Vladimir Poutine. © AFP

Russie: une enquête sur l’empoisonnement de Navalny réveille les tensions avec l’Occident et les USA

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Une enquête publiée par plusieurs médias suggère que les services spéciaux russes pourraient être impliqués dans l’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny. La Russie, Poutine en tête, ironise et en profite pour tacler ses adversaires.

Pour rappel, le 20 août, le principal opposant russe Alexeï Navalny est hospitalisé après un grave malaise, avant d’être autorisé le 22 à être soigné en urgence en Allemagne. Plusieurs tests montrent qu’il a été empoisonné par un agent neurotoxique de type Novitchok, substance conçue par des spécialistes soviétiques à des fins militaires. L’opposant accuse le président russe Vladimir Poutine d’être derrière son empoisonnement, allégation « inacceptable » selon Moscou. L’Union européenne sanctionne plusieurs proches du président russe.

Une filature au timing étrange

La Russie a, à maintes reprises, démenti que l’opposant ait été empoisonné à Tomsk le 20 août, et affirmé que la substance toxique de type Novitchok détectée par des laboratoires occidentaux après son hospitalisation en Allemagne n’était pas présente dans son organisme lorsqu’il était traité en Russie.

Plusieurs médias, dont le site Bellingcat, l’américain CNN et l’allemand Der Spiegel ont publié lundi une enquête accusant des experts en armes chimiques des services spéciaux russes d’avoir filé l’opposant Alexeï Navalny, y compris le jour de son empoisonnement présumé.

Bellingcat a publié noms et portraits de ces hommes présentés comme des spécialistes des substances chimiques, comme l’agent neurotoxique ayant visé l’adversaire numéro 1 du Kremlin. Ils assuraient une filature régulière de Navalny depuis 2017, selon cette source, qui a analysé quantité de données notamment téléphoniques et de voyages ayant fait l’objet de fuites en ligne en Russie. « Ces agents étaient dans les parages du militant d’opposition dans les heures et les jours couvrant la période durant laquelle il a été empoisonné par une arme chimique militaire », estime Bellingcat, qui a détecté 37 voyages depuis 2017 durant lesquels Navalny a été suivi par un ou plusieurs de ces agents. « La charge de la preuve en vue d’une explication innocente semble reposer sur le seul Etat russe », a estimé ce site, qui ne précise pas avoir contacté le FSB ou le Kremlin pour commentaire.

Selon CNN, la présidence russe a refusé de commenter l’enquête et le FSB n’a pas répondu à sa demande. L’article n’établit aucun contact direct entre ces agents et l’opposant, ni de preuve d’un passage à l’acte ou d’un ordre donné. « Je sais qui a voulu me tuer, je sais où ils habitent, je sais où ils travaillent, je connais leurs vrais noms, je connais leurs alias et j’ai leurs photos », a réagi Navalny, qui reprend en détail l’enquête des médias sur son blog.

Bellingcat a identifié à plusieurs reprises ces dernières années grâce à des données récoltées en ligne des agents présumés impliqués dans des opérations des services spéciaux russes, des accusations toujours rejetées par Moscou. Le site a notamment publié les noms des hommes du renseignement militaire russe responsables, selon lui, de l’empoisonnement en Angleterre au Novitchok d’un ex-agent double, Sergueï Skripal.

Moqueries sur fond d’opposition politique

Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a jugé mercredi « comique » cette enquête menée par plusieurs médias. « Toutes ces nouvelles sont comiques à lire », a réagi Lavrov, lors d’une conférence de presse à Zagreb pendant une visite officielle en Croatie. « Mais la façon dont ces nouvelles sont présentées ne révèle qu’une chose : l’absence d’éthique chez nos partenaires occidentaux et de compétences diplomatiques normales », a-t-il poursuivi, semblant voir la main d’acteurs étatiques dans l’enquête publiée cette semaine.

