Carte blanche
Samuel Paty: sortir de la peur qui fait le jeu des assassins (carte blanche)
L’hommage national rendu à Samuel Paty, 47 ans, professeur d’histoire-géographie au collège du Bois-d’Aulne Conflans-Sainte-Honorine, décapité le 16 octobre en fin d’après-midi devant son collège par Abdouallakh Anzorov, 18 ans, un réfugié russe d’origine tchétchène, nous a profondément bouleversés.
Les mots de Jaurès et Camus sont là, pour nous dire, encore une fois, la nécessité d’assumer notre responsabilité de femmes et d’hommes libres. Surtout, ne pas se taire face à la barbarie. Jamais ! Nous, membres du Collectif Laïcité Yallah, offrons à la famille, aux collègues, aux amis de l’enseignant, héros (tranquille) de la République, nos plus sincères sympathies. Au-delà de cette vive émotion, c’est un appel à la mobilisation que nous lançons, aujourd’hui, pour sortir de la peur qui, trop souvent, fait le jeu des assassins.
Fabrique idéologique, lynchage public, accusations de racisme et d’islamophobie
Peur de nommer le mal : l’islam politique, peur de blesser, peur de choquer, peur de stigmatiser, peur de déranger, peur d’être traité de raciste, peur de passer pour un islamophobe. C’est d’ailleurs ces deux accusations montées en épingle par deux manipulateurs, le prédicateur pro-Hamas Abdelhakim Sefrioui, fiché S, et le parent d’une élève Brahim Chnina dont la demi-soeur s’est enrôlée dans l’armée de Daech en Syrie, qui ont coûté la vie à Samuel Paty. Certes, le réfugié tchétchène est coupable de ce crime ignoble. Regardons la réalité en face. Il est le coupeur de tête, le bras armé d’une fabrique idéologique et d’une cabale de lynchage public sur les réseaux sociaux, orchestrées par deux agitateurs, appuyés par un tissu de mosquées et d’associations. Tous cherchaient à venger le prophète des musulmans. Le venger de quoi ? De qui ? D’un enseignant, amoureux de la liberté, qui faisait de l’émancipation de ses élèves une exigence de tous les instants ? Vouloir la tête d’un homme dont la vie était dédiée à ses élèves. Pour les élever à la connaissance, au savoir, à la culture, à la satire. Tels sont les chemins vers la citoyenneté. Sefrioui et Chnina le savaient fort bien. Contrairement à ces deux-là, l’enseignant ne vendait pas à ses élèves des billets (aller simple) vers le paradis. Faire l’effort d’écouter un avis contraire est-ce trop demander ? Pour les islamistes c’est insupportable. D’ailleurs, lire ? A quoi bon ? prétendent-ils. Puisque le seul livre qui vaille la peine d’être pris au pied de la lettre c’est le Coran ?
Lever la censure, desserrer l’étau autour des musulmans laïques
Les livres des passeurs de cultures creusent le sillon du doute dans les certitudes assénées à coups de bâtons et de bourrage de crâne. Ils sèment le trouble, fouettent l’intelligence, attisent la lucidité, ravivent la créativité, réveillent la sensualité. Les idées des éveilleurs de conscience sont le ferment de notre humanité. Alors, que faire ? Desserrer l’étau autour des musulmans qui portent cette parole humaniste, laïque, universaliste. Il faut le dire. Et soyons francs. Nous nous battons, au quotidien, sur deux fronts. A l’évidence, contre des prédicateurs fréristes, salafistes, khomeynistes et erdoganistes qui distillent la haine des femmes, des non-croyants, des homosexuels, des juifs, des laïques. Parfois d’une façon ouverte et souvent d’une façon plus subtile dans une grande impunité. Il y a autre chose. Nous nous, heurtons, aussi, à la censure. Il faut bien le reconnaître, une fois pour toute. Nous ne pouvons plus faire semblant que tout va bien. Dans l’antichambre de la violence on retrouve le centre nerveux de l’islamisme, son idéologie, ce poison lent, inexorable avec sa stratégie victimaire. Ce discours légitimé par des partis politiques de gauche est basé sur un mensonge éhonté, qui travestit la condition des musulmans en Europe, mais c’est aussi une assignation identitaire dangereuse, à contre-courant du projet d’émancipation qu’il faudrait promouvoir. La victimisation des musulmans est le premier obstacle à notre participation au débat public. Cette tendance à infantiliser les musulmans pour les (sur)protéger -mais de quoi ? De la liberté ? – est une forme de racisme inversé. Le principal facteur qui entrave l’émergence d’un discours humaniste porté par des personnes ayant un héritage musulman vient de cette stratégie de l’évitement du débat…qui tue le débat. Allez, un peu de courage, osons la prise de parole libre ! Sapere aude ! Peut-être que cela nous vaudra quelques accusations. La liberté n’a pas de prix.
Par le Collectif Laïcité Yallah1]
Les signataires : Malika Akhdim, militante féministe et laïque, Radouane El Baroudi, cameraman ; Djemila Benhabib, politologue et écrivaine ; Hamid Benichou, militant associatif ; Yeter Celili, militante féministe et laïque ; Kaoukab Omani, éducatrice ; Abdel Serghini, réviseur d’entreprises ; Sam Touzani, artiste-citoyen.
[1]Créé le 12 novembre 2019 à l’initiative du Centre d’Action Laïque (CAL), le Collectif Laïcité Yallah est constitué de croyants et de non croyants ayant un héritage musulman. Préoccupés par la montée du fondamentalisme musulman, du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme, ses membres militent en faveur de la laïcité et combattent le communautarisme ethnique et religieux.
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