Serbie: le radicalisme couve sous le feu de la misère
Un chômage massif, un sentiment d’exclusion, le contexte de la guerre en Syrie: peuplé majoritairement de bosniaques musulmans, le Sandzak serbe est un terreau pour le radicalisme islamiste dans ce pays fier de son orthodoxie.
Jeunes barbus aux pantalons à la cheville et aux journées rythmées par les muezzin, magasins islamiques, restaurants sans alcool: à Novi Pazar (sud-ouest), on est loin de Belgrade.
Au printemps 2013, les habitants à 80% musulmans de cette cité du sud du pays à l’urbanisme aussi bétonné qu’anarchique, découvrent sur les murs cet avis: « Mort sur la voie d’Allah en Syrie, le 14 mai 2013, à 27 ans ».
Tué à Alep, Eldar Kundakovic était l’un de ces salafistes désoeuvrés déambulant dans cette ville de 100.000 habitants, dont la moitié de la population active est au chômage selon le maire Nihat Bisevac.
Il se partageait entre les salles de prière et l’échoppe de couturier de son père, Esad, qui depuis la mort de son fils va dans les mosquées dissuader les jeunes de suivre la voie du radicalisme.
Dans cette ville sans aéroport ni gare, desservie par de mauvaises routes au fond d’une cuvette enclavée dans les montagnes, le taux de pauvreté est de 50%, selon l’Institut des statistiques de Serbie, ce qui en fait la région la plus déshéritée du pays.
Ville de textile et de commerce, elle n’a pas résisté à l’éclatement de la Yougoslavie: une grande partie des entrepôts de l’usine Raska, qui employait des milliers d’ouvriers, sont désaffectés.
– Liens avec les wahhabites de Bosnie –
Belgrade évalue à une quarantaine les détenteurs de passeports serbes partis en Syrie et en Irak: principalement des jeunes du Sandzak ou de la communauté albanaise de la vallée voisine de Presevo.
Ceux qui reviennent sont surveillés par des renseignements performants, héritiers des services yougoslaves. Et les départs se sont taris depuis que l’organisation de l’Etat islamique recule.
Mais des organisations salafistes se voulant humanitaires préoccupent associations comme autorités islamiques officielles, affaiblies par leur division en deux structures concurrentes.
Dans un rapport d’avril 2015, DamaD s’inquiétait de ces « groupes complètement isolés du reste de la société », défendant « des conceptions très conservatrices de la religion qui soutiennent les luttes jihadistes ».
Selon la presse serbe, les jeunes partis en Syrie fréquentaient une association, Furkan. Ses adeptes entretenaient des liens avec la communauté wahhabite de Gornja Maoca en Bosnie, et l’un d’eux a tiré sur l’ambassade des Etats-Unis à Sarajevo en 2011.
En 2014, Furkan a disparu après le démantèlement d’une filière jihadiste.
« Mais où sont les gens qui en faisaient partie? Beaucoup de jeunes ont participé à leurs activités, leurs conférences. Je pense (…) qu’ils travaillent toujours sur une radicalisation silencieuse d’une partie des jeunes », dit Fahrudin Kladnicanin, de Forum10, qui mène des actions d’insertion.
– Attirer la diaspora –
Dans sa pizzeria proche du stade, Admir, 44 ans, qui ne donne pas son nom, reconnaît que « des étudiants désargentés » reçoivent de l’aide de son association « Put Sredine » (« Le Chemin du milieu »).
« Des amis parlent de notre association dans les mosquées », dit-il. Il dément tout financement étranger, affirme que « Put Sredine » fonctionne avec l’argent des membres. Admir rejette la violence, mais dit son dégoût du chiisme, « une secte », ou d’Israël « plus grand terroriste du monde ».
Pour Farhudin Kladnicanin de Forum10, la clé réside dans le développement d’une ville dont, selon le dernier recensement, un tiers des habitants a moins de 19 ans: « Au cours des dix dernières années, il n’y a eu aucun investissement dans le Sandzak, aucune usine n’a été ouverte ».
« Beaucoup d’investisseurs sont venus voir. Puis sont partis », reconnaît le maire Nihat Bisevac. Il compte sur une diaspora, très présente à en juger par les cylindrées immatriculées en Occident: « Les faire investir, c’est plus réaliste que d’attirer Sony ».
Autre espoir, l’autoroute entre le port monténégrin de Bar et Belgrade. Aucune date d’arrivée n’est fixée.
En plus de cette situation économique, « les Bosniaques musulmans sont victimes d’une application de doubles standards », met en garde le mufti de la communauté islamique, Mevlud Dudic. Selon lui, dans la police, jusqu’à récemment, « 80% des employés étaient serbes ». Un effort a été fait, un tiers des policiers sont désormais bosniaques, dit-il.
S’il se félicite du « faible nombre de comportements extrémistes » vu la situation, Muamer Zukorlic, ex-mufti désormais député, prévient: la « mauvaise situation économique, sociale, les mauvaises infrastructures, tout cela fabrique un vrai degré de tension ».
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