Lavrov a par ailleurs dénoncé ce qu’il a jugé être l’habitude des Occidentaux d’accuser la Russie via leurs médias au lieu d’utiliser les canaux officiels, comme c’était le cas selon lui lors de la récente annonce dans la presse américaine que le gouvernement américain avait été victime de cyberattaques de hackeurs liés à l’Etat russe. « Nous sommes déjà habitués à ce que les Etats-Unis, comme les autres pays occidentaux d’ailleurs, annoncent tout simplement dans les médias de nouvelles accusations visant la Russie », a-t-il déclaré lors de la conférence de presse à Zagreb.

Poutine ironise sur l’efficacité à la russe

Le président russe Vladimir Poutine a jugé que son opposant numéro un n’avait pas été empoisonné par ses services spéciaux, car autrement il serait mort. « Le patient de la clinique berlinoise a le soutien des services spéciaux américains (…) Et comme c’est le cas, il doit être surveillé par les services spéciaux. Mais ça ne veut pas dire qu’il fallait l’empoisonner », a-t-il dit. « Si on l’avait voulu, l’affaire aurait été menée à son terme », a-t-il lâché lors de sa conférence de presse annuelle.

Poutine refuse de prononcer le nom de son détracteur, et se réfère à lui par rapport au lieu de son hospitalisation après son empoisonnement présumé. Il a balayé l’enquête médiatique voyant la patte du FSB, les services secrets héritiers du KGB dont Poutine a été un temps le chef, derrière la tentative d’assassinat ayant visé Navalny. « Ce n’est pas une enquête, mais la légitimation de contenus (préparés) par les services spéciaux américains », a-t-il estimé.

Diverses autres versions ont été évoquées par les responsables russes: une mise en scène, un empoisonnement volontaire de l’intéressé, une intoxication orchestrée par les services spéciaux étrangers, ou encore des problèmes de santé dus à son régime alimentaire ou à la consommation d’alcool. Moscou n’a pas ouvert d’investigations criminelles, disant ne pas avoir de preuve et accusant l’Allemagne de ne pas partager ses informations avec la justice russe.

Poutine espère résoudre avec Biden les problèmes russo-américains

Vladimir Poutine espère toutefois résoudre avec le nouveau président américain Joe Biden les problèmes entre leurs deux pays, tout en prédisant que Donald Trump continuera de peser sur la scène américaine. « Nous espérons que tous les problèmes qui se posent, ou peut-être pas tous mais au moins une partie, seront résolus sous la nouvelle administration » américaine, a indiqué lors de sa traditionnelle conférence de presse de fin d’année le président russe.

Le président russe est un des rares dirigeants à avoir attendu le vote du collège électoral américain en faveur de M. Biden pour le féliciter mardi, expliquant ce refus par l’incertitude pesant sur le résultat du scrutin du 4 novembre compte-tenu du refus de Donald Trump de reconnaître sa défaite et ses multiples recours en justice. M. Biden a promis de se montrer ferme face à la Russie, accusée notamment d’ingérence dans le système électoral américain pour favoriser en 2016 l’élection de M. Trump face à Hillary Clinton.

Le milliardaire américain a toujours nié avoir bénéficié des efforts russes, tout comme M. Poutine, malgré les conclusions des enquêteurs américains qui ont conduit à de lourdes sanctions contre la Russie. Vladimir Poutine a une nouvelle fois rejeté jeudi toute ingérence dans les élections américaines. « Ce sont des spéculations dont le but est de détériorer les relations entre la Russie et les Etats-Unis et aussi pour que la légitimité de celui qui est encore président des Etats-Unis ne soient pas reconnue », a-t-il dit en référence à Donald Trump.

Pour lui, la relation russo-américaine est devenue « otage » de la bataille politique intérieure aux Etats-Unis. Le président russe a enfin jugé que le locataire sortant de la Maison Blanche n’allait pas se retirer de la ville publique. « Il n’a pas à chercher du travail. Près de 50% de la population des Etats-Unis a voté pour lui (…) il a une grosse base aux Etats-Unis, et de ce que je comprends, il ne s’apprête pas à quitter la vie politique, a relevé M. Poutine.

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