Shinzo Abe, le stratège rusé
Conservateur à la fibre nationaliste, le Premier ministre japonais Shinzo Abe, en passe d’obtenir un nouveau mandat dimanche à l’issue de législatives anticipées, est un stratège rusé en politique intérieure et, à l’extérieur, un diplomate prudent et pragmatique. Portrait.
Agé de 63 ans, né dans une famille de politiciens, il était déjà parvenu à se hisser au sommet du pouvoir en 2006, devenant à 52 ans le plus jeune Premier ministre japonais et le premier né après la Seconde Guerre mondiale. Mais il avait précipitamment quitté le pouvoir au bout de 12 mois, évoquant des problèmes gastriques dus au stress.
Shinzo Abe est revenu au pouvoir comme le sauveur en décembre 2012, après le passage aux commandes désastreux de l’opposition de centre gauche de 2009 à 2012, marqué par le séisme et le tsunami de mars 2011, à l’origine de la catastrophe nucléaire de Fukushima.
Préparé depuis le plus jeune âge au pouvoir, marqué par l’histoire familiale de deux générations de dirigeants politiques avant lui, M. Abe est souvent considéré comme arrogant et terne. Mais il lui arrive de donner dans l’autodérision. Il avait ainsi coiffé la grosse casquette de la mascotte de jeux vidéo Super Mario et une cape rouge, en plein milieu du stade à la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Rio en 2016, alors que Tokyo doit accueillir les prochains 2020.
Depuis son retour au pouvoir, sa formation politique, le Parti libéral-démocrate (PLD), a remporté haut la main les différents scrutins qui se sont enchaînés, à l’exception d’une défaite historique pour le renouvellement de l’assemblée de Tokyo, raflé en juillet par la gouverneure de la capitale, Yuriko Koike.
M. Abe brandit immanquablement l’étendard économique et sa stratégie de relance, dite « abenomics », même si par la suite il tend à ruser pour faire passer les lois qui lui tiennent le plus à coeur, sur la sécurité et la défense notamment.
– Sens de l’adaptation –
Ayant bâti un pan de sa réputation sur sa fermeté à l’égard de la Corée du Nord, ce conservateur veut aussi un Japon capable de se défendre, sans traîner indéfiniment le fardeau du repentir vis-à-vis de la Chine ou de la Corée du Sud.
Jusqu’où ne pas aller trop loin pour ne pas fâcher les Américains ? Là est la limite, franchie une fois: le 26 décembre 2013, par une visite au sanctuaire Yasukuni de Tokyo, honni de Pékin et Séoul parce qu’il glorifie selon eux le militarisme japonais, dont leurs pays ont subi les exactions dans la première moitié du 20e siècle.
M. Abe s’adapte à chaque changement de président américain. Il a été le premier dirigeant à se précipiter à New York dans la Trump Tower pour rencontrer Donald Trump immédiatement après son élection en novembre 2016 et avant même son investiture à la présidence des Etats-Unis. Amateur de golf, comme son homologue américain, il a joué de charme avec lui sur le gazon, vantant le jeu de Trump et se félicitant d’une « très, très bonne chimie » entre eux.
Dans le même temps, il s’attache à ne pas froisser le président russe Vladimir Poutine, avec qui il aimerait régler le différend des îles Kouriles du sud, (appelées « Territoires du Nord » par les Japonais) annexées par l’Union soviétique à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
– Soutenu par les nationalistes –
Dans une récente tribune publiée par le New York Times sur la réponse à apporter à la menace nord-coréenne et à ses essais répétés de missiles et bombes nucléaires, M. Abe affirmait « soutenir fermement la position des Etats-Unis selon laquelle toutes les options sont sur la table », sous-entendu, action militaire comprise.
Mais quelques jours plus tôt, il s’affichait avec M. Poutine, en évitant de s’opposer publiquement au leader russe, favorable au dialogue.
Shinzo Abe est le troisième d’une lignée de politiciens de haut rang. Son grand-père, Nobusuke Kishi, était ministre pendant la Seconde Guerre mondiale. Suspecté de crimes de guerre, il fut arrêté mais jamais jugé par le Tribunal de Tokyo. Devenu Premier ministre, il avait signé en 1960 avec le président américain Dwight Eisenhower un traité de sécurité et de coopération, qui constitue encore aujourd’hui le fondement de l’alliance entre les deux pays.
Son père, Shintaro Abe, s’était hissé jusqu’au poste de ministre des Affaires étrangères. A sa mort en 1993, le fils avait repris son siège au Parlement.
Shinzo Abe, qui rêve d’un Japon « noble », bénéficie du soutien de la droite nationaliste, convaincue que le Japon doit être davantage en mesure de jouer son rôle plein et entier dans le concert des nations et, au besoin, avoir la capacité militaire d’aider son protecteur américain.
M. Abe, sans enfants, est marié à Akie, fille d’un important homme d’affaires et connue pour sa passion pour la culture sud-coréenne.
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