Séisme au Maroc : « Il n’y a pas aujourd’hui de force politique alternative » (entretien)
Après le séisme de 2004 au Maroc, les promesses de reconstruction rapide de Mohammed VI avaient été décues. Son action actuelle sera jugée à cette aune. Car c’est lui qui dirige le pays, estime l’historien Pierre Vermeren.
Pierre Vermeren est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste du Maghreb. Il analyse les éventuelles conséquences politiques du séisme au Maroc.
La gestion du séisme peut-elle fragiliser le roi Mohammed VI ou, au contraire, le conforter en vertu de l’union nationale qui accompagne souvent ce genre de catastrophe?
La dernière fois que le Maroc a connu un événement équivalent, en 2004 déjà sous son règne (NDLR: un séisme dans la province d’Al Hoceïma qui avait tué 628 personnes), on avait observé des carences dans les secours et ensuite dans la reconstruction. Mohammed VI avait promis une reconstruction rapide. En réalité, pour des raisons difficiles à comprendre, elle a pris des années. Et le Rif est resté une région contestataire, avec des conséquences de long terme. En principe, on peut penser que l’armée, la gendarmerie et, surtout, la sécurité civile ont été dotées des moyens de répondre à un nouveau tremblement de terre, de la même façon qu’après les attentats de Casablanca en 2003, une unité antiterroriste extrêmement active a été mise en place. Si le déblaiement se déroule correctement, si les gens sont relogés assez vite, même dans des abris provisoires dans un premier temps parce que bientôt des torrents de boue se déverseront dans ces vallées et puis arrivera un très grand froid…: de la capacité à moyen terme à prendre en charge le sort des populations dépendra le constat que le roi a bien fait son travail, puisque c’est lui qui dirige principalement le pays, ou pas.
Il n’y a pas aujourd’hui de force politique alternative puissante au Maroc.
Les régions touchées ont-elles une tradition de contestation?
Ce ne sont pas des régions contestataires par rapport au Rif, mais ce ne sont pas non plus des régions intégrées. Elles sont pauvres. Elles bénéficient du tourisme développé dans les deux principaux pôles de Marrakech et d’Agadir. Mais le tourisme ne peut pas tout. Ce n’est qu’un complément.
Comment analysez-vous l’apparente prudence des autorités par rapport à l’aide internationale?
Par définition, une catastrophe de ce type n’est pas prévue, même si elle peut être anticipée. Est-ce que les Marocains hésitent à faire entrer des secouristes étrangers dans ces régions très pauvres? Est-ce dû à une forme de désorganisation? Ou considèrent-ils qu’ils ont les capacités d’assurer pleinement eux-mêmes les secours? A ce stade, ce sont des interrogations. Cela étant, que la France n’ait pas été appelée officiellement est clairement un geste politique.
Une présence islamiste était observée dans ces régions. A terme, une force de ce type pourrait-elle «profiter» d’une gestion contestée du séisme pour prospérer?
C’est difficile à dire. On ne sait pas quelles conclusions en tireront les Marocains. Il est vrai que tous les bâtiments touristiques et officiels, construits aux normes sismiques, ont tenu bon. Ce sont vraiment les habitats populaires qui se sont effondrés. Peut-on en tirer des enseignements? Dans les années 1960-1970, il y a eu une opposition de gauche. A la fin du XXe siècle et au début du XXIe, une opposition islamiste est arrivée au pouvoir au moment des «printemps arabes». Il n’y a pas aujourd’hui de force politique alternative puissante. Ce sont plutôt des mouvements de société. On peut compter sur les islamistes pour dire que le séisme est une punition divine pour avoir développé cette industrie du tourisme et qu’il faut en tirer les conséquences? Cela aura-t-il une audience? Les Marocains ne sont pas nés de la dernière pluie. Je ne suis pas sûr que ce genre de discours apocalyptique les séduise.
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