Simone Veil, une vie de combats
Rescapée des camps de la mort, devenue icône féministe et Européenne convaincue, Simone Veil a marqué la seconde moitié du XXe siècle par la force de ses engagements.
Un jour, elle a cessé de porter des manches courtes. C’était après qu’un haut fonctionnaire français lui eut demandé, souriant de sa propre plaisanterie, si le numéro 78651 tatoué sur son avant-bras correspondait à son vestiaire. Simone Veil, rescapée d’Auschwitz, avait 23 ans. Ce jour-là, elle s’est dissimulée derrière des rideaux pour que personne ne la voie pleurer. Elle est née Simone Jacob, le 13 juillet 1927, à Nice, dans une famille juive, laïque et républicaine. Quatrième enfant d’André Jacob, architecte, et de son épouse Yvonne, femme au foyer, c’est une fillette choyée, mais rétive à toute autorité. Prompte à aller chercher le dictionnaire pour trancher un différend sur le sens d’un mot. Indignée par une rigueur paternelle qu’elle ne nomme pas encore machisme. Alertée par les premières lois antijuives, mais traversant presque toute la guerre dans l’insouciance de l’enfance.
Le 30 mars 1944, c’est la fin du monde d’avant. Simone Jacob, 16 ans, est déportée à Drancy, puis à Auschwitz-Birkenau le 13 avril 1944. Partent avec elle sa mère, qu’elle chérit passionnément, et sa soeur aînée, Madeleine, dite Milou. » Les convois, le travail, l’enfermement, les baraques, la maladie, le froid, le manque de sommeil, la faim, les humiliations, l’avilissement, les coups, les cris… Rien ne s’efface « , écrira Simone Veil plus de soixante ans après, dans son autobiographie Une vie (Stock). Rien, et surtout pas la perte d’Yvonne. Elle meurt quelques jours avant la Libération, épuisée par le typhus et la longue marche entre Bobrek et Bergen-Belsen, dans la débâcle nazie de l’hiver 1945.
Simone et Milou sont de retour à Paris le 23 mai. Sans leur mère. Sans leur père et leur frère, déportés et assassinés en Lituanie au printemps 1944. Revenues d’entre les morts, il leur faut réapprendre à vivre, à dormir dans un lit. Il faut taire une douleur que les autres supportent mal, se réjouir de l’avenir quand le passé a fracassé toutes leurs illusions. Admise à Sciences po pour y apprendre le droit, Simone Jacob fait la connaissance d’Antoine Veil, qu’elle épouse à l’automne 1946. Féministe dans un monde qui ne l’est pas, portée par une indéfectible fidélité à la mémoire de sa mère et par son désir d’indépendance, elle négocie, avec son mari, le choix de son métier. Elle rêve d’être avocate. Il refuse, accepte qu’elle soit magistrate après avoir eu l’assurance du directeur des affaires civiles au ministère de la Justice : » Ne vous inquiétez pas, dans nos bureaux, nous séparons les hommes et les femmes ! »
Attachée à l’administration pénitentiaire, Simone Veil est chargée d’évaluer les conditions carcérales en France. L’ancienne déportée devient une » militante » des prisons, exécrant la promiscuité, sensible à l’extrême, à tout ce qui engendre humiliations et abaissements. En 1974, elle est séduite par la candidature du gaulliste Jacques Chaban-Delmas mais déçue par sa campagne. Elle vote pour Giscard d’Estaing, sans imaginer que son Premier ministre, Jacques Chirac, va lui proposer le portefeuille de la Santé dans son gouvernement.
Acquise à la cause des femmes, Simone Veil en incarne l’un des principaux combats. Avec la même détermination déployée pour améliorer les conditions de vie en prison, elle défend la légalisation de l’avortement. Malgré la calomnie, les courriers antisémites, les insultes lancées dans la rue et les croix gammées qui souillent les murs de son immeuble. Dans la nuit du 29 novembre 1974, la loi est votée. Epuisement ? Emotion ? Simone Veil cache son visage dans ses mains. L’histoire vole cet instant au banc du gouvernement, fige en noir et blanc la brutalité d’une victoire.
En 1979, Simone Veil met son énergie au service de l’Europe. Elue présidente du Parlement européen, elle incarne la foi en l’Europe avec la même intensité qu’elle défend la mémoire de la Shoah. Avant de revenir dans le gouvernement français, en 1993, nommée au portefeuille des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville par le Premier ministre Edouard Balladur. François Mitterrand est malade, la cohabitation est tendue. Simone Veil se prend d’affection pour le ministre du Budget, un certain Nicolas Sarkozy, dont elle apprécie la force de travail. » Depuis lors, rappelle-t-elle dans ses mémoires, et sans faille, je lui ai conservé amitié et confiance. »
Attachée plus que tout à son indépendance, elle renâcle à s’inscrire dans un parti politique, adhère quelques semaines au parti centriste UDF, le quitte sur un différend avec François Bayrou, pour lequel elle ne cachera jamais son mépris. La politique la rattrape vite – en 1998, elle est nommée pour neuf ans au Conseil constitutionnel. Libérée de ses obligations de réserve en 2007, elle accepte de présider le comité de soutien du candidat Nicolas Sarkozy.
En janvier 2005, Simone Veil est revenue à Auschwitz. Inlassable témoin, elle a accepté ce voyage pour Paris Match, aux côtés de certains de ses enfants et petits-enfants. Elle a raconté, de nouveau, le dénuement, les terreurs et la banalité de la mort qui ont marqué sa destinée. Elle a parlé d’Yvonne, également – toute une vie n’aura pas suffi à faire le deuil de sa mère. Cinquante ans plus tard, Simone Veil pleurait presque comme une enfant en entendant son nom dans la longue litanie des victimes, le jour de l’inauguration du Mémorial de la Shoah, à Paris, à l’hiver 2005.
Le 18 mars 2010, elle est reçue sous la coupole de l’Académie française. Chargé de l’accueillir, Jean d’Ormesson salue son courage pendant l’Holocauste et, moins gravement, son caractère… entier – Simone Veil, c’est connu, n’est pas toujours, loin s’en faut, aimable et douce. Un jour, dans un documentaire sur la déportation, Simone Veil a expliqué que, une fois adulte, elle avait aimé vivre sur son lit, y travailler, s’y nourrir autant que d’y dormir, y accueillir ses enfants, comme un radeau de la Méduse arraché à l’adversité, le berceau de toutes les tendresses échappé des naufrages. Depuis le 15 avril 1945, le jour de la libération du camp de Bergen-Belsen, et jusqu’au jour de sa disparition, Simone Jacob a profité de chaque seconde, de la plus petite parcelle d’humanité dont le destin a bien voulu lui faire cadeau. Un ardent désir de vivre à la mémoire d’Yvonne Jacob, sa maman.
Par Elise Karlin.
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