sans forcément partager la vision diplomatique de leurs « alliés », insiste le professeur de relations internationales. Ce sont des Swing States qui mènent en réalité une politique de multialignement en jouant sur tous les tableaux, à l’image de l’Inde qui fait également partie du Quadrilateral Security Dialogue (Quad), un groupe de coopération avec les Etats-Unis. Il faut donc bien distinguer la rhétorique russe de la réalité des BRICS.»

Attention toutefois à ne pas sous-estimer l’influence grandissante des BRICS, confirmée par les nombreux candidats à son adhésion, avertit Tanguy Struye. «Les Occidentaux doivent capter les signaux de ces pays émergents, qui sont de plus en plus nombreux à ne pas choisir un camp, alors qu’il y a 15 ou 20 ans, ils n’auraient pas hésité à se ranger du côté de l’Occident. Il faut tenir compte des exigences de ces pays, sans quoi la situation risque de devenir problématique, avec de plus en plus d’Etats susceptibles de remettre en cause des valeurs cruciales comme les droits de l’Homme ou la démocratie.»

Si Vladimir Poutine semble encore loin de se muer en leader d’un nouvel ordre mondial, le sommet de Kazan pourrait en tout cas s’avérer un véritable succès diplomatique. «Tout dépendra d’un potentiel communiqué commun à l’issue de la réunion, et jusqu’où cette déclaration osera aller dans les critiques à l’égard de l’Occident», prédit Tanguy Struye.

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