Six mois de guerre en Ukraine: pourquoi une « victoire » militaire est la seule solution
Le 24 août prochain marquera les six mois de la guerre en Ukraine. Les initiatives en vue d’une solution négociée étant pour l’heure empêchées, la conquête – ou la reconquête – de territoires semble le seul facteur de nature à modifier la position des belligérants. Mais les lignes de front bougent peu. La guerre devrait donc durer.
« C’est le moment de rentrer à la maison.» En moquant, le 9 août, quelques heures après des explosions sur la base d’aviation navale de Saky, la fuite filmée de touristes russes venus hardiment passer leurs vacances sur les rivages de la Crimée ukrainienne annexée par Moscou en 2014, le ministère de la Défense à Kiev a exprimé le gouffre de haine que la guerre lancée le 24 février par Vladimir Poutine a creusé en six mois entre les deux populations cousines. Un semestre plus tard, le conflit flirte toujours, malgré son endiguement actuel au sud et à l’est de l’Ukraine, avec une confrontation plus vaste, la menace du recours à l’arme nucléaire ayant été à plusieurs reprises brandie par des dirigeants russes.
La résistance, l’organisation, la détermination des Ukrainiens ont accrédité, aux yeux des Occidentaux, l’idée que l’Ukraine pourrait être le tombeau du régime poutinien.
Les Ukrainiens se sont d’ailleurs gardé de revendiquer leur – très probable – responsabilité dans la destruction de munitions et d’avions à Saky. La Crimée étant considérée à Moscou comme territoire russe, Vladimir Poutine pourrait y trouver une justification à une extension ou à une intensification du conflit, si tant est que son armée en ait les capacités. En toute hypothèse, pour les troupes russes en Ukraine, ce n’est pas encore le moment de rentrer à la maison. Loin de là.
Quels objectifs minimaux?
Si le projet de renversement du gouvernement de Volodymyr Zelensky et de son remplacement par un pouvoir à la botte du Kremlin, tel que l’opération éclair des commandos russes sur Kiev devait le permettre aux premiers jours du conflit, a été annihilée par la résistance ukrainienne, le mystère demeure sur les objectifs minimaux que le président russe estime désormais devoir atteindre pour redonner vie à une négociation. Hormis quelques tentatives vaines au début du conflit et un succès obligé le 22 juillet sur un dossier connexe (la reprise de l’exportation des céréales ukrainiennes pour desserrer l’étreinte des pays destinataires), la diplomatie a été tristement absente depuis six mois.
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La conquête militaire semble donc être le facteur clé d’un éventuel changement d’attitude des belligérants. Il est interpellant, à cet égard, de constater que les principales avancées territoriales de l’armée russe ont été réalisées dans les premiers jours de l’invasion et que, depuis, elle a concédé plus de zones qu’elle n’en a conquis. Fin février, à la faveur d’offensives lancées depuis la Crimée et depuis les républiques de Louhansk et de Donetsk dont Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance le 21 février, elle s’empare, au sud, de la province de Kherson et d’environ deux tiers de celle de Zaporijia et, à l’est, d’un tiers de celle de Kharkiv et d’une grande partie de celle de Louhansk. En conjuguant ces zones aux territoires de la Crimée et du Donbass occupés depuis la première «invasion» de 2014, la Russie contrôle 20% de l’Ukraine.
Depuis mars, les Russes ont, certes, ajouté à leurs trophées les prises des villes de Marioupol, au terme d’un siège commencé le 26 février et clos le 20 mai autour du site industriel d’ Azovstal, de Severodonetsk et de Lyssytchansk en juin, parachevant de la sorte l’occupation de l’oblast de Louhansk. Mais pour achever, entre autres, cette dernière conquête, ils ont aussi dû se retirer des régions situées au nord de la capitale, Kiev, et à l’est de la deuxième métropole du pays, Kharkiv. Des cibles d’une autre dimension que leurs gains dans le sud et auxquelles on peut penser qu’ils ont renoncé.
Une guerre américaine
Qui aurait parié, au soir du 24 février, que six mois après le déclenchement de l’«opération militaire spéciale» russe, les trois quarts de l’Ukraine seraient encore sous contrôle du gouvernement de Kiev, que Kharkiv, Dnipro, Odessa échapperaient toujours à la mainmise du géant voisin et que l’avancée de son armée serait contenue dans la partie méridionale du pays? La réaction initiale des Ukrainiens a été capitale pour enclencher un cercle «vertueux» qui les autorise aujourd’hui à imaginer que la défaite n’est pas inéluctable. Leur résistance, leur organisation, leur détermination ont ainsi accrédité, aux yeux des Occidentaux et singulièrement des Américains, l’idée que l’Ukraine pourrait être le tombeau du régime poutinien.
Le Congrès à Washington a donné son accord, le 8 août, à l’octroi d’une aide d’un milliard de dollars à Kiev pour l’achat d’armes, de munitions et d’équipements. Les Etats-Unis ont délivré là leur dix-huitième contribution à l’effort de guerre ukrainien depuis le début du conflit, pour un montant global estimé à près de dix milliards de dollars. En 2021, le budget de la défense de l’Ukraine avait atteint 5,9 milliards de dollars. Le conflit en Ukraine est aussi une guerre américaine contre le réveil de l’ambition impériale russe voulu par Vladimir Poutine.
