Rwanda : l’obstination d’une dame de fer
Condamnée en 2013 à quinze ans de prison, l’opposante Victoire Ingabire publie le récit de son incarcération. Objectif : faire bouger les lignes d’un système totalitaire.
La prison de Kigali est communément appelée « 1930 », date de son année de construction indiquée au-dessus du portail. Entre les 4 murs du 1930 (1) est le titre d’une compilation de notes et de souvenirs rédigée par Victoire Ingabire, condamnée en 2013, en appel, à quinze ans de réclusion. Résidente aux Pays-Bas à l’époque du génocide de 1994, cette opposante rwandaise avait pris le risque de revenir au pays pour concourir au scrutin présidentiel de 2010. Peine perdue : non seulement son parti n’a pas été légalisé, mais cette femme hutue s’est retrouvée la même année en prison, peu après la victoire stalinienne (93 %) de Paul Kagame.
Imperturbable, elle raconte les étapes qui ont mené à son inculpation pour actes terroristes, propagation de l’idéologie du génocide, atteinte à la sécurité intérieure, pour laquelle le procureur général avait initialement réclamé la prison à vie. Elle rappelle son passage au mémorial de Gisozi qui déclenchera tant de vagues : « Si l’on passe en revue ce mémorial, on se rend compte qu’il ne se limite qu’aux victimes du génocide contre les Tutsis. Les crimes contre l’humanité commis contre les Hutus sont totalement ignorés », avait-elle osé déclarer, sans mesurer la sensibilité du propos.
Suspectée d’adhérer à la théorie du « double génocide », elle est aussitôt convoquée par le CID (Criminal Investigation Department). Le procureur Ruberwa s’acharnera à lui faire avouer des faits qu’elle persiste à nier d’autant plus qu’aucune preuve n’est jamais exhibée. Elle découvre le mot « techniquer » : se livrer à des coups bas pour se débarrasser des adversaires politiques. Par exemple, lorsqu’on lui exhibe un courriel où un individu lui aurait écrit : « C’est bien que vous avez lancé des grenades. Il faut que vous parveniez à tuer beaucoup de Tutsis. » Sa lettre au président Kagame sera présentée erronément comme un aveu de culpabilité, alors qu’elle ne faisait que demander pardon à ceux qu’elle aurait blessés par ses propos.
« Perdre le contrôle de la population »
« Je suis une opposante politique, pas une ennemie des autorités de ce pays », s’évertue-t-elle à répéter aux émissaires qui défilent au « 1930 » pour la pousser à changer de camp. « Mes discours dérangent parce qu’ils dénoncent l’hégémonie du FPR (NDLR : le parti au pouvoir) et l’omniprésence de son armée. Je dérange parce que je parle de justice pour tous, de démocratie et de droits fondamentaux. » C’est finalement le procureur général qui passe aux « aveux » : « Les Tutsis ont beaucoup souffert et ne sont pas prêts à accepter que les Hutus reviennent au pouvoir, lui aurait confié Martin Ngoga. Nous avons constaté que si on vous laissait libre, nous allions perdre le contrôle de la population. »
Dépourvu de haine, le récit minutieux de Victoire Ingabire plonge également dans l’univers carcéral rwandais, qui n’est pas le pire du monde, mais où l’espionnite fait rage. Aurait-elle pu échapper à son destin ? Avant sa mise à l’ombre, elle a été à deux doigts de demander l’asile à l’ambassade britannique à Kigali, mais elle a renoncé. La police l’a ensuite empêchée de retourner aux Pays-Bas pour la communion de son fils. Elle n’a plus jamais revu sa famille depuis lors. Censée sortir de prison en 2025, elle aura alors 57 ans, le temps pour Kagame de terminer un éventuel troisième mandat. En attendant, la détermination de cette dame de fer fait bouger les lignes. En France, le Parti socialiste vient de s’associer aux demandes pour sa libération. Les partis belges suivront-ils ?
(1) Entre les 4 murs du 1930, par Victoire Ingabire, Editions Scribe, 310 p.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici