Riad Sattouf. Né en Syrie, résidant en France, il n'est "ni français, ni syrien" mais "auteur de BD" et peut se sentir "plus proche d'un auteur japonais que d'un membre de (sa) famille". © Belga - THOMAS OLIVA

Riad Sattouf :  » Ça ira sûrement mieux dans 500 ans ! « 

Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

C’est le déclenchement de la guerre civile en Syrie, et à Homs en particulier, qui lui a donné l’envie et le déclic de raconter cette histoire : la sienne, petit garçon « différent » qui a grandi en Libye, puis en Syrie, avant de venir en France et de devenir l’un des auteurs de bande dessinée les plus drôles, les plus doués et les plus observateurs de sa génération, de Pascal Brutal à La vie secrète des jeunes qu’il dessinait dans Charlie Hebdo. Avec L’Arabe du futur, dont le deuxième tome paraît ces jours-ci, Riad Sattouf témoigne et émeut. Mais il essaie aussi d’éviter le commentaire. Chiche.

Le Vif/L’Express : Vous avez entamé L’Arabe du futur en 2011, au moment du déclenchement de la guerre civile en Syrie. Le deuxième tome sort aujourd’hui, alors que la situation là-bas a encore évolué, en pire. Est-ce que cette actualité influence votre récit ?

Riad Sattouf : Je ne me pose en tout cas pas la question de savoir si c’est le bon moment. J’ai trouvé l’angle qui me convenait et que je cherchais depuis longtemps pour raconter ces années au Moyen-Orient. Donc, je vais continuer à raconter cette histoire. Moi, j’ai connu et je raconte la Syrie des années 1980, qui n’a plus grand-chose à voir avec la Syrie actuelle ou même d’avant la guerre. C’était sous Hafez el-Assad (NDLR : père et prédécesseur de Bachar al-Assad à la présidence de la Syrie de 1971 à 2000), et je décris la vie sous le prisme intime d’une famille franco-syrienne. Cela explique-t-il ce qu’on est en train de vivre ? Je ne peux que laisser le lecteur en décider. Je raconte des faits, je les agence selon un point de vue, mais ce n’est pas à moi de dire si ça parle de l’actualité.

Mais les faits justement sont très marquants dans votre album. A commencer par l’antisémitisme dont vous avez été victime, et son côté ancré, « normalisé ». Vous étiez « le Juif ». Et à vous lire, on comprend que la situation semble inextricable. Comment en sortir ?

La Syrie est un pays qui était et est toujours en guerre avec Israël, donc l’antisémitisme, l’antisionisme si on veut, y est quelque chose de sociétal. Et je ne peux pas imaginer un seul Syrien ne pas être d’accord avec ce que je viens de dire. C’est quelque chose qui m’a toujours beaucoup marqué et que je pensais su. Mais en fait, non. J’ai gardé mes livres d’école de cette époque-là, mieux dessinés que les ouvrages français, mais on y apprenait à ne pas aimer Israël. Cela faisait partie de l’éducation des enfants à l’école. On me prenait pour le juif, mais c’était plus compliqué que ça. Ma mère était française, et les gens avaient une conscience très claire de qui était allié avec qui. La Syrie était alliée avec l’URSS et Israël était allié avec les Etats-Unis. Et donc la France, alliée des Etats-Unis, était aussi l’alliée d’Israël. Je n’étais pas du bon bord, j’étais donc juif. Le mot signifiait beaucoup de choses. Mais surtout quelqu’un de mauvais.

Riad Sattouf :
© DR

Après lecture de ce deuxième volume, je n’arrive toujours pas à savoir si vous avez eu une enfance heureuse ou malheureuse…

Parce que j’essaie d’éviter les commentaires. Comme dans toute vie, il y a du malheur et du bonheur. J’ai mon avis. Je crois que j’ai eu une enfance… intéressante. J’ai vu des choses que je n’aurais pas dû voir. J’ai vécu avec des fils de paysans. J’ai observé la façon dont ils vivaient. Et ces gens-là n’arrivent quasiment jamais au stade de pouvoir raconter ce qu’ils ont vécu. J’avais envie de témoigner.

Enfance intéressante, mais inconfortable. Vous êtes une sorte de témoin du siècle : un pied dans le Moyen-Orient sans être Arabe, et le reste du corps en France, en y étant là aussi vu comme quelqu’un de « différent ».

J’ai toujours été un peu exclu du « groupe ». Je n’ai jamais été un vrai habitant du village et, en France, j’avais un nom bizarre, plus comique qu’arabe. Ce n’était pas vraiment du racisme, plutôt de la méfiance. Mais j’ai toujours eu le sentiment d’être différent, j’en fais même des livres !

Aujourd’hui, vous vous sentez français parmi les Français ?

Pas du tout, je ne me sens pas du tout français. Ni français, ni syrien, je me sens auteur de BD. On a nos propres dieux, nos histoires. Je peux me sentir plus proche d’un auteur japonais que d’un membre de ma famille. Pour le reste, je pense qu’il y a énormément de gens racistes en France, mais je ne crois pas que ce soit un pays raciste. Il n’y a pas de lois racistes, pas de racisme sociétal, ancré. C’est volatile. Il y a une crainte, une excitation médiatique, mais d’autres pays sont bien plus racistes. En France, ça reste un débat de société, pas une politique d’Etat. Et puis le racisme, je l’ai connu partout.

Récemment, il y avait une séquence du Zapping, dans le Grand Journal sur Canal +, particulièrement anxiogène : un déluge de débilités de télé-réalité, une droite très, très décomplexée… On se serait cru dans la France telle qu’inventée dans Pascal Brutal. On y est ?

Haha, oui, la réalité me challenge là-dessus ! Quand j’ai commencé la série, l’obscénité de la réalité était moins disponible qu’aujourd’hui. Internet était moins démocratisé, il y avait moins de smartphones. C’était plus simple pour moi de faire un Pascal, d’être dans l’excès. Là, je voudrais m’y remettre, mais la réalité est pire que ce que je pouvais imaginer. On voit tout le temps des infos plus crétines les unes que les autres, des comportements complètement fous… Un vrai challenge ! Quand j’ai inventé Pascal, c’était avant l’élection de Sarkozy, je sentais monter une « droitisation » de la société et, dans le même temps, une rébellion très conservatrice de la jeunesse. C’est pour ça que j’avais pris la rappeuse Diam’s comme « personnage » et icône de cette jeunesse : je connaissais ses chansons, tous ses textes, elle avait un succès immense auprès des jeunes filles, mais ce qu’elle racontait était ultraconservateur. On ne chantait plus la liberté, mais le retour des valeurs morales, la répartition des rôles homme-femme… Et là encore, la réalité a vraiment dépassé la fiction ! (NDLR : Diam’s a depuis arrêté sa carrière et a adopté le port du voile intégral).

Vous avez travaillé près de dix ans pour Charlie Hebdo. Difficile de ne pas en dire un mot…

Je ne faisais pas partie de la rédaction, j’envoyais mes pages par Internet, je ne faisais pas de dessin politique ou de caricature, je faisais une BD qui décrivait ce que je voyais dans la rue. Et j’ai quitté le journal six mois avant les attentats. Or, plus personne ne lisait Charlie Hebdo, je n’y étais plus, mais quand c’est arrivé, j’ai reçu dès le lendemain des propositions médiatiques de l’ensemble de la terre, des gens qui m’envoyaient des messages de soutien et qui me disaient : « Continuez ! ». Preuve que plus personne ne le lisait ! Mais au-delà, je n’ai pas vraiment de commentaires… Je… Je n’arrive pas à relier le drame de Charlie avec un fait de société. Ce sont des types que je connais, avec qui je buvais des coups, qui étaient très humains, très doux, qui aimaient les humains, et je n’arrive pas à les lier à un débat sur la liberté d’expression. C’est trop personnel. Par contre, je suis pour qu’on ait le plus de libertés possibles. Et quand des gens veulent restreindre ces libertés, je pense qu’il faut se forcer à en réclamer cinq de plus. Mon commentaire s’arrête là.

Vous avez été plus virulent récemment sur l’attention médiatique portée au sort de Palmyre, où vous alliez en vacances. Vous avez été choqué, vous, par les réactions occidentales.

Ça m’a choqué, oui. La destruction des sites antiques, c’est sans doute un drame pour l’art, mais quand même beaucoup moins dramatique que de tuer des gens ! Je suis peut-être vieux jeu, mais j’ai plus d’empathie pour les migrants à la mer, pour les exilés, que pour les vieilles pierres. Je pense au point de vue de ces gens-là, quand ils constatent que des cités antiques émeuvent plus les riches et les puissants que leur propre sort. C’est un mauvais calcul, inconscient sans doute, mais les enfants de là-bas, qui voient comment on les considère, eux, leurs parents, leur peuple… Ils vont grandir et forcément avoir du ressentiment. C’est mal gérer le futur.

Votre vision du futur est finalement très pessimiste…

Non, je suis assez optimiste : dans 500 ans, je suis sûr que ça ira mieux ! Dans 30 ans, par contre, je ne peux pas vous dire. Sauf ceci : lors d’une séance de dédicaces récente, où je demande toujours aux gens leur métier, ce qu’ils font, il y avait une jeune femme, elle était analyste géopolitique, spécialiste du Moyen-Orient au Quai d’Orsay (NDLR : le siège du ministère français des Affaires étrangères). Le top du top ! On ne peut pas faire plus spécialiste ! Et donc, je lui ai posé cette question que désormais tout le monde me pose : qu’est-ce que vous pensez de la politique au Moyen-Orient ? Elle m’a regardé avec un petit sourire, puis elle m’a dit : « Heu, pour faire un peu rapide, on va vers plusieurs dizaines d’années de chaos. » Voilà. C’est un avis de spécialiste, ce n’est pas le mien.

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L’Arabe du futur 2 – Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985), Riad Sattouf, Allary Editions, 142 pages

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