Priorité au Donbass
Aujourd’hui, les combats se concentrent dans la province de Donetsk, dont les Russes espèrent achever la conquête, et dans celle de Kherson, où les Ukrainiens projettent de reprendre des territoires. L’organisation sur le terrain de l’armée russe, détaillée le 14 août par l’Institut pour l’étude de la guerre, à Washington, démontre la priorité accordée par Moscou à la bataille du Donbass. Sur les six concentrations de troupes recensées, quatre sont engagées dans celle-ci: sur la ligne Izioum-Sloviansk, dans la région de Siversk et Lyssytchansk, autour de la ville de Bakhmout et sur la ligne Avdiivka-Donestk. Les deux autres sont engagées dans des combats dans les provinces de Kharkiv, au nord du Donbass, et celles de Kherson et de Zaporijia, au sud.
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La prise des communes de Severodonetsk, le 7 juin, et de Lyssytchansk, quelques jours plus tard, auguraient d’un été chaud sur le front des villes de Sloviansk et de Kramatorsk, bastions ukrainiens de l’oblast de Donetsk. L’ offensive massive n’a pas eu lieu. C’est kilomètre carré par kilomètre carré que les Russes progressent dans cette région. Problème d’effectifs, peut-être: selon le sous-secrétaire américain à la Défense, Colin Kahl, qui s’exprimait le 8 août, 70 000 à 80 000 soldats russes auraient été tués ou blessés sur les 120 000 à 130 000 engagés dans l’opération en Ukraine. Et si la campagne de recrutement de printemps organisée sur tout le territoire russe a obtenu des résultats honorables, il y a de la marge entre l’embrigadement de conscrits et la possibilité de leur participation au conflit.
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Le massacre de Boutcha a démontré que l’«opération militaire spéciale» de Vladimir Poutine est une sale guerre dont les répercussions sont loin d’être toutes évaluées.
Armement sophistiqué
Dans l’autre camp, si les pertes humaines sont également élevées – au plus fort des combats à Severodonetsk, le président Zelensky a évoqué la mort quotidienne de soixante à cent hommes – sans qu’un chiffre réaliste n’ait été divulgué, l’élément déterminant pourrait résider dans l’opérationnalité des armements de haute technologie fournis par les Occidentaux et progressivement maîtrisés par les militaires ukrainiens.
Quelques faits d’armes récents, comme le bombardement, le 15 août, d’une base du groupe de mercenaires Wagner à Popasna, localisée suite à un reportage d’un journaliste russe, ou les attaques présumées en Crimée sembleraient attester l’efficacité accrue de l’armée ukrainienne. Celle-ci est désormais équipée de seize lance-roquettes multiples américains M142 Himars, qui peuvent atteindre avec précision des cibles situées à 80 kilomètres de distance, de dix-huit canons Caesar français et d’une série de missiles antiradars AGM-88 High-speed antiradiation missile (Harm). Plus d’une centaine de dépôts de munitions et de carburant des lignes d’approvisionnement russes auraient été détruits par les Himars et les Caesar. Une quinzaine de systèmes de défense antiaérienne russes auraient été mis hors d’état de fonctionnement par les Harm rien qu’entre le 5 et le 7 août. L’ avenir proche dira si cet apport technologique peut orienter la conduite de la guerre au profit des Ukrainiens. L’hypothèse n’est pas exclue.
Souffrances indicibles
En attendant, le conflit continue de charrier son lot de souffrances. Dans des combats de plus en plus rudes. Dans les bombardements indiscriminés de bâtiments de civils par les forces russes. On a pu l’observer à Tchernihiv, au nord de Kiev, au début de la guerre (47 tués), à Marioupol en mars sur un hôpital pour enfants et le théâtre (entre 300 et 600 morts), à Kramatorsk le 8 avril dans la gare (52 personnes décédées) ou encore à Krementchouk contre un centre commercial (20 tués). La question de responsabilité de l’armée ukrainienne dans le bilan de certains de ces bombardements a toutefois été posée par un rapport d’ Amnesty International, le 4 août, qui lui a reproché de «mettre en danger des civils en établissant des bases militaires dans des écoles et des hôpitaux, et en lançant des attaques depuis des zones peuplées».
Violences extrêmes aussi dans certaines zones occupées par la Russie. Le massacre de Boutcha, mis au jour début avril après le retrait de sa soldatesque, a démontré que l’«opération militaire spéciale» de Vladimir Poutine est une sale guerre dont les répercussions sur le régime russe, sur l’avenir du continent européen, sur les équilibres internationaux, sont loin d’être encore toutes identifiées et évaluées. Au regard des conséquences de ce retour de la guerre en Europe, la solidarité à l’égard du combat pour la liberté des Ukrainiens et l’unité de ses membres qu’ont réussi à maintenir, parfois vaille que vaille, l’Union européenne et le camp occidental, ne peuvent être vues que comme de piètres consolations.
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