Royaume-Uni : « Liz Truss est une pragmatique plus qu’une idéologue »
On la qualifie de «nouvelle Margaret Thatcher» mais la troisième Première ministre de l’histoire britannique, Liz Truss, pourrait être contrainte de composer avec une réalité sociale dure. Vu ses revirements passés, l’hypothèse est plausible.
Après Margaret Thatcher et Theresa May, Liz Truss est devenue, le 6 septembre, la troisième femme à prendre la direction d’ un gouvernement au Royaume-Uni. Toutes trois conservatrices… La ligne très à droite qu’elle a défendue lors de la campagne auprès des membres du parti appelés à désigner leur leader, entre elle et l’ancien ministre des Finances, Rishi Sunak, sera-t-elle poursuivie au 10 Downing Street? L’inflexion donnée à son programme pour soutenir les catégories de la population les plus exposées à la hausse des prix de l’énergie pourrait indiquer le contraire. Tentative de réponse avec Nathalie Brack, professeure à l’ULB et spécialiste du Royaume-Uni.
Si Liz Truss ne parvient pas à convaincre au sein de son parti et au sein de l’opinion publique, cette dernière pourrait se tourner vers les travaillistes par dépit.» Nathalie Brack, politologue à l’ULB.
Liz Truss pourra-t-elle compter sur l’unité du Parti conservateur?
Elle a été élue grâce aux membres du parti et pas grâce aux députés. Au début, ils lui laisseront le bénéfice du doute. Mais si ses recettes ne fonctionnent pas très bien et si elle n’arrive pas à convaincre l’opinion publique – actuellement, elle n’a pas vraiment ses faveurs –, il est probable qu’il y aura encore plus de fractionnalisme au sein du Parti conservateur qu’il y en a déjà aujourd’hui. Elle dispose d’une période de six mois pour convaincre. Mais clairement, le parti est fortement divisé. Il est au pouvoir depuis un certain temps. Par conséquent, si, en son sein, on a le sentiment de se diriger avec elle vers une défaite lors des élections législatives de 2024, Liz Truss sera en danger.
Liz Truss a affiché un positionnement très à droite pendant la campagne. Cette stratégie visait-elle, par opportunisme, à rallier des militants ou témoigne-t-elle d’une conviction profonde de sa part que c’est la politique qu’il faut mener en tant que Première ministre?
Si on analyse son passé et sa carrière politique, elle n’a pas du tout l’air d’être une idéologue. Elles est passée par les libéraux- démocrates avant de rejoindre le Parti conservateur. Elle a fait campagne contre le Brexit et, une fois celui-ci approuvé par référendum, elle a retourné sa veste. Je pense que c’est fondamentalement une pragmatique, une opportuniste et une carriériste, que l’on trouve cela positif ou non. Son atout – et elle en a joué – a été de se montrer à la fois comme la successeure de Boris Johnson et comme l’héritière de Margaret Thatcher, une femme à droite, forte, très conservatrice. Elle a eu des slogans de campagne très à droite. Mais je pense que c’est une pragmatique et pas une hard-liner idéologue de droite.
La comparaison avec Margaret Thatcher se révélera-t-elle exagérée à l’épreuve des actes de Liz Truss?
Pour l’instant, cela reste du marketing politique. Margaret Thatcher était une femme convaincue par les arguments d’un noyau de droite façonné par le contexte dans lequel elle avait été élue. Liz Truss utilise cette image. Il faudra voir la réalité de terrain. Sur la crise énergétique, résoudra-t-elle tout par une baisse des impôts? Il n’y a pas d’unanimité sur la recette magique à privilégier. Elle est déjà en train d’évoquer des aides plus générales sur le gel des factures d’électricité. Elle va même plus loin que le Parti travailliste, qui proposait la mesure jusqu’en 2023, et suggère de la mettre en œuvre jusqu’aux prochaines élections. Elle va devoir faire des compromis. Comme les syndicats annoncent un hiver chaud, elle risque d’avoir du mal à convaincre uniquement avec des mesures dures de droite. Mais elle n’est pas encore rentrée dans le détail de certaines politiques qu’elle souhaite mener. Il est donc compliqué d’affirmer qu’elle se révélera comme la «nouvelle Margaret Thatcher», ou pas. On jugera également en fonction des personnes qu’elle appellera dans son cabinet.
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Liz Truss a largement soutenu le projet de loi déposé par le gouvernement précédent, visant à dénoncer le protocole nord-irlandais dans le cadre de l’accord sur le Brexit. Sur les relations du Royaume-Uni avec l’Union européenne, la politique de Liz Truss sera-t-elle celle de Boris Johnson?
Elle était la ministre des Affaires étrangères de Boris Johnson ; elle continuera sur la même ligne. Mais les relations avec l’Union européenne ne seront pas une priorité à court terme. Elle a assez à faire à l’échelon national. Si elle annonce une position très dure sur le protocole nord-irlandais ou sur la Cour européenne de justice, ce ne sera pas immédiatement à l’avant-plan de l’agenda, sauf si une actualité le justifie.
La chance de Liz Truss et du Parti conservateur ne réside-t-elle pas dans l’inconsistance et la désunion de l’opposition travailliste?
Le Parti conservateur a, en effet, été fortement aidé par le Parti travailliste qui était divisé, très flou sur ses positions et qui donnait l’impression de ne pas faire montre de responsabilité – ce qui est important pour une formation qui prétend briguer le poste de Premier ministre. Cela étant, les travaillistes ont encore deux ans pour crédibiliser leur opposition. Les dynamiques peuvent s’inverser. Si Liz Truss ne parvient pas à convaincre au sein de son parti et au sein de l’opinion publique, cette dernière pourrait se tourner vers les travaillistes par dépit et parce que Liz Truss est le quatrième Premier ministre conservateur en six ans. Les Britanniques peuvent aussi succomber à l’effet de la lassitude en se disant que les conservateurs n’ont pas réalisé ce que l’on espérait qu’ils réalisent. Si Liz Truss ne parvient pas à gérer la crise économique et énergétique ou si le parti est clivé et qu’il ne pense pas qu’elle peut être la leader espérée, le même constat s’imposera alors pour les Tories. Qui sera le prochain dirigeant dans deux ans, si ce n’est pas Liz Truss? Cela pourrait jouer en faveur du Parti travailliste.
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