Tenter de survivre malgré la menace d'une nouvelle réplique. © OLIVIER PAPEGNIES

Séisme en Turquie : Defne, ville maudite (reportage)

David Leloup Journaliste

Defne, ville de la province d’Hatay, est l’épicentre du dernier séisme qui a frappé la Turquie, le 20 février. Elle avait déjà été particulièrement touchée par le premier tremblement de terre. Récit d’un désastre qui n’en finit pas.

«La secousse a duré une vingtaine de secondes. C’était terrifiant comme le sol tremblait. Il était impossible de rester debout – tout le monde est tombé par terre – et de se relever, un peu comme quand on est sur une attraction rapide à la fête foraine.» Jointe via WhatsApp, Asli Soysal, coordinatrice de terrain chez Médecins du Monde Turquie, n’en revient toujours pas. Lorsque le tremblement de terre du 6 février a frappé le sud de son pays, elle était sur la côte ouest, à Izmir, à mille kilomètres du drame. Mais ce lundi 20 février, à 20h04, elle était sur place. A quelques kilomètres seulement de Defne, l’épicentre de ce second séisme qui a, à nouveau, malmené la province du Hatay. Cette fois, une partie du bâtiment qui abrite le bureau de l’ONG à Antakya n’a pas résisté.

A Defne, les gens ne votent pas pour l’AKP, le parti d’Erdogan. Nous sommes donc considérés comme des sous-Turcs par Ankara.

Quelques jours plus tôt, nous nous trouvions justement avec Asli et ses collègues à Defne, où une équipe mobile de l’organisation fondée par Bernard Kouchner intervenait sur le terrain auprès de la population. Defne est un district correspondant à la partie sud d’Antakya, comme si la ville avait été coupée en deux d’ouest en est. Cette cité historique, très appréciée des touristes, a été presque entièrement détruite par le séisme du 6 février. Connue à l’époque romaine et médiévale sous le nom d’Antioche, Antakya fut fondée en 300 avant J.-C. C’était l’un des premiers centres du christianisme et une ville importante pour le judaïsme et l’islam. Aujourd’hui, ce n’est plus que ruines ou presque. Et désolation.

Ministère des séismes

Meltem D., 32 ans, a appelé Médecins du Monde (MDM) pour soigner les suites d’une pneumonie dont elle a été opérée juste avant le drame. Mais aussi parce qu’elle a besoin d’un soutien psychologique. Nous sommes le 15 février, neuf jours après le séisme, et c’est la première fois qu’elle rencontre une équipe médicale. Son mari, Mehmet D., 32 ans lui aussi, se sent abandonné par le gouvernement: «A Defne et dans la région de Hatay, les gens ne votent pas pour l’AKP, le parti d’Erdogan. Nous sommes donc considérés comme des sous-Turcs par Ankara. Il a fallu attendre huit jours avant de voir arriver des représentants du gouvernement. Heureusement qu’il y a eu l’aide internationale. Merci l’Estonie, l’Espagne, l’Allemagne, le Portugal, Israël et la Corée du Sud!» Son épouse enchaîne: «Alors que la Turquie connaît une activité sismique permanente et à risque, nous ne disposons même pas d’un ministère des séismes… L’Afad, l’autorité de gestion des catastrophes et des urgences, dispose d’un budget cinq fois plus petit que celui du ministère des Affaires religieuses. Vous trouvez ça normal?»

Le couple et leur petit garçon Seyf Umut, 3 ans et demi, est évidemment traumatisé par le premier séisme. La maison de cinq étages de leur voisin direct s’est effondrée sur la leur après quelques minutes de secousses. Elle était vide depuis des années. Les autorités locales avaient exigé sa démolition car elle ne respectait pas les normes antisismiques. Mais le voisin l’avait abandonnée sans la faire démolir… Juste avant l’effondrement, le couple a pu s’enfuir avec l’enfant par une fenêtre, courant pieds nus de toit en toit jusqu’à trouver un endroit dégagé. Les parents de Mehmet, qui vivaient avec le couple, ont pu être sauvés, mais pas son frère… Ni une cousine de 20 ans morte d’hypothermie sous les décombres après deux jours, faute de secours. La famille, en deuil, sans le sou, vit depuis dans un abri de fortune, bricolé avec du fil à sécher le linge et des couvertures, à l’entrée d’une supérette pillée par les riverains.

Pénurie de cash

A quelques kilomètres de là, toujours à Defne, ce sont les médicaments qui manquent pour soulager diverses maladies chroniques. Une jeune femme dépose une pile de boîtes vides sur la table pliable dressée par MDM pour les consultations. Après discussion avec un médecin, l’infirmière de l’équipe mobile distribue les cachets tant convoités. La famille T. a aussi fait appel à MDM pour gérer un fils trisomique qui souffre d’épilepsie et qui, terrifié, s’abrite depuis neuf jours dans la voiture familiale dans des conditions d’hygiène compliquées.

Tamara Payne, le 18 janvier 2024. PHOTO OLIVIER PAPEGNIES

Aucun distributeur automatique de billets ne fonctionne dans la région sinistrée. Les banques ont peur des braquages. «J’ai de l’argent sur mon compte mais je ne peux pas le retirer, peste Gurkan T., le patriarche. Pourquoi les banques ne déploient-elles pas des unités mobiles de distribution de cash sur le terrain? Pour payer mes bonbonnes de gaz afin de chauffer ma famille, je suis obligé d’emprunter de l’argent à des amis qui, heureusement, ont du liquide en réserve. Ce n’est pas tenable!»

85 milliards de dégâts

L’équipe se replie dans le van pour se rendre à la consultation suivante. Direction Narlica, bourgade au nord-est d’Antakya où vivaient, avant le séisme, de nombreux réfugiés syriens. Doublement victimes, de la guerre d’abord, du tremblement de terre ensuite, une vingtaine de familles aux maisons détruites ont improvisé un camp sauvage sur un terrain municipal. Des tentes de fortune ont été dressées avec des bâches de plastique bleues. Chacune dispose d’un poêle à bois avec sa cheminée. Ici aussi, il s’agit surtout pour MDM de distribuer des médicaments, dont de l’insuline à un jeune diabétique, alors que la nuit tombe et que la température extérieure est descendue sous zéro degré.

Le séisme en Turquie et Syrie a officiellement tué plus de 44 000 personnes et détruit ou gravement endommagé quelque 118 000 bâtiments. On estime à 85 milliards de dollars les dégâts matériels causés par le tremblement de terre du 6 février, ce qui le place au quatrième rang des séismes les plus coûteux jamais enregistrés. A Defne comme dans toute la région sinistrée, les gens qui n’ont pas pu fuir ne redoutent qu’une seule chose: une nouvelle réplique.

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