Royaume-Uni : les défis de Rishi Sunak, nouveau Premier ministre
D’abord le Parti conservateur autour de sa mission de Premier ministre. Ensuite le pays autour d’un programme économique de relance qui n’oublie pas la justice sociale. Sacré défi.
Après son échec dans la course à la présidence du Parti conservateur face à Liz Truss début septembre, Rishi Sunak envisageait, disait-on, d’abandonner la politique et de renouer avec le monde des affaires pour lequel il a travaillé par le passé chez le banquier Goldman Sachs et auprès de fonds d’investissement. Sept semaines plus tard, il est nommé à la tête du gouvernement britannique par le roi Charles III et il truste les titres de gloire: plus jeune Premier ministre, à 42 ans, de l’histoire du Royaume-Uni, premier chef de gouvernement «non blanc», premier dirigeant de l’exécutif de confession hindoue… A quoi tient un destin? Parfois, aux errements d’une collègue, comme l’a montré le passage météorique de Liz Truss au 10, Downing street.
A la différence d’autres pays, les minorités en Grande-Bretagne ne votent pas toutes pour des personnalités de gauche.
Malgré qu’il ait tout pour être un premier de classe ou justement parce qu’il en est un, sa tâche ne sera pas aisée. A peine nommé, sa légitimité a été mise en cause. «Rishi Sunak devient Premier ministre sans un vote», titrait le quotidien The Independent le 25 octobre. Difficile d’en faire le reproche au nouveau chef de gouvernement. Il est arrivé en deuxième position de la consultation organisée cet été au sein du Parti conservateur. Il a été le seul candidat dans le processus de sélection qui a suivi la démission de Liz Truss. Le Parti conservateur voulait éviter de donner à nouveau l’image de la division et personne n’aurait compris qu’il privilégie l’option du hara-kiri politique en précipitant la tenue d’élections législatives perdues d’avance. Le procès en illégitimité n’est donc pas fondé. Mais il risque d’être à nouveau invoqué quand des mouvements sociaux descendront dans la rue pour contester certaines mesures gouvernementales jugées iniques. Il est inédit, en effet, qu’en raison de l’enchaînement de deux démissions en quelques mois, deux nouveaux Premiers ministres soient imposés aux Britanniques sans repasser par les urnes.
«S’unir ou mourir»
Difficile, la tâche de Rishi Sunak l’est surtout par les défis qui l’attendent. Lors de sa première allocution en tant que Premier ministre, il s’est engagé à unifier le parti et le pays. Il répondait ainsi au mot d’ordre lancé à l’adresse du Parti conservateur après le «fiasco Liz Truss»: «S’unir ou mourir.» L’ échéance du prochain scrutin législatif en 2024 et l’avance prise par le Parti travailliste dans les sondages le concernant devraient logiquement convaincre les Tories de l’intérêt de maintenir un front uni au cours des deux années à venir. Mais on ne sort sans doute pas aussi aisément de mois de confrontation idéologique interne, et les chausse-trappes ne manqueront pas sur la route de l’union. De profondes dissensions subsistent au sein du Parti conservateur sur la position à adopter à propos du protocole nord-irlandais de l’accord sur le Brexit entre concertation et opposition frontale avec l’Union européenne, sur la politique migratoire et le chantier lancé sous Boris Johnson de sous- traitance par le Rwanda de l’accueil des candidats à l’asile, sur les choix économiques cruciaux à poser alors que le Royaume-Uni connaît une inflation à plus de 10%. Quoique, sur cette question, l’aventurisme de Liz Truss et ses conséquences désastreuses ont refroidi les ardeurs les plus néolibérales au sein du parti.
«Des décisions difficiles»
Rishi Sunak aura beau jeu d’avancer son expertise et sa compétence éprouvées lors son passage au ministère des Finances entre 2020 et 2022 pour balayer les critiques des anciens partisans de Liz Truss. Dans le contexte économique que connaît le Royaume-Uni, il était difficile de trouver au sein du Parti conservateur quelqu’un qui puisse lui disputer le titre d’homme de la situation. «Je placerai la stabilité et la confiance économiques au cœur du programme du gouvernement. Cela signifie que des décisions difficiles devront être prises», a-t-il indiqué lors de son allocution du 25 octobre, dans un message fort éloigné des largesses fiscales pour les riches et les entreprises que Liz Truss avait proposées. Reste à savoir si la justice sociale sera au rendez-vous du projet de budget qu’il présentera le 31 octobre pour espérer restaurer la confiance de la population dans le personnel politique, une confiance fortement ébranlée par les scandales de l’ère Boris Johnson.
Des minorités à droite
Issu d’une famille de la classe moyenne supérieure, Rishi Sunak peut difficilement être considéré comme le modèle de la méritocratie à la britannique. Il est cependant le symbole d’une génération de dirigeants issus de familles d’immigrés qui, contrairement à d’autres pays d’Europe comme la Belgique et la France, ont trouvé leur voie à droite de l’échiquier politique plutôt qu’à sa gauche. L’ ancien ministre des Finances Sajid Javid, l’ex-secrétaire d’Etat à l’Intérieur Priti Patel, le ministre des Relations intergouvernementales et des Egalités Nadhim Zahawi, originaires respectivement du Pakistan, d’Inde et d’Irak, en sont les plus éloquents exemples, avec le nouveau Premier ministre, au sein du Parti conservateur.
«A la différence d’autres pays, les minorités en Grande-Bretagne ne votent pas toutes pour des personnalités de gauche. On retrouve aussi des représentants des minorités à droite, commentait, en juillet dans une interview au site d’information Atlantico, le spécialiste des questions d’immigration au Royaume-Uni Moustafa Traoré. L’explication est culturelle. La politique migratoire n’a pas été la même au Royaume-Uni que dans d’autres pays européens. A partir de 1962 et l’adoption de l’«Immigration act», les immigrés ont été sélectionnés. […] Des diplômés, des avocats, des médecins sont venus au Royaume-Uni. Une fois sur place, ils ont effectué ce pour quoi ils avaient été recrutés et dans un domaine lié à leurs compétences.»
Aujourd’hui, c’est à Rishi Sunak de refaire du melting-pot britannique une nation non pas uniforme mais plus respectueuse de sa diversité d’opinions. Ce n’est pas le moindre des charmes du Royaume-Uni que cette mission incombe à un petit-fils d’immigré indien.
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