Une des mille collines, ou le récit de crimes de génocide devenus «une routine». © La Compagnie Cinématographique/Tchin Tchin Production/Panache Productions /Les Productions du souffle.

Rwanda: le documentaire qui montre de l’intérieur le génocide des Tutsis

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le film Une des mille collines de Bernard Bellefroid plonge au plus près de l’assassinat de trois enfants tutsis il y a trente ans.

Le 7 avril 2024, il y aura trente ans que le génocide des Tutsis était déclenché au Rwanda par les extrémistes hutus de l’entourage du président Juvénal Habyarimana. Il allait faire un million de morts à travers le pays en quelque cent jours, d’avril à juillet 1994.

Avec son film Une des mille collines sorti le 17 janvier, le réalisateur Bernard Bellefroid propose un documentaire exceptionnel sur cette tragédie du XXe siècle. Son récit de l’assassinat de trois enfants tutsis, dans un village de l’est du pays, est une plongée saisissante dans la réalité de ces massacres de proximité, entre voisins, et dans le quotidien d’aujourd’hui où victimes et bourreaux cohabitent sur la même terre.

Comme il s’est passé, à de rares exceptions près, sur les mille collines du pays, le génocide visant les Tutsis dans ce secteur est mis en œuvre après l’assassinat du président hutu Juvénal Habyarimana dans l’attentat contre son avion à l’aéroport de Kigali, le soir du 6 avril. Radio Mille collines appelle les «bons citoyens» à éliminer tous les inyenzi (les cafards), aussi appelés les serpents, ces Tutsis responsables de la mort du chef. Les relais du pouvoir jusque dans les endroits les plus reculés diffusent les mêmes instructions et s’assurent que le «travail» est mené à bien. «Au début, les villageois craignaient de tuer, mais c’est vite devenu une routine. Il ne devait rester aucune trace d’eux (NDLR: les Tutsis)», témoigne un exécutant du génocide.

Sur une colline voisine, «il y eut des aveux avant que la justice ne passe».

La mère d’Olivier, Fidéline et Fiacre a été tuée par les génocidaires, leur père est pourchassé. Les trois enfants se réfugient chez Marguerite, la «gardienne des petits» au service de la famille. Mais la chasse aux «cafards» se poursuit inlassablement sur la colline. Les menaces sur la protectrice des enfants se font de plus en plus pressantes. «Tu n’es plus l’esclave des Tutsis. Mais tu abrites toujours des serpents», lui lance Gasimba, un des tueurs. La résistance ne sera pas éternelle. Le jour où les génocidaires arrivent en nombre chez Marguerite avec, à leur tête, leur leader Rekeraho, c’en est fini des chances de survie des enfants. Ils sont conduits, tétanisés – «Ils n’avaient plus de larmes» –, par leurs bourreaux sous les yeux des habitants du village, le plus souvent complices, vers le lieu de leur exécution, entre deux cyprès. Le lendemain, deux d’entre eux «respiraient encore». «Personne ne les avait achevés», précise Obede, qui s’en chargera.

© National

Pardon et réconciliation

Le grand intérêt du documentaire de Bernard Bellefroid est qu’il s’inscrit dans le temps long. On retrouve ainsi Obede et Rekeraho lors des audiences en plein air des gacaca, les tribunaux populaires mis en place par les dirigeants arrivés au pouvoir après le génocide pour pouvoir faire face au jugement des centaines de milliers d’assassins présumés de 1994. Renvoi de responsabilité entre l’exécutant et le chef, et inversement, confrontation entre les familles des victimes et les génocidaires, suspicion de partialité du jury parce qu’y figurent des parents d’un des accusés… L’exercice de la justice pour des massacres d’une telle ampleur n’est pas aisé. Mais au moins a-t-elle été rendue dans des délais relativement raisonnables, ce qui a ouvert la voie à une éventuelle réconciliation.

Une des mille collines montre qu’elle est possible malgré la gravité des horreurs commises. Peut-être pas dans le village d’Olivier, Fidéline et Fiacre où la cohabitation semble toujours tendue, mais sur une colline voisine «où il y eut des aveux avant que la justice ne passe». C’est le moment le plus poignant du documentaire: la confrontation entre Félix, qui a assassiné des enfants en les frappant avec sa houe avant de les enterrer vivants, et leur père, Jean d’Amour. Celui-ci explique qu’il a fini par comprendre que la parole était nécessaire. Félix et ses complices ont fait le premier pas, ont insisté pour lui demander pardon après des refus, et ont fini par se rendre sur son lieu de travail éloigné pour le faire en s’agenouillant. «Quand je repense à cette scène, j’éprouve de l’amour pour eux», en vient à lâcher Jean d’Amour. On reste incrédule. Mais, oui, des tréfonds de l’horreur peut surgir la lumière.

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