Les émeutes se sont notamment produites dans la région de Liverpool, une ville située non loin de Southport mais également très touchée par la pauvreté. © PA

Royaume-Uni: les raisons derrière l’ampleur des émeutes

L’essentiel

• Le Royaume-Uni connaît une vague de violences attribuées à l’extrême droite, avec des émeutes dans une vingtaine de villes et plus de 420 arrestations.

• Ces émeutes ont suivi le meurtre de trois fillettes par un adolescent gallois de 17 ans, originaire du Rwanda.
Ces violences surviennent après la victoire de la gauche aux élections législatives et la fin des 14 ans de règne des conservateurs, frustrant ainsi la droite radicale.
• La frustration de l’extrême droite se fait sentir dans les régions les plus pauvres du pays, notamment dans le nord de l’Angleterre, où les électeurs ont un capital socio-économique et scolaire plus faible.

Les violences de ces derniers jours s’inscrivent dans un contexte particulier au Royaume-Uni. Mais l’influence de l’extrême droite en son sein fait craindre une contagion de ces violences au reste de l’Europe.

Ce lundi, le Premier ministre Keir Starmer a convoqué une «COBRA» à Downing Street: une réunion de crise nationale. Depuis une semaine, des violences ont éclaté dans une vingtaine de villes et plus de 420 arrestations ont été effectuées. Ces émeutes font suite au meurtre de trois fillettes par un adolescent gallois de 17 ans, issu d’une famille originaire du Rwanda. Ses motivations restent encore inconnues mais ne sont probablement pas liées au terrorisme, ont assuré les forces de l’ordre. Ce qui n’a pas empêché la propagation de fausses informations à caractère xénophobe sur les réseaux sociaux. Le compte «Europe Invasion» a, par exemple, engrangé 6,8 millions de vues sur X en affirmant à tort que le suspect était «un immigré musulman».

Chauffés à blanc, les protestataires ont notamment pris pour cible des policiers, des hôtels pour migrants, ainsi que des mosquées et des quartiers associés à telle ou telle communauté étrangère. La marque d’une «violence d’extrême droite», dénonce Keir Starmer, avec des caractéristiques à la fois spécifiquement britanniques et d’autres communes avec un contexte plus global.

Une extrême droite frustrée par la politique

Ces violences ont lieu à peine un mois après la victoire éclatante de la gauche aux élections législatives britanniques, mettant ainsi fin à 14 ans de règne des Tories conservateurs. A peine élus, les travaillistes ont tiré un trait sur l’expulsion de migrants vers le Rwanda, une mesure phare et hautement controversée du gouvernement de Rishi Sunak.

Pour Benjamin Biard, politologue à l’UCLouvain et spécialiste des mouvements populistes, ce contexte a pu frustrer la droite radicale, surtout que «les idées d’extrême droite sont peu représentées au Parlement». Le parti de Nigel Farage, Reform UK, n’a obtenu que quatre sièges aux dernières élections.

Reform UK avait obtenu 14,3% des suffrages en juillet dernier. Mais «cette partie de l’échiquier politique est trop fragmentée et ses scores ne lui permettent pas de s’imposer dans le cadre d’un scrutin majoritaire comme cela se fait au Royaume-Uni», remarque le néolouvaniste.

Benjamin Biard note aussi que les mouvements d’extrême droite remettent explicitement en question le concept même de démocratie, notamment avec un rapport désinhibé à la violence. Le résultat des dernières élections n’incite donc pas à apaiser les tensions.

Des régions où l’extrême droite a le vent en poupe

Cette frustration se fait particulièrement sentir dans la partie la plus pauvre du pays, à savoir le nord de l’Angleterre. Des circonscriptions souvent remportées par la gauche lors des dernières élections, mais aussi «où l’extrême droite se développe de manière plus importante», note Benjamin Biard. Le 4 juillet dernier, Reform UK y est arrivé souvent à la seconde place. «Comme dans d’autres pays, l’électeur d’extrême droite a un capital socio-économique et scolaire plus faible. Des caractéristiques que l’on retrouve davantage à Manchester, Liverpool, etc.»

Southport se trouve justement dans cette partie du Royaume-Uni, plus précisément dans la banlieue nord de Liverpool. Les violences se sont ensuite répandues dans d’autres villes figurant parmi les plus défavorisées. D’abord Newton Heath (près de Manchester), puis Hartlepool et Sunderland, et enfin toute la région industrielle du centre nord de l’Angleterre (Liverpool, Manchester, Stoke-on-Trent, Lees, Blackpool, Hull, etc.).

Lors du référendum pour le Brexit en 2016, ces mêmes zones avaient voté massivement pour sortir de l’Union européenne.

Pas un cas isolé

Le contexte international est lui aussi propice à l’émergence de ces émeutes, plusieurs mouvements d’extrême droite s’étant adonnés à des violences similaires. En Allemagne, la police a arrêté fin 2022 des militants des «Reichsbürger» («Citoyens du Reich») qui prévoyaient de mener un coup d’Etat. En Grèce, le souvenir des violences perpétrées par Aube dorée contre les migrants est encore frais. En-dehors de l’Europe, les exemples ne manquent pas. En attestent les émeutes aux Etats-Unis (Charlottesville en 2017, le Capitole en 2021, etc.), celles commises contre les musulmans en Inde, le saccage du palais présidentiel au Brésil suite à l’élection de Lula, etc.

«Ces violences d'extrême droite ne sont pas nouvelles, et je ne sais pas si elles augmentent, avoue Benjamin Biard. Mais cette récurrence montre que celles-ci sont toujours actives, que ce soit du fait d'une nébuleuse de mouvements, des réseaux sociaux, de certains forums, etc. Les chaînes télé ultraconservatrices jouent aussi un rôle, comme GB News au Royaume-Uni. Trouver une solution pour répondre à cette problématique sera délicat. Lutter contre les inégalités ne suffit pas. Le cas de l'extrême droite norvégienne et d'Anders Breivik le montre. Les services de renseignement et de sécurité joueront un rôle aussi. Puis il y a l'importance de la société civile qui, par diverses actions, peut déconstruire le discours de l'extrême droite et le rapport à la violence.»»